Chapitre 1 - Un cercle dans un autre

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Typhenn poussa plus fort sur ses jambes. Enfin, la grande maison en colombages arrivait dans son champ de vision.

Ce n'était pas le moment de se faire remarquer. Sans ralentir, elle vérifia une dernière fois l'adresse du rendez-vous écrite sur sa main. Le trajet à pieds lui avait pris plus de temps que prévu pour rejoindre la banlieue rennaise. Les bus n'allaient pas assez vite à son goût, Typhenn avait préféré courir. Une décision vite regrettée, lorsqu'il l'avait dépassée. Dès qu'elle eut retrouvé son souffle, elle franchit ce qui restait du portillon en bois. Les paillettes de peinture blanche écaillée lui collèrent à la paume. Les frotter sur son pantalon noir ne se révéla pas la meilleure des idées.

Dans la cour, un gros rottweiler enchaîné à un piquet aboya sur son passage. Il tirait si fort sur son collier que le piquet vacillait de façon inquiétante. Typhenn accéléra, veillant à rester loin du gardien et de ses crocs.

L'ancienne bâtisse avait été transformée en grands appartements. Le vestibule s'étirait en un long couloir étroit qui se séparait en deux. Une porte pendait sur ses gonds et s'ouvrait sur un petit cagibi creusé sous l'escalier. Un vélo rouillé retenait la porte bancale et bloquait l'accès à la cour intérieure. Typhenn ajusta les lanières de son sac avant de s'élancer à l'assaut des trois étages.

L'escalier proférait des menaces grinçantes dès qu'elle l'effleura du bout de ses bottines. Le temps avait creusé une courbe au centre des marches.

Elle les gravit quatre à quatre, se projetant vers le haut, s'aidant d'une main sur le mur, l'autre sur la rambarde.

Une odeur de feuille et de thym brûlés descendait des combles. Typhenn se glissa entre deux hommes serrés dans le peu d'espace qu'offrait la porte. Le premier, un druide, enroulé dans un long manteau blanc et les cheveux roux, lui tournait le dos, l'autre s'entourait de l'aura sévère et coincée des veilleurs. Le druide répétait la même phrase en boucle de plus en plus fort, ajoutant une variante de temps en temps. En résumé, en tant que druide envoyé par sa grande prêtresse, il voulait qu'on le laisse entrer au lieu de le retenir.

Typhenn ignora l'énervé du palier, elle se plaça sous son nez, et donna son nom : Alexandre et ajouta le nom de celui qui l'attendait : Ronan Vaugren. Le nom de son supérieur suffit au garde. Il s'écarta, presque raidi par un garde à vous. On attendait un prêtre du Noun. Ayant plus d'un prêtre dans sa famille, le veilleur reporta son attention ennuyée sur celui qui postillonnait, sans poser de questions. Le druide était si grand, que le jet de salive lui passa au-dessus de la tête sans qu'elle n'eût à courber l'échine.

Les veilleurs se bousculaient à l'intérieur, Typhenn doutait de pouvoir entrer à son tour dans l'espace surpeuplé du studio. Elle avait trop tardé à venir. Leur boss avait appelé en renfort une équipe choisie à la hâte composée d'habitués de la chasse, et non de spécialistes en magie. Ils photographiaient tout ce qui leur passait sous les yeux, sans savoir ce qui importait, avant que tout soit nettoyé. Jouant des épaules et des coudes, elle se fraya un chemin entre les veilleurs en se laissant guider par les voix. Elle bouscula l'un d'entre eux accroupi qui examinait une tâche sur le plancher. Il se retient de justesse d'embrasser le plancher. Elle avait déjà disparu lorsqu'il se retourna, le laissant grommeler dans son coin.

Un vieux sofa élimé et griffé croupissait seul devant une télé contre un des nombreux murs vierges du studio. Aucun tapis ni rideau égaillait l'ambiance froide de l'appartement. Le propriétaire ne possédait visiblement aucune photo de famille à accrocher. Une armée de bougies qui répandaient encore des coulures de cire sur les meubles, et gouttaient en filament blanc jusqu'au sol. Le résident, un célibataire enclin à décorer son espace d'objets ésotériques, ne justifiait pas la présence du druide qui vociférait dans le couloir. Ces derniers aimaient avoir leurs mots à dire lorsqu'une affaire concernait ce qu'ils aimaient appeler des sorciers, une forme d'insulte pour désigner des druides qui tournaient le dos à mère Nature, leur déesse.

Dans la salle, elle reconnut les cheveux bouclés de Cécilie et de sa sœur, Charlie. Les jumelles Vaugren retournaient les tables et les chaises, relevant sur des blocs-notes des inscriptions gravées avec une pointe dans le bois. Charlie jeta un œil sur le carnet et commença à discuter la précision des reproductions de sa sœur. Le ton monta. Typhenn en profita pour traverser discrètement. Si ces deux-là mettaient leur nez partout dans l'appartement, Ronan ne devait pas être loin non plus.

La porte d'AkerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant