Le fort - part5

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—  Qu'est-ce que tu fais, on ne se sépare pas !

La voix de Ronan dispersa l'apparition. Il n'y avait plus la moindre trace de corbeau, pas un bec, pas un battement d'ailes, pas une plume. À leur place, Napoléon la tirait sur le chemin, son pantalon dans sa gueule et les pattes avant enfoncées dans la terre.

Orlène claqua la langue, montrant son agacement.

— Un sortilège qui protège la forêt a failli t'avoir, jeune fille. Ah, je te proposerais volontiers des serpes pour remplacer vos akhamés. Un enfant de Maât cause déjà assez de remous. Vous attirerez toutes les ombres des forêts. Orlène retroussa ses jupes et partit à grandes enjambées ponctuées de :dépêchons, dépêchons !

Typhenn secoua la tête, se débarrassant des dernières toiles de l'illusion.

Le renard resta collé à ses talons, comme inquiet qu'elle s'égare encore une fois.

Cette magie n'avait rien à envier à celle d'Isis. Morighane avait dû être redoutable pour que ses sortilèges soient enracinés si profondément dans la terre. Ses sorts s'accrochaient au monde alors qu'elle avait disparu depuis des siècles.

Le temps qu'ils arrivent au fort une pluie fine tombait du ciel noir. Les branches nues ne les protégeaient pas de la bruine qui recouvrait le bois. Ce brouillard étouffait les feux follets en un faible halo qui déposait ses paillettes scintillantes sur les feuilles et les fourrures de la druidesse.

Ils entendirent le mur bourdonner à plusieurs mètres avant de voir la lisière de la forêt se clairsemer. Le chemin s'éclaircit, des étoffes tressées entouraient les derniers arbres et des breloques suspendues aux branches tintaient dans la faible brise nocturne.

Le mur de pierre n'entourait pas tout le fort.Par endroit, un chemin de ronde délimitait le fort. Des pierres dépassaient des feuilles jaunes en pointes traîtresses. Orlène ouvrit la voie à grands pas, sa jupe claquait entre ses chevilles, rythmées par les perles qui s'entrechoquaient à ses poignets.

Ils la suivirent en file indienne sous une arche assez large pour faire passer quatre adultes en même temps. Des ronces aussi épaisses qu'un pouce mangeaient les pieds de l'arche,accrochant leurs griffes à la pierre pour s'élever.

Le fort ressemblait plus à une grande ferme entourée d'un petit village abandonné. Deux feux-follets identiques à ceux sur le chemin éclairaient la cour centrale. Leurs lumières croissaient à mesure que le groupe progressait entre les bâtiments, alors que les globes dans leurs dos s'éteignaient,plongeant l'étendue vallonnée dans un noir opaque. Un arbre coincé entre deux façades s'étirait de tout son corps penché au-dessus du ciel.

Un nœud se logea dans son ventre. Plus qu'auparavant, la certitude qu'il n'y avait pas de retour possible étreignit Typhenn.

Deux druidesses enroulées dans des pelisses, l'une argentée, l'autre brune, se levèrent d'un banc à leur approche, alors que Napoléon se posait devant elles. Celle sous la fourrure argentée serra Orlène dans ses bras. Seuls ses cheveux roux dépassaient de sa capuche beaucoup trop large.

—  Tu n'avais pas besoin de nous attendre sous la pluie. Napoléon serait revenu droit vers toi. Va te reposer maintenant. Tu en as besoin, lui intima doucement Orlène en la prenant par les épaules.

Elles échangèrent quelques mots, puis les deux druidesses se retirèrent d'un pas lent vers le bâtiment le plus long, se retournant une fois vers eux.

Orlène poussa une porte de bois décoré de motifs celtiques, les introduisant dans une petite entrée. Elle ouvrit un placard rempli de bougies suspendues par leurs mèches encore reliées. Elle leur distribua des lampes à pétrole en leur expliquant qu'ils s'efforçaient de vivre en accord avec la nature. Ils coupaient donc le groupe électrogène à vingt-et-une heures tapantes.

La porte d'AkerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant