31. Partie.

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"I opened up my eyes
And found myself alone
Alone
Alone above a raging sea
That stole the only girl I loved
And drowned her deep inside of me"

-The Cure, Just Like Heaven

...

Pierre. Monaco.

Pierre se berçait d'illusions. Il gardait les yeux fermés avec le mince espoir de trouver enfin le sommeil. Ses paupières s'entrouvrirent et il capta un faible faisceau lumineux témoignant du jour qui se levait. Il voulut s'endormir sur-le-champ, et attendre que l'aurore chasse tous ses cauchemars. Ses mauvais rêves qui venaient aujourd'hui se calquer sur sa réalité. Ses plus grandes peurs. Ses pires angoisses.

Il percevait la respiration d'Aria qui retenait ses larmes. Peut-être qu'elle n'en avait tout simplement plus. Peut-être qu'il lui était impossible de pleurer encore. Il savait qu'elle n'avait pas dormi plus que lui. Qu'elle restait là, allongée à attendre l'heure à laquelle ils pourraient se rendre à l'hôpital. Aucun des deux n'avait le courage de dire quoique ce soit. De faire le premier pas. De se lever pour affronter cette journée.

Et puis la sonnerie du réveil fendit l'air pour les mettre face à la réalité. Deux automates. Ils se levèrent. Se préparèrent. Sans rien dire. Tout n'était que silence. Pesant. Lourd. Un fardeau.

Aucun mot n'était à la hauteur de l'instant. Aucun terme n'était assez puissant pour se rassurer. Pour se consoler. Pour exprimer ce qu'ils ressentaient.

Chaque minute qui passait creusait un peu plus le gouffre dans lequel ils se trouvaient. Et aucune échelle ne pouvait exprimer la profondeur à laquelle ils s'enfonçaient. Pierre essayait de compartimenter toutes les informations que son cerveau traitait. Observer. Analyser. Opérer. Observer. Analyser. Corriger. C'était à ça qu'il était formé.

Le déni. Les barrières qu'il construisait autour de son esprit pour ne pas voir. Pour ne pas y croire. Pour se protéger et se conforter dans l'idée que sa réalité ne vient pas tout juste de s'effondrer. Parce que c'était trop difficile de s'imaginer ouvrir les yeux ce matin, si elle n'était pas derrière les fourneaux à préparer des pancakes en chantonnant. Parce que c'était impensable de perdre son équipière à qui il n'avait pas eu l'occasion de dire "au revoir". De dire "merci". De dire "je t'aime". C'était un cocon douillet. Un lieu parfait. Et il devait se faire violence pour le quitter. Parce que y rester, c'était aussi être incapable d'anticiper. C'était, à tous les coups, se laisser submerger.

La colère. Contre un chauffard. Contre le hasard. La haine qu'il nourrissait mais qui n'était destinée à personne. Alors elle se retournait contre lui-même. En vouloir à l'univers. Parce qu'elle avait toujours fait le bien. Parce que c'était ce qui était juste. Et aussi parce que les lois du monde punissaient toujours les gens mal attentionnés. Il avait lui même contribué à lui inculquer ces valeurs. Mais à quoi bon si rien ne finissait par payer ? Quelle était la morale de toute cette histoire ? Et si, il lui avait finalement menti sur le véritable sens de la vie, parce que lui-même ne l'avait toujours pas compris.

L'impuissance. Il ne pouvait rien faire. Et Pierre devait se faire à cette idée. Rester assis là, sur une chaise. Et attendre. Perdre tout contrôle sur la situation. Il était un lion en cage, incapable de se résigner. Il s'était toujours donner les moyens de viser le plus haut. D'atteindre les sommets. Au-delà de son esprit de compétiteur, le pilote savait pertinemment que ça ouvrait le champ des possibles et que ça lui garantissait d'avoir toutes les cartes en main pour rester maître de son destin. Mais face à ce constat, toutes les options lui étaient refusées.

LE SOLEIL & LA LUNE - PIERRE GASLYOù les histoires vivent. Découvrez maintenant