Le fort - part3

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Le son des perles d'Orlène qui s'entrechoquaient poussait Typhenn vers l'avant.

Leurs vues s'adaptèrent à l'obscurité, mais cela ne les empêchait pas de se prendre les pieds dans les racines. Une fois suffisamment éloignée du chalet, Orlène claqua des mains et des globes de lumières diffuses apparurent, éclairant les feuilles rases. En passant près d'un globe, elle comprit qu'il s'agissait de feux-follets. Ils tournaient légèrement sur eux même et bondissaient, impatients d'être suivis.

Les feuilles frissonnaient alors que le froid tombait sous la canopée. Les petits nuages de leurs souffles se révélaient seulement dans la proximité des feux follets. Typhenn la surveillait du coin de l'œil, enviant la druidesse dans son manteau de fourrure. Ses chaussures souples progressaient sans bruit sur le sol couvert de brindilles. Typhenn sentait sa présence, mais ne l'entendait pas, comme suivi par un fantôme.

La fin de la conversation entre Ronan et Yan attira son attention vers l'avant de la file. Les deux jeunes hommes avaient pris de l'avance, menés par le renard qui trottinait au rythme de leurs grandes enjambées.

—  Dis-le-lui, elle t'écoutera peut-être, râlait Ronan particulièrement fort.

La réponse étouffée de Yan se perdit dans la nuit.

La voix de Typhenn s'éleva, tranchant le silence de la forêt :

—  Me dire quoi ? Des battements d'ailes s'envolèrent des cimes, sûrement des chauves-souris. Elle n'aurait jamais pensé que sa voix puisse porter si loin. Que grâce à moi nous avions un prisonnier !

Et grâce à Ronan, il l'avait perdu.

Ronan parla par-dessus son épaule, acide. Seul son œil bleu, le plus clair, était visible.

—  Que le golem était un piège, que je commence à croire qu'en te jetant bêtement dans la gueule du serpent, tu cherches à mourir de manière stupide.

Typhenn s'arrêta net. Personne ne l'empêcherait de se battre contre le chaos. On l'avait formé dans ce but. Elle n'avait aucun compte à lui rendre.

—  Kieran était sous tes ordres, lui rappela-t-elle. Ils ont tellement d'admiration pour ton père qu'ils retournent tous leurs vestes pour aider le sorcier ! Tu es incapable de te faire respecter et je dois réparer les pots cassés.

En soi, cela ne l'étonnait même pas. Suivre Andraste leur promettait ce qu'ils désiraient le plus : une vengeance brutale.

Ronan s'arrêta à son tour, opérant un demi-tour fulgurant. Il lui jeta une œillade mauvaise, il n'appréciait pas qu'elle change de sujet et questionne leur loyauté.

— Rien n'est encore prouvé. Mon père reste un suspect au même titre que ton cousin nécromancien.

— Vraiment ? Il te faut quoi de plus, son nom ? Le provoqua Typhenn. Kieran sera ravi de me le donner une fois que je l'aurai écorché !

Elle pivota sur ses talons. Il n'y avait qu'un moyen d'en avoir le cœur net. Interroger Kieran jusqu'à ce qu'il crache le nom du sorcier. Typhenn lui arracherait les doigts un par un pour le faire parler, si elle le devait.

Ronan laissa échapper un flot de jurons incompréhensibles.

— Typhenn ! Tu as entendu ce qu'il adit, la supplia Yan. Ils te voulaient, toi.

L'acte était une simple bravade pour ventiler sa frustration à devoir se cacher, Typhenn ne se voyait pas refaire le chemin inverse sans se perdre. Elle continua balayant une lanterne volante sur son passage,sourde à tout bon sens. Elle avait abandonné le sien, aux flammes de l'outchébit, avec sa maison.

Orlène ajouta un avertissement que la jeune femme ignora.

— Athama ! rugit Ronan, ses bottes frappaient la terre. Il la rattrapa en quelques enjambées.

Typhenn fit volte-face,son poignard déjà en main. Une flèche traversa la poitrine d'Orlène avec un bruit sourd. La druidesse chavira, son expression déformée par l'empenne enflammée. Elle disparut en touchant le sol, avalée par les camaïeux des feuilles mortes.

Ronan tira Typhenn derrière un arbre alors qu'une salve se plantait à ses pieds.

Le sifflement familier des balles s'écrasait autour d'eux, craquant et explosant les écorces. Les échardes volaient en nuées désordonnées, les obligeant à se protéger les yeux. Le renard s'enfuit en grognant comme une fusée hors du chemin. Un tir la toucha à la cuisse, mais le bras de Ronan la maintenait fermement debout contre lui, prenant garde à ne pas serrer ses côtes trop fort. La lumière des feux-follets déclina considérablement. Leur lueur mourante les dissimulait, restreignant leur vision à moins d'un mètre.

Tout s'arrêta aussi soudainement que les tirs avaient commencé.

***

Ils restèrent sur leur garde à écouter la forêt. Le hululement des hiboux et les pattes feutrées des animaux en fuite. Il n'y eut pas d'autre attaque. Typhenn compta ses respirations et les flèches piquées dans le sol. Une dans les feuilles, six dans les racines autour de leur cachette. La sciure nevolait plus lorsqu'elle osa enfin parler.

—  Ils sont partis, tu peux me lâcher, lui signala Typhenn sans ranger son akhamé. Elle ne se leurrait pas. Les flèches étaient un cadeau pervers des jumeaux. Sophie avait retrouvé Kieran. Munis des armes à feu de Ronan, ils auraient pu les tuer. Par chance ou par malheur, ils préféraient jouer avec eux.

Ronan laissa passer un moment.

—  Un avertissement. Ils n'attaqueront pas cette nuit. Nous sommes trop près du fort, conclut-il. Il poussa Typhenn devant lui. Rien qu'une fois, cela te tuerait d'admettre que tu as tort ?

Ses reproches résonnaient comme un écho lugubre aux dernières paroles de Rafe. Pour une fois, arrange tes bêtises seules. Elle ravala son orgueil, changeant de sujet.

—  Où est Yan ?

Ils le trouvèrent recroquevillé, la tête entre les mains, à peine visible entre les racines et les bruyères. Derrière lui, elle remarqua le mouvement d'une course rapide. Des pattes arrières soulevaient les feuilles et balayaient les ronces. Typhenn ravala un cri en voyant le renard sortir le museau de sous les bruyères. Il posa sa tête sur les jambes du garçon qui frissonna. Il releva lentement les yeux.

Le renard se détourna, et commença à gratter les feuilles autour de la hampe fumante plantée dans l'humus, tout ce qu'il restait de la druidesse.

La porte d'AkerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant