37. Un tourbillon.

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« How I wish, how I wish you were here
We're just two lost souls
Swimming in a fish bowl »

-Pink Floyd, Wish You Were Here

···

Aria. Paris.

Enfermée dans les toilettes, la jeune femme rafraichit une nouvelle fois la page sur son téléphone pour connaître les derniers résultats. Elle assistait à une soirée organisée par son entreprise et elle s'était montrée distraite durant tout le repas, incapable de se concentrer sur les conversations qui se tenaient autour d'elle. Tout autre chose l'intéressait actuellement : elle était absorbée par les temps de course qui défilaient sous ses yeux. Pierre avait réalisé le sixième et le deuxième temps des deux dernières séances d'essais. C'était prometteur pour ce Grand Prix de Montréal. Elle avait de l'espoir qu'il parvienne à atteindre les résultats qu'il s'était fixés cette saison. Le fil d'actualité indiquait qu'il pleuvait. Les images étaient impressionnantes mais elle pensait avoir compris que c'étaient des conditions qui pouvaient tourner à la faveur du pilote. Elle poussa un long soupir lorsqu'elle vit son nom à la seizième position du classement, ce qui signifiait qu'il était éliminé dès le premier tour des qualifications.

Aria sortit alors de sa cachette exiguë. Il devait être déçu, c'était certain. Elle envisagea de lui envoyer un message pour lui faire part de son soutien. Elle commença à taper quelques mots qu'elle effaça immédiatement, se trouvant trop maladroite ou trop impersonnelle. Si elle débutait dans le domaine de la Formule 1, elle avait, durant toute sa vie, entendu des phrases de fausse compassion qu'elle s'était jurée de ne jamais utiliser à son tour. Finalement, elle envoya simplement un coeur vert. C'était la couleur de ses yeux. Et ça symbolisait qu'elle veillait sur lui, qu'elle pensait à lui et qu'il pouvait la joindre s'il le souhaitait.

Elle se regarda dans le miroir qui lui faisait face. Elle se trouvait bien différente de la Aria du début de l'année qui était alors fatiguée, amaigrie et éteinte. Sa vie s'était améliorée et cela se reflétaient sur ses traits qui étaient détendus, rendant son visage joyeux et rayonnant. Elle ne voulait pas imputer tous ces progrès à Pierre, bien qu'il était en grande partie responsable de sa bonne humeur actuelle. Il l'avait aidée certes, mais son désir d'indépendance étant toujours aussi fort, elle voulait croire que même s'il sortait de sa vie, elle garderait toujours sa détermination à accepter son passé, à aller de l'avant et à s'ouvrir à ce que la vie lui offrait, même si cela restait toujours très difficile pour elle.

La brune détailla une dernière fois les différents éléments de son visage avant de sortir. Elle s'attarda sur ses lèvres qu'elle avait mis en valeur avec un simple rouge. Elle rectifia son maquillage et en passant ses doigts sur sa bouche, elle ne put s'empêcher de se remémorer le goût de celle du pilote et toutes les émotions que leur contact avait provoqué chez elle. Et elle se surprenait à vouloir répéter ce geste au plus vite. Elle devait bien se l'avouer. Il lui manquait. Et elle avait hâte de le retrouver bien qu'elle ne savait quand cela serait possible.

La jeune femme retourna à la réception et se dirigea vers la table qui lui était attribuée. Elle essaya de s'impliquer davantage dans les discussions en parlant des tâches qu'elle occupait au sein de la société. Elle s'efforçait de rester professionnelle, elle qui détestait évoquer sa vie personnelle. Mais elle mit un point d'honneur à profiter du gala et des ses collègues qu'elle allait probablement quitter à la fin de son contrat en alternance.

Elle rentra chez elle un peu avant une heure du matin, préférant les services d'un Uber au métro qui l'obligeait à traverser son quartier à pied alors qu'elle avait passé des escarpins que Lucie lui avait prêtés pour l'occasion. Elle les ôta d'ailleurs pour gravir les étages et arriva dans la chambre vide. Thomas avait insisté pour passer la nuit avec Nina sous prétexte qu'il ne voulait pas « se faire voler son titre de tonton cool par un certain pilote ». Aria se démaquilla et se laissa tomber sur son lit froid. Elle s'apprêta à éteindre son téléphone pour la nuit quand l'appareil afficha la photo d'un jeune homme aux yeux bleus océan. Elle décrocha alors tout en s'installant sous sa couette et en calant le smartphone sur un oreiller à côté d'elle.

« J'arrive trop tard pour contempler ta superbe tenue, fit-il remarquer l'air déçu.

- Je t'enverrai une photo... Et puis, je pourrais toujours faire un effort la prochaine fois qu'on se retrouvera, sourit-elle.

- Il faudra que je sois à la hauteur pour être vu avec toi.

- Tu sais très bien que tu coches déjà toutes les cases, lui confia-t-elle. Un silence s'installa. Le châtain manipula son téléphone. Elle put apercevoir qu'il était en caleçon dans sa chambre d'hôtel. Il déposa l'appareil de la même façon que la jeune femme. Ainsi, ils avaient presque l'impression d'être allongés côte à côte.

- Pas toutes... soupira-t-il finalement. Pas celles qui permettent de faire une bonne qualif en tout cas.

- Je suis désolée Pierre, j'ai suivi les résultats en direct.

- Pour voir ça, ce n'était pas la peine...

- Je ne suis pas d'accord, rétorqua-t-elle. Une équipe se soutient autant dans les victoires que dans les défaites. Même davantage dans ces moments là.

- On est une équipe ? L'interrompit-il.

- Quoi d'autre sinon ?

- J'aime bien cette idée, un sourire se dessina sur ses lèvres. Elle aurait aimé pouvoir les toucher et les sentir à travers l'écran.

- J'aimerai pouvoir t'aider... soupira-t-elle finalement.

- Tu le fais déjà Aria. Ils contemplèrent le visage de l'autre sans rien dire. Il est quelle heure chez toi ?

- Presque deux heures, constata-t-elle alors que toute la fatigue qu'elle avait ressentie dans le taxi s'était évaporée en voyant l'appel du pilote.

- Tu devrais dormir, conseilla-t-il.

- Ça ne me gêne pas de rester en ligne avec toi si c'est ce que tu veux.

- On ne risque pas de réveiller Nina ? S'enquit-il.

- Non, elle est avec Thomas. Il a peur que tu lui voles son titre de super nounou... Sa remarque provoqua le rire cristallin du jeune homme.

- J'ai une piste pour son cadeau d'anniversaire, je vais mettre la barre très haute ! Je lui fais envoyer pour qu'il arrive le jour J ? C'est bien le 30 ? S'informa-t-il.

- Oui c'est ça. Je pense que ça lui ferait plaisir que tu lui donnes en personne. Enfin, je ne sais pas quand on pourrait se revoir...

- Apres le Grand Prix d'Autriche, c'est promis, répondit-il instantanément prouvant ainsi qu'il y avait déjà réfléchi. C'est un peu moins de deux semaines avant Le Castellet. Vous viendriez ?

- Avec plaisir, souffla-t-elle.

- Après, il y a encore l'Autriche. Et puis c'est la pause... On pourrait peut être... »

Emportée par la fatigue, Aria n'entendit jamais les mots qui suivirent. Elle se réveilla le lendemain et constata que son téléphone reposait toujours sur le lit. Le pilote lui avait laisser un petit message simplement composé d'un coeur bleu accompagné d'une capture d'écran qui la montrait en train de dormir. Elle sourit, heureuse de débuter sa journée ainsi. La franco-italienne enfila des affaires de sport pour aller chercher Nina en courant. Elles profiteraient du retour pour faire une petite balade et éventuellement déguster une viennoiserie dans un parc ou sur les quais.

Elle ferma la porte et dévala les escaliers. Elle jeta un œil dans sa boite aux lettres et attrapa le courrier qui y reposait. Le tampon indiquait qu'il provenait d'un cabinet d'avocats dont elle reconnaissait le nom. Elle s'empressa de déchirer l'enveloppe et parcourut la lettre qui lui était destinée. La jeune femme se mordit la lèvre inférieure pour étouffer un sanglot avant de se laisser tomber sur les marches des escaliers. Son passé revenait frapper à sa porte, entraînant avec lui dans un tourbillon le monde qu'elle commençait tout juste à apprécier.

···

LE SOLEIL & LA LUNE - PIERRE GASLYOù les histoires vivent. Découvrez maintenant