32. Manquer.

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"So tell me when you're gonna let me in
I'm getting tired and I need somewhere to begin
And if you have a minute why don't we go
Talk about it somewhere only we know ?
This could be the end of everything"

-Keane, Somewhere Only We Know

...

Aria. Monaco.

La porte s'ouvrit sur le pilote, la sortant de ses pensées. Elle le suivit du regard, passant devant elle et s'asseyant à la place qu'il avait délaissée. Il leva finalement les yeux vers elle et elle put percevoir sa détresse. Son âme était brisée, tout comme la sienne. Et il n'y avait que la joie de Nina qui avait le pouvoir de recoller les morceaux.

« C'était ma mère, indiqua-t-il finalement. C'étaient les premiers mots qu'ils s'échangeaient de la journée. Ils s'inquiètent. Ils vont annuler les vacances et rentrer. Je pense que mes parents vont venir à Monaco.

- Ils ne sont pas obligés, Aria avait la sensation que les choses ne seraient qu'un peu plus concrètes si toute la famille du pilote faisait le voyage pour soutenir l'adolescente. Elle avait déjà eu du mal à convaincre Lucie et Thomas de ne pas se déplacer.

- Elle fait partie de la famille, argumenta Pierre.

- Parfois, c'est peut-être bien de ne pas porter seul ses fardeaux et ses secrets. »

Elle vit à son regard qu'il avait compris qu'elle ne parlait pas seulement de la situation actuelle. Elle revenait sur leur accord, sur cette période de leur vie qu'ils avaient préféré enterrer parce que cela semblait être la seule manière de se soigner. De se protéger. D'avancer. Aujourd'hui la brune remettait cette solution en question. Peut-être aurait-elle dû traiter tous les problèmes les uns après les autres au lieu de chercher à les lier les uns aux autres et à les régler ensemble.

« Tu crois qu'on s'en libère vraiment un jour ? demanda le pilote.

- Je crois qu'on avance. On les traîne, on les tire de toutes nos forces en les empêchant de nous ralentir. Et puis un jour, on s'aperçoit qu'ils pèsent un peu moins lourds. Et même qu'ils nous aident à avancer un peu plus vite. À nous préparer à certaines choses... souffla Aria, le regard vide porté sur le corps inerte de sa sœur.

- On se prépare jamais vraiment à ça, corrigea-t-il.

- J'ai encore fait du mal à notre bébé.

- Aria...

- Ne dis pas que ce n'est pas de ma faute. Je suis le dénominateur commun de toutes leurs peines, affirma-t-elle. »

Sa mère. Condamnée à élever l'enfant qui lui rappelait tous les jours la perte du grand amour de sa vie. Partie trop tôt en cherchant inconsciemment à le retrouver.

Sa sœur. Confrontée à la perte dès son plus jeune âge. Séparée de son père et de Pierre, seulement parce qu'Aria l'avait décidé.

Son bébé. Qu'elle n'avait pas su voir grandir et qu'elle avait laissé mourir.

Pierre. Qu'elle avait repoussé à cause de cette culpabilité qui la dévorait.

« Aria... reprit le pilote. Tu dois te concentrer sur le positif. Sur tout ce que tu leur as apporté. Ce n'est pas l'univers qui essaye de te punir ou qui te condamne à souffrir, tu sais. C'est la faute d'un chauffard ou d'un connard. C'est la faute au hasard. Ne t'oblige pas à prendre encore un fardeau supplémentaire sur tes épaules s'il-te-plait.

- Ça m'a brisée tu sais... Il la regarda, interloqué, ne sachant de quelle partie de son histoire elle parlait. La fausse couche, répondit-elle à sa question silencieuse. Ça m'a brisée parce que je commençais à croire que je pourrais être une mère. Je veux dire. J'avais aucun doute par rapport à toi. Je savais que tu allais être un père extraordinaire. Un père merveilleux. Et moi je ne m'en croyais pas capable. Mais à ce moment, je pensais pouvoir être moyenne. J'aurai pas été à ta hauteur mais tu m'aurais sûrement tirée vers le haut. Tu m'aurais permis de devenir meilleure. C'était déjà ce que tu faisais depuis quatre ans, soupira-t-elle. Pierre la fixait, les yeux brillants par ses révélations. Il comprenait seulement maintenant ce qui l'empêchait d'avancer à l'époque. Et puis, la fausse couche a tout remis en question. Non seulement, je n'avais pas vu que j'attendais un bébé. Et en plus, il était mort de par mon manque d'attention. Si j'avais compris que j'étais enceinte, peut-être que... Sa voix se brisa et le jeune homme se rapprocha pour l'entourer de ses bras.

- Ne refais pas l'histoire, s'il-et-plaît. Tu es la personne la plus attentionnée que je connaisse. Tu prends soin de tous ceux qui t'entourent. Tu as pris soin de notre bébé, n'en doute jamais. Il laserra fort. Aussi fort qu'elle en avait besoin. Une promesse que, cette fois, la douleur ne parviendrait pas à gagner. Qu'elle ne pourrait pas prendre le dessus et les séparer.

- Tu désires tellement une famille. Et j'ai pas pu te l'offrir.

- J'avais déjà une superbe famille. Et je l'ai vu trop tard, répliqua-t-il. On a tous les deux nos tords. Maintenant qu'on les a reconnus, on peut juste avancer. Avancer. Ce mot raisonnait dans le vide. Ca lui semblait tellement loin en cet instant. Impossible. Mais alors qu'ils étaient à nouveau au bord du gouffre, les deux adultes se livraient l'un à l'autre. Ils refermaient ensemble les blessures du passé. Une manière de se préparer à celles qui étaient en train de s'ouvrir.

- Je suis tellement désolée, Pierre, souffla-t-elle dans un murmure. Ce n'était pas un manque de confiance en nous deux... avoua-t-elle. C'était un manque de confiance en moi. Et j'ai pas réussi à te le dire.

- Je ne t'en veux pas. Je n'ai pas réussi à exprimer ce que je ressentais aussi. Et j'étais tellement concentré sur moi que je ne suis pas parvenu à te mettre à l'aise. Elle voyait qu'il essayait d'apaiser son cœur. De partager les fautes. Maintenant, tu vas me promettre que si jamais tu doutes encore, tu te rappelleras que moi, je crois en toi. Que Nina croit en toi. Elle hocha la tête et entreprit de sécher ses larmes. Il faut qu'on accepte que nos vies seront à jamais entremêlées.

- Tu seras toujours important pour moi. Aria jeta un coup d'œil à la tête blonde qui dépassait des draps. Quoiqu'il arrive, souffla-t-elle en culpabilisant aussitôt de penser que le pire pourrait se produire. Mais elle avait besoin d'identifier un point d'ancrage qui lui permettrait de se maintenir à flot. D'essayer de ne pas couler. De ne pas se laisser entraîner vers le fond.

- Quoiqu'il arrive, confirma-t-il. »

Un pacte. Comme Aria en avait déjà faits quelques-uns dans sa vie.
La promesse de continuer à vivre selon les valeurs que sa grand-mère lui avait inculquées.
La promesse de veiller sur sa sœur et de prendre soin d'elle.
La promesse d'être toujours là pour Pierre. Elle la renouvelait aujourd'hui après avoir failli pendant longtemps. Mais elle s'appliquerait à ne plus jamais y manquer.

...

Vous connaissez le mythe de la peur de gagner ? Le sportif qui se saborde tout seul au moment de réaliser son rêve de victoire ? Est-ce que ça existe quand on écrit ? Plus j'approche des derniers chapitres et moins j'arrive à les rédiger...

LE SOLEIL & LA LUNE - PIERRE GASLYOù les histoires vivent. Découvrez maintenant