Les lois d'Anubis - part2

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Typhenn s'éveilla avec la vision de Seth à l'intérieur du Neb au-dessus de la cheminée. Cette demeure de pierre aurait dû être fermée aux mortels. On avait brisé consciencieusement la paroi frontale pour révéler le dieu caché à l'intérieur. Ses yeux perçants l'observaient, aussi rouges que le feu céleste au bout de sa lance.

Le jour, dans un ciel encore indigo, perçait timidement à la petite fenêtre en hauteur. Elle avait dû s'assoupir quelques heures. Elle massa son dos raidi par le froid montant du sol. Des vêtements déposés sous sa tête lui servaient d'oreiller et le plaid de Yan s'ajoutait au sien.

La douce voix de Ronan lui rappela que les événements de la veille n'appartenaient pas aux rêves.

Il expliquait calmement à Yan la nature des ombres, ces spectres qui infestaient les tunnels, et comment les repousser. Typhenn se serait presque sentie jalouse du ton familier qu'il employait. À l'entendre, Ronan pourrait faire un maître convenable.

— Les ombres sont le reflet des morts, une moitié d'âme toujours liée au royaume terrestre. Ce ne sont pas vraiment des momies réanimées par les restes des ka. Une âme entière ne pourrait pas être soumise à une unique volonté,rit Ronan lorsque Yan suggéra une référence à La Momie.Les signes d'une nuit blanche marquaient son visage tiré. Il gardait sous la main une grande tasse de café froid. On peut les contenir. Les renvoyer est délicat. Celui qui les a conduits jusqu'à notre monde reste le mieux placé pour cette opération.

Sans les tics qui figeaient le visage du garçon,on aurait pu croire qu'il n'avait pas été marqué à blanc par l'homme avec lequel il se permettait de plaisanter.

À la mention de dimensions, Yan les perdit très vite avec ses théories tirées d'internet. Ronan, assit sur un coin de table, se contentait de secouer la tête avec un sourire devant son entrain et ce flot de paroles sans queue ni tête.

Typhenn, restée silencieuse jusque là, repoussa les plaids et interrompit le cours improvisé. Son intervention fit sursauter Yan.

— Sauf qu'il est mort depuis longtemps.

Les anciens avaient eu la sottise de se débarrasser de lui sans rompre le sort au préalable.

Au plafond, l'ampoule jaune grésilla, alors qu'elle s'étirait comme un chat. Ronan braqua un regard accusateur sur elle. Plus exactement sous elle. Il récupéra le grimoire abandonné par terre ne ratant pas l'occasion de l'accuser de le dissimuler sous ses fesses.

— Qu'est-ce qu'il faisait par terre ?Je ne lis pas le latin, se justifia Typhenn en grognant et frottant son dos douloureux. Si elle avait vraiment roulé dessus, rien d'étonnant à ce que ses reins souffrent.

Ronan le parcourut en diagonale. Il s'interrompit et lui accorda un coup d'œil qui ne dura qu'une fraction de seconde durant laquelle elle se sentit jugée sans pitié. Son œil bleu lui parut plus prompt à voir le mal que le marron.

— Un manuel alchimique, commenta Yan en le consultant en même temps que Ronan. Les enluminures sont cryptées, tout le monde sait que le texte... La fin de sa phrase se perdit dans un marmonnement gêné lorsqu'il croisa son regard grincheux.

Typhenn l'ignorait.

Ronan avait épluché tous les manuscrits des archives à la recherche de rites nécessitant des sacrifices. Il suivait la piste selon laquelle les assassinats pouvaient être liés à la montée du nombre des spectres.Muni de la date exacte de la création des spectres, il les renverrait définitivement dans l'autre monde.

— On pourrait demander à votre dieu des morts d'interroger une âme, proposa Yan.

Typhenn aurait préféré qu'il se taise et se contente d'écouter. Ils auraient convoqué Anubis dans l'heure si la tâche était aussi facile à dire qu'à faire. La porte qui séparait le Noun de la terre ne laissait passer que les petits akhou. Or un ka sans enveloppe se dégradait sur terre. Donc invoquer un esprit relevait du rêve.

— Nous avons perdu beaucoup du savoir que les prêtres de Pétosirs gardaient jalousement. Tout est parti enfumée avec Alexandrie, ce que tu vois ici, a pu être sauvé de Philae. Quant aux dieux, ils sont hors de portée, résuma Ronan en reprenant sa place sur le bureau improvisé, une jambe dans le vide,où il pouvait embrasser l'intégralité du savoir troqué et volé comme de l'argent sale caché sous un matelas.

— Yan n'a pas tort, tu pourrais faire quelque chose avec tout ce savoir que tu caches. On pourrait essayer de ramener l'équilibre. Typhenn saisit la statuette de Pharaon qui se tenait dignement sur la cheminée, les bras croisés sur la poitrine, fouet et sceptre en main.

— Tu parles de Per-aâ, s'esclaffa Ronan.Si le roi existait, il serait revenu depuis longtemps. Ronan récupéra la figurine et la laissa tomber dans les braises de l'âtre.

Typhenn détacha son regard du pharaon dans le lit de flamme et le suivit, évitant le sofa dans l'espace étriqué.En trois enjambées, elle lui collait presque au dos.

— Nous sommes les enfants de Maât, les gardiens du sommeil de Per-aâ, s'indigna Typhenn. La colère était une menace sourde qui la dévorait de l'intérieur. Elle n'arrivait pas à croire son comportement, qu'il venait détruire une création de la maison d'Or, alors qu'une statue, peu importait sa taille,pouvait abriter une âme. Il poussait l'insubordination et le mépris encore plus loin que lorsqu'il introduisait des armes impures dans le temple. Cette fois, elle voyait le corps de son roi brûler.

Ronan eut un mouvement d'arrêt, puis se retourna avec un maintien impérieux. D'un geste, il l'encouragea à lui expliquer le fond de sa pensée.

Elle embrassa toute la bibliothèque du regard,tout ce savoir interdit, ces manuscrits de sorcellerie. Allant du Livre de vie à la science des druides. Ronan devait avoir la possibilité de faire appel au pouvoir des dieux. Ce savoir devait exister quelque part, sinon comment Per-aâ pourrait-il ramener l'équilibre. Typhenn secoua la tête. Il n'y avait rien à ajouter qui en vaille la peine. Par malheur, son manque de foi en Per-aâ n'infestait pas que les Vaugren. Typhenn s'attendait à mieux de la part de Ronan qui, étant le meilleur d'entre eux,bénéficiait d'un traitement de faveur. Au lieu d'utiliser ses capacités, il préférait se donner beaucoup de mal pour oublier et renier leurs traditions. À sa place, Rafe aurait fait tellement plus pour les sauver.

— Je vais prendre l'air, finit-elle par déclarer froidement.

Il ne la retient pas.

Au moment où Typhenn posa une main sur la poignée, Charlie ouvrit la porte, laissant entrer le froid humide des sous-terrains. Elle leur annonça que le déjeuner était servi et la douche libre.

Andraste venait de quitter la maison.


La porte d'AkerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant