13. Éternité.

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"At night when the stars
Light on my room
I sit by myself
Talking to the Moon
Try to get to You
In hopes your on
The other side
Talking to me too
Oh Am I a fool
Who sits alone
Talking to the moon"

-Bruno Mars, Talking to the moon

...

Aria. Paris.

Assise à une table entourée de ses collègues, la jeune femme affichait un sourire crispé. C'était sûrement suffisant pour que les personnes qui l'entouraient croient que tout se passait bien et qu'elle était à l'aise dans cette situation, mais quiconque la connaissait bien savait que ce n'était qu'une question d'apparence. Aria avait l'esprit ailleurs et dès qu'elle trouva un moment de répit, elle attrapa son téléphone. Elle soupira en constatant que ses messages adressés à Nina étaient restés sans aucune réponse. Elle ne s'inquiétait pas vraiment, elle savait que Pierre veillait sur sa petite sœur mais elle aurait aimé avoir des nouvelles. Comprendre un peu plus son point de vue. Être au courant de l'évolution de ses sentiments vis-à-vis de la situation. Et puis aussi, se sentir un peu moins seule. C'était la première fois, depuis qu'on lui avait laissé la garde de Nina qu'elle se retrouvait seule aussi longtemps.

Elle changea alors d'application pour se tenir au courant de ce qu'il se passait à Silverstone. Elle esquissa un sourire en voyant que Pierre se trouvait à la troisième place du Grand Prix. Nina devait être euphorique. La course était encore longue mais elle avait bon espoir que cette journée réussisse au pilote. La jeune femme n'avait jamais vraiment arrêté de suivre ses résultats. Bien que leurs avenirs ne se conjuguaient plus ensemble, elle lui souhaitait le meilleur. Et elle n'avait jamais vraiment réussi à se détacher de cette habitude qu'elle avait prise de suivre la Formule 1 presque tous les week-ends. Alors que Nina s'enfermait dans sa chambre les dimanches après-midi, Aria faisait de même. C'était son secret. Une sorte d'obsession qui frôlait l'auto-mutilation. Elle avait fait énormément de mal à Pierre, elle le savait. Mais elle voulait veiller à ce que tout se passe bien pour lui. Alors, elle le surveillait de loin. Comme si s'infliger la douleur de revoir ses yeux pétillants et son sourire étiré parviendrait à atténuer sa peine. Ainsi, elle pourrait peut-être se dire que la décision de se séparer était sûrement la bonne puisqu'il était heureux.

Elle quitta les yeux de son téléphone pour se concentrer à nouveau sur la conversation qui se déroulait sans elle, et qui, à vrai dire, ne l'intéressait pas vraiment. Ses doigts la démangeaient de lancer le live pour vivre la course en direct et savoir comment les événements se déroulaient. Elle soupira en regardant l'heure. En partant maintenant, elle pourrait encore voir les derniers tours. La brune ne réfléchit pas plus longtemps et prétexta que sa soeur l'attendait pour s'éclipser. Elle paya sa consommation et se dépêcha d'enfourcher son vélo, ses écouteurs branchés sur ses oreilles pour entendre les commentaires et s'assurer que le rouennais maintenait sa place sur le podium.

Arrivée chez elle, Aria ne prit pas même le temps de se déchausser qu'elle s'installa sur le canapé et alluma la télévision. Elle ôta ses sandales en se concentrant sur l'écran puis prit sa position habituelle : les genoux ramenés sous son menton et ses mains nouées entre elles qui encerclaient ses jambes pour échapper à la tentation de ronger ses ongles et ainsi exprimer le stress qui s'emparait d'elle dès que le châtain montait dans sa voiture. Cette panique n'avait jamais été due à la peur de le perdre malgré les accrochages auxquels elle avait assistés. Elle était directement liée à son envie de le voir gagner et de contempler ses rêves s'accomplir. Elle avait bien vu tout le travail que Pierre avait fourni pour en arriver là et elle était persuadée qu'il le méritait. Et ce qu'elle ressentait durant un week-end de Grand Prix n'avait jamais faibli, à son grand désespoir. La jeune femme aurait préféré parvenir à l'oublier, tourner la page, construire sa vie. Mais cela aurait été trop facile. Après deux ans, elle trouvait un peu de réconfort dans cette douleur car elle signifiait sûrement que de réels sentiments avaient été en jeu et qu'ils étaient beaucoup plus forts qu'eux.

Elle se leva d'un bond lorsqu'il franchit la ligne d'arrivée en maintenant sa troisième position. Une larme roula sur sa joue et elle s'empressa de l'essuyer tout en essayant de reprendre ses esprits. La franco-italienne se réjouissait bien qu'elle n'avait plus aucun rôle à jouer dans cette réussite. Elle ne pouvait aucunement se montrer fière de ce résultat. C'est le coeur serré qu'elle regarda les images de célébration défiler sous ses yeux. La tête blonde de Nina se détacha de la foule dans laquelle Pierre venait de se jeter. Il prit ensuite les membres de son équipe un à un dans ses bras et se fût rapidement au tour de sa petite soeur. Elle semblait tellement heureuse de revivre ces moments.

Ce tableau avait un goût de déjà vu. Il renvoyait Aria des années en arrière, se superposant à ses souvenirs. Le Grand Prix de Spa. Un temps pluvieux. Une course à en perdre haleine. Des rebondissements. Et une voiture bleue et rose qui venait de prendre les commandes de la course. Ses propres poings tellement serrés que des marques en demi-lune étaient visibles dans ses paumes. Des larmes menaçant de couler. Une euphorie qu'elle n'avait jamais alors connue. Le souffle coupé. Les poumons en feu. La voiture qui accélérait. Le bruit de son moteur fendant l'air. À toute vitesse. Et pourtant, le temps paraissait si long. L'atmosphère insoutenable. L'envie irrépressible que cela se termine au plus vite. Mais le désir de faire durer ce moment au moins une éternité. Comme s'il était impossible de savourer pleinement l'instant si chaque seconde ne ralentissait pas un petit peu. Le coeur qui battait à 1 000 à l'heure. Le sang pulsant dans ses veines. Elle se sentait vivante. Chanceuse que la vie l'ait amenée à cet instant précis. Elle avait déjà vécu des sensations fortes. Mais celles-ci étaient particulières. Elles étaient décuplées par l'amour qu'elle ressentait pour le pilote français. Au volant d'une des voitures de l'écurie française. Aria était incapable de la quitter des yeux. Elle serrait ses mains aussi fort que possible pour s'empêcher de se ronger ses ongles. Et au bout d'une attente intenable, le drapeau à damier finit par tomber sur le bolide qui portait le numéro 10. Et tout explosa. Les poings en l'air. Les larmes qui n'en finissaient plus de couler sur ses joues rougies. Le souffle court. Les cris. Les embrassades. L'exaltation face à ce jeune homme qui venait de prendre sa revanche sur un circuit qui lui avait tant coûté. La sortie de l'enfer.

Elle avait été poussée au premier rang, derrière les barrières. Elle assistait à ce qui semblait être un sacre ultime. Cette victoire avait un goût si particulier, elle le savait. Elle revoyait Pierre sortir de la voiture en prenant son temps pour savourer chaque geste. Graver dans sa mémoire chaque image. Chaque sourire. Réaliser ce qu'il venait d'accomplir une nouvelle fois. Les yeux levés vers le ciel. Une pensée pour cette étoile qui ne manquait rien de ses réussites, nichée tout là-haut. Les bras au-dessus de la tête. Une prise d'élan pour se jeter dans la liesse de son équipe dont chacun des membres tapait sur son casque. Pour le féliciter. Pour toucher du doigt ce succès. S'assurer que ce qu'ils étaient en train de vivre était bien réel. Et puis, il ôta simplement son casque. Le regard azur avait croisé sa route. Il semblait tellement plus intense. Tellement plus fort. Tellement fier. Ses propres yeux devaient refléter les mêmes sentiments. Ils débordaient d'amour. Elle hochait la tête pour assurer qu'elle avait toujours eu confiance que ce jour arriverait de nouveau. Qu'il aurait encore l'occasion de goûter à ce bonheur. A cette explosion de joie. Il s'approcha d'elle et avant qu'elle n'ait eu le temps de murmurer quoique ce soit, avant qu'elle n'ait eu le temps de débiter toutes les paroles qui tournaient dans sa tête pour lui dire à quel point elle était heureuse pour lui, il fit glisser une main au creux de sa nuque et captura ses lèvres. Elles étaient salées. La saveur des pleurs, de la sueur de l'effort. La saveur de la victoire. C'était sûrement devenu l'une de ses odeurs préférées. Elle était transportée dans un autre monde, oubliant la pudeur qui les avait empêché de donner un tel spectacle aux caméras jusqu'alors. Il venait de prouver quel pilote il était en s'illustrant devant le monde entier. Et pourtant, il la transportait dans cette bulle d'intimité où seul l'amour qu'elle lui portait comptait. Elle aurait aimé rester ici pour une éternité. Mais la vie se moque bien de l'immuabilité.

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Petit flashback dans ce chapitre... 🫶
Promis on va doucement découvrir ce qu'il s'est passé ces deux dernières années !

LE SOLEIL & LA LUNE - PIERRE GASLYOù les histoires vivent. Découvrez maintenant