54. Le coeur contre la raison.

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« On ne se rend compte de l'importance d'une chose que lorsqu'on la perd. »

-Proverbe

···

Aria. Paris.

La vie de la jeune femme était devenue une routine bien huilée. Elle gérait son travail et l'emploi du temps de sa sœur avec laquelle les relations s'étaient doucement améliorées. Toutes les deux passaient leur temps à décorer leur nouvel appartement pour s'approprier les lieux, leur permettant en même temps de se changer les idées, notamment alors que la deuxième visite de Nina en prison approchait. C'était un sujet qu'Aria avait encore du mal à aborder avec elle car la fillette restait perdue, perturbée par toute cette situation. Elle semblait ne pas savoir si elle avait le droit d'aimer son père par loyauté envers sa sœur.

La seule chose que la jeune femme n'incluait plus dans son quotidien, c'était la course à pied. Elle avait essayé d'y retourner, se levant aux aurores pour profiter des derniers matins ensoleillés. Mais elle n'y arrivait tout simplement plus. Au début, son rythme ralentissait, elle n'y prenait aucun plaisir et se lassait de tous ses parcours habituels, finissant systématiquement par faire demi-tour ou par marcher. Et puis, elle avait été obligée de constater que l'envie avait disparu à tel point qu'elle n'arrivait plus à se lever pour se sortir du lit. Avant, elle cherchait dans son entraînement journalier, des réponses à ses questions, un moyen d'échapper aux problèmes qui la tourmentaient. C'était une manière d'échapper à la réalité. Et surtout, c'était un moment qu'elle avait toujours apprécié car il lui permettait de se retrouver avec elle-même. Désormais, alors qu'elle avait gouté au partage de sa passion, elle se sentait désespérément seule face à l'horizon.

Pierre lui manquait, c'était une certitude. Mais c'était elle qui avait pris la décision de mettre un terme à ce qu'ils partageaient. Alors elle n'avait pas le droit de se morfondre. Elle se l'interdisait. Surtout ce soir. Thomas et Lucie venaient dîner pour partager une soirée dans le nouveau logement qu'elle occupait avec sa soeur, n'ayant pas eu vraiment le temps de fêter cette pendaison de crémaillère auparavant. Comme à leur habitude, ils avaient commandé des pizza et s'étaient serrés les uns contre les autres sur le canapé. Nina s'était glissée entre eux et ils papotaient de tout ce qui leur venait en tête sans vraiment prêter attention au film qu'ils avaient lancé. Le projet de Thomas de partir à l'étranger et les difficultés qu'il rencontrait avec les administrations. Les péripéties traversées par Lucie dans son nouveau stage. Les multiples amoureux de Nina à l'école. Les maladresses d'Aria qui devait former un nouvel alternant au travail. La franco-italienne chérissait ces soirées qui étaient seulement constituées d'une grande sincérité. Tant de petites anecdotes honteuses dont ils finissaient par rire ensemble, effaçant ainsi la gêne qu'ils avaient pu ressentir en les vivant. Et puis, ils s'endormirent pêle-mêle, tous les trois, alors que Nina avait eu le courage de rejoindre son lit pour être installée plus confortablement.

La brune ouvrit difficilement les yeux en ce dimanche matin. Elle frotta ses paupières pour s'habituer à la douce lumière qui pénétrait de la fenêtre. En tapotant autour de son corps, elle réussit à trouver son téléphone et alluma l'écran en grimaçant. 6h39. Elle avait loupé le départ du Grand Prix alors qu'elle y était assidue depuis des mois maintenant. Et malgré son désir de laisser tout ça derrière elle, la jeune femme ne pouvait s'empêcher de suivre ses résultats. Et de croiser systématiquement son index et son majeur. En allumant rapidement son application pour regarder où les pilotes en étaient, elle constata que le départ était retardé suite aux conditions météorologiques. Elle voulut s'accorder quelques minutes de sommeil supplémentaires mais était incapable de s'endormir depuis que les caméras s'étaient arrêtées sur le visage concentré du français dont les yeux bleus étaient mis en valeur par sa combinaison blanche. Elle se fit la réflexion qu'elle devait décidément arrêter d'avoir de telles pensées. Mais il était impossible de mettre son cerveau sur pause. Aria regarda le départ alors que ses amis dormaient toujours à ses côtés. Thomas avait ses jambes sur les siennes, tandis que la tête de Lucie reposait sur le ventre du garçon. La jeune femme souriait face à cette scène qui les montrait calmes et apaisés.

Elle retient son souffle constatant qu'une voiture rouge avait foncé dans le mur. Elle n'était pas encore assez experte pour comprendre tout le jargon technique mais elle espérait que l'accident n'impliquait pas le meilleur ami du rouennais qui avait déjà perdu quelqu'un de cher dans de telles circonstances. La course était à nouveau neutralisée, sous régime de voiture de sécurité. Elle paniqua un instant en voyant que la visibilité de Pierre était réduite à cause d'un panneau publicitaire coincé sous son aileron. Puis quelques minutes plus tard, la jeune femme sursauta et laissa échapper un cri en entendant le mécontentement dont le pilote faisait preuve. Il laissait simplement échapper sa peur et Aria comprit pourquoi en revoyant les images.

Thomas se redressa. Elle l'avait malencontreusement réveillé et il ne se fit pas prier pour tirer également Lucie de son sommeil. Pourtant, la franco-italienne était incapable de détacher son regard de son téléphone qui montrait maintenant le châtain en train de s'énerver dans son garage.

« Ça va ? demanda son ami d'une voix rauque.

- Oui, ne t'inquiète pas. Vous avez bien dormi ? demanda-t-elle.

- Qu'est-ce que tu regardes de bon matin ? renchérit Lucie voyant bien qu'elle cherchait à éviter le sujet.

- Rien, lui répondit la brune.

- Et un rien te fait pleurer ? Fit remarquer le jeune homme.

- Je ne... Elle porta sa main à sa joue pour essuyer une larme qui s'était échappée de ses yeux. C'est la fatigue.

- Aria... reprirent ses amis.

- Ne vous en faites pas, ok ?

- Bien sûr que si on s'inquiète. Tu n'as pas du tout voulu nous en parler, expliqua sa copine de fac.

- Parce qu'il n'y a pas grand chose à dire. Je vous ai expliqué pourquoi j'ai demandé qu'on prenne nos distances.

- Mais tu penses encore à lui sinon tu ne serais pas en train de regarder un Grand Prix à 7h du matin ! Elle était épuisée de remuer toutes ses pensées, ne sachant même plus réfléchir à la situation avec lucidité. Elle voulait simplement passer à autre chose. Pourquoi remuaient-ils le couteau dans la plaie ?

- C'est parce que je suis fan de Formule 1, tenta-t-elle ironiquement.

- D'un pilote surtout, maugréa Lucie. Alors ? Pourquoi tu pleures ?  Tu l'as vu avec une fille ? Aria pinça ses lèvres devant la maladresse de son amie. Elle se leva pour lui faire un café, sachant pertinemment que c'est ce qui lui fallait pour commencer la journée avec plus de tact et de considération pour son entourage.

- Non... Il y a eu un problème sur la piste... souffla-t-elle finalement devant les yeux ronds des deux jeunes gens.

- Il va bien ? demandèrent-ils précipitamment.

- Oui, physiquement ils vont tous bien...

- Mais ?

- Mais psychologiquement, ça va peut-être être plus dur pour Pierre, avoua finalement la brune.

- Alors tu devrais être là pour lui, fit remarquer Lucie.

- Pour quoi faire ? Il est très bien entouré, ne t'inquiète pas.

- Moi je m'inquiète pour toi. Et toi, tu t'inquiètes pour lui, c'est évident ! répliqua sa meilleure amie. Thomas hocha la tête pour montrer qu'il était d'accord avec ses propos.

- Vous savez bien que c'est trop tard. Je l'ai repoussé, je suis bien la dernière personne à qui il veut se confier. Et puis, il est à l'autre bout du monde... soupira-t-elle.

- Tu sais très bien que ce ne sont que des excuses !

- Je... Je n'ai pas le droit de lui faire ça.

- Lui ne t'a pas demandé la permission lorsque la première fois il est venu te trouver à Paris, souffla finalement Thomas alors qu'il quittait le canapé à son tour pour l'aider à préparer le petit déjeuner. »

Les remarques de ses amis tournaient en boucle dans sa tête où se livrait un combat féroce. Le lâcher-prise contre la sécurité. La passion contre la rationalité. La lumière contre l'obscurité. La liberté contre la routine. Le coeur contre la raison. Mais en cherchant sincèrement au fond d'elle, Aria savait déjà qui allait gagner. Il ne restait plus qu'à se l'avouer et à l'accepter.

···
Maintenant que vous connaissez un peu Aria... Qui gagne à votre avis ? Son cœur ou sa raison ?

LE SOLEIL & LA LUNE - PIERRE GASLYOù les histoires vivent. Découvrez maintenant