37. Possibilité.

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"I dry my eyes 'cause I don't feel like crying
Ooh, yeah
At least tonight, no, I don't feel like crying"

-Sigrid, Don't Feel Like Crying

...

Nina. Monaco.

« Vous en êtes sûre ? demanda la jeune fille au téléphone.

- Comme je te l'ai dit, reprit l'avocate, je ne peux pas le garantir à 100 %. Mais tu as quinze ans maintenant. Le juge écoutera ce que tu as à raconter. Avec ce que tu m'as expliqué de tes dernières visites, je pense qu'on a une chance. Ta sœur s'occupe bien de toi depuis des années.

- Merci, murmura-t-elle.

- On va avoir quelques documents à remplir. Je vais tout vous envoyer et on organisera un rendez-vous pour faire le point ensemble, expliqua la professionnelle. Ensuite, j'aurai tous les éléments pour demander une révision du jugement.

- Ça peut être long ? Questionna Nina en essayant de cacher son angoisse.

- C'est possible. Mais on va tout faire pour obtenir une réponse avant que la décision de sa libération conditionnelle soit prise, affirma-t-elle en devinant les angoisses de l'adolescente.

- Je vous remercie, Maître.

- Appelez-moi si vous avez des questions sur les papiers à me fournir. Et en attendant, prends soin de toi.

- C'est noté, informa-t-elle.

- Bonne journée Nina.

- Bonne journée à vous aussi Madame. »

La jeune fille raccrocha, soulagée. Elle avait attendu ce coup de fil toute la journée. Aria avait passé les dernières semaines à enchaîner les rendez-vous avec cette avocate pour étudier tous les recours possibles. Mais les révélations de Nina avaient donné du poids au dossier, tout en mettant plus de pression sur les épaules de sa sœur. Il était hors de question qu'elle aille vivre ne serait-ce qu'une journée avec son père. Elle ferait tout ce qui était en son pouvoir pour obtenir sa garde.

Depuis quelques jours, l'adolescente vivait donc au rythme intense de ces événements alors que les médecins avaient exigé qu'elle se repose. Elle se remettrait rapidement de sa fracture si elle suivait leurs recommandations mais elle devait prendre des précautions pour faire surveiller sa tête et le choc qu'elle avait subi.

Pourtant, elle n'avait pas été ménagée ces derniers jours. Et ce n'était pas son physique qui avait le plus souffert après l'accident, mais bien son mental. Elle avait déjà dû assimiler ce qui lui était arrivé. Et puis, il y avait eu la joie de retrouver Aria et Pierre qui semblaient plus unis que jamais, la reconnaissance envers toute la famille Gasly qui s'était déplacée, la fierté de compter comme un membre à part entière de ce clan. Et enfin était venu le moment des révélations. Maintenant qu'elle avait toutes les informations en main, Nina ne pouvait s'empêcher de chercher dans sa mémoire pour dérouler à nouveau le scénario des derniers mois de leur vie à trois. Elle comprenait mieux certains gestes, certaines réactions bien qu'ils avaient tous les deux essayer de cacher leur peine au maximum pour ne pas l'impacter. Elle s'en voulait de ne pas avoir été capable de voir ce qu'il se jouait sous ses yeux. Mais après tout, elle était encore jeune. Et du haut de ses treize ans, elle ne pouvait pas imaginer le gouffre dans lequel les deux personnes les plus chères à son cœur s'enfonçaient.

Et finalement, elle avait refait ce cauchemar. Celui où elle était privée de Pierre et de sa sœur et condamnée à vivre avec l'homme qui l'avait privée de toutes les personnes que l'adolescente aimait. C'est à contre coeur qu'elle était passée aux aveux alors qu'elle s'était jurée de ne rien dire pour ne pas aggraver la situation. Elle avait été faible. Elle avait craqué. Mais pourtant, elle se sentait libérée. Plus sereine. Elle avait désormais ce mince espoir de parvenir à enterrer une bonne fois pour toutes, ce passé qui prenait un malin plaisir à lui gâcher la vie.

Elle avait fait un long cheminement intérieur depuis les premières visites qu'elle avait rendues à son père en prison. A l'époque, alors âgée de neuf ans à peine, elle avait voulu découvrir d'où elle venait et qui était cet homme que tout son entourage semblait décrire comme un monstre. Le père d'Aria semblait être la personne la plus douce et la plus généreuse que la Terre avait portée. Pourquoi son papa à elle était-il différent ?

Au début, il semblait s'intéresser à sa vie. A ce qu'elle devenait. Et puis il s'était montré de plus en plus froid. Agacé quand Nina lui racontait avec enthousiasme ses voyages pour suivre Pierre sur les Grands Prix. Énervé quand elle lui racontait les escapades avec le couple. Son père leur trouvait des défauts. Les critiquait. Il avait même laissé sous-entendre qu'il ne voulait pas qu'elle parte à l'étranger justifiant que si elle sortait de l'Union Européenne, Aria en profiterait pour les séparer définitivement. L'adolescente avait toujours gardé ses propos pour elle. Encaissant les remarques sans comprendre pourquoi il était incapable de se réjouir de la vie qu'elle menait.

Même si elle y était de plus en plus réticente, elle tenait à continuer à le voir, sans trop savoir ce qu'elle en espérait. Qu'il change ? Qu'il se rende compte de tout ce qu'il manquait par sa faute ? Qu'il apprenne à la connaître ? Qu'elle ait le sentiment de compter un peu pour lui ? Ou au contraire, qu'elle lui prouve que si lui avait exigé la revoir, elle n'avait pas besoin de lui ? Sûrement un mélange de toutes ces raisons.

Il n'avait jamais parlé de sa mère. Il ne les avait jamais comparées. Elle ne comprendrait jamais pourquoi il avait agi ainsi. Pourquoi il renfermait tant de colère en lui. Et elle avait ces angoisses qui ne cessaient d'être présentes dans un coin de sa tête. Les premières questions étaient de se demander si elle devrait également subir la violence qu'il avait eu à l'égard de sa femme. S'il était simplement comme ça, avec tout le monde bien qu'Aria lui avait garanti qu'il n'avait jamais levé la main sur elles deux.

Et puis, à force d'avoir entendu tout au long de son enfance les ressemblances entre sa sœur et son propre père, vint naturellement une peur d'être comme lui. D'adopter son comportement et ses gestes parce qu'il était son géniteur. Par défaut. Sans qu'elle ait son mot à dire. C'est pour ça qu'elle aimait tant la boxe. Elle pouvait se canaliser dans ce sport. Mais elle était également soumise à des règles précises. Un cadre à respecter. Des limites à ne pas franchir. Elle avait l'impression que c'était ce qu'elle devait s'imposer, apprendre à se contrôler pour ne pas risquer de déraper un jour.

Quand elle avait reçu la lettre du cabinet d'avocats, le jour de son anniversaire, toutes les raisons pour lesquelles elle se rendait encore régulièrement au parloir avaient volé en éclat. Plus rien ne comptait, si ce n'était s'assurer que jamais elle ne vivrait avec lui. Ce n'était pas explicite. Il demandait sa libération. Rien de plus. Pourtant la garde obtenue par sa sœur était conditionnée au fait que son père était incapable de s'occuper d'elle. Situation paradoxalement temporaire alors qu'elle avait besoin de stabilité. Elle avait été obligée d'aller le voir pour lui dire ce qu'elle en pensait, et surtout pour savoir ce qu'il envisageait pour son avenir. Et pour le leur.

Mais elle avait bien compris que prétexter vouloir s'occuper d'elle était l'un des éléments qui ferait pencher le juge en faveur de l'accord d'une libération. Alors elle lui avait balancé toutes ses pensées à la figure sans prendre le temps de réfléchir. Si lui était auteur de violence physique, elle savait manier la violence verbale. Mais y en a-t-il une pour surpasser l'autre ? Elle avait doucement senti ses doigts se refermer sur son poignet. Et tout son courage s'était envolé. C'était devenu un rapport de force. Et elle ne savait pas si elle avait les reins solides pour supporter ça toute seule. Elle avait pourtant des modèles de détermination autour d'elle. Des personnes qui jamais ne faiblissaient. Aria. Pierre. Elle n'avait plus qu'une envie alors qu'elle rejoignait l'aéroport pour retrouver le pilote, les serrer dans ses bras le plus vite possible. Pour continuer à apprendre d'eux. Tant qu'elle en avait encore la possibilité.

...
Petite introspection de Ninouche

LE SOLEIL & LA LUNE - PIERRE GASLYOù les histoires vivent. Découvrez maintenant