Un promesse improbable - part2

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Dans l'obscurité totale, la rue perçait les vitraux de l'escalier en lumière colorées, passant sous la première porte du pallier, la chambre de Typhenn.

Typhenn s'écrasa la tête dans l'oreiller. En demandait-elle trop à vouloir enfin être reconnue par sa famille ? Elle grogna lorsque sa joue cogna contre la dague cachée sous l'oreiller. Sans regarder, elle la renvoya dans la malle au pied de son lit. Elle rebondit sur le couvercle fermé. 

D'ordinaire, l'odeur du pot d'encre ouvert sur son bureau l'aidait à se calmer. La perte de son akhamé la tourmentait. Il avait fallu qu'elle égare celui offert par Rafe.

Elle se tourna vers le plafond couvert d'encre. Ce soir, aucune autre citation ne viendrait s'ajouter aux murs blancs. Son oncle Paul pesterait gentiment s'il voyait la porte entre-ouverte. Il comparerait sa chambre à une cellule de bagnards. 

Typhenn l'aimait ainsi. Elle aimait relire les phrases de haut en bas. Elle aimait s'en imprégner.

Paul venait d'une branche des serviteurs d'Hathor, assez éloignée pour ne pas se soucier des préjugés au sujet des Alexandre. Il commençait à vieillir et épaulait Rafe dans les affaires du clan comme il pouvait. Cette nuit, Paul resterait au temple, et Rafe prendrait son tour de garde à la maison, épaulé de Titus. Les trois veilleurs se relayaient. Rafe voulait absolument que la maison soit gardée jour et nuit. Il arrivait même qu'Arthur prenne une nuit, ne serait-ce que pour vérifier qu'elle ne fasse pas le mur.

Typhenn n'avait jamais compris comment Paul pouvait se déplacer sans le moindre bruit. Ainsi, s'introduire dans la salle et voler une des nombreuses décorations telles des ninjas en mission était devenue un jeu entre eux. Jusqu'au jour où Titus, en crise d'insomnie, était descendu de sa tour et l'avait attrapée par le col pour la jeter dans sa chambre. Elle aurait dû deviner qu'il viendrait dès que la musique s'était tue.

Parfois, elle se demandait, si inconsciemment, elle n'avait pas fait exprès de traîner et se faire prendre.

On frappa à sa porte.

Rafe apportait deux assiettes de gâteau en guise d'offrande de paix. Titus suivait, portant la sienne.

Il l'attaqua dès qu'il fut installé sur la chaise du bureau, fredonnant un air. Ses doigts tapotaient sensiblement la porcelaine sur un air que lui seul entendait.

— Notre droit de passage. Rafe lui tendit sa part, l'offrant à bout de bras comme on s'adresserait à une idole.

Typhenn fit mine de renifler avec dédain, et accepta la part de coulant au chocolat. Il s'autorisa à prendre sa place habituelle sur la malle après y avoir rangé la dague, alors que Typhenn s'installait par terre, son pot-de-vin sur les genoux.

— On nage dans le brouillard total, cela rend Arthur nerveux. On est tous à cran, s'excusa Rafe à la place de leurs parents alors que Typhenn mordait dans le chocolat à pleines dents.

— Raison de plus pour m'intégrer. Je pourrais me rendre utile au lieu de traîner autour des zones de failles comme un chien guettant la curée, plaida-t-elle la bouche pleine, des miettes fusèrent hors de sa bouche. Elle savait que leurs parents cherchaient à la protéger, mais à force de prudence, ils l'empêcheraient toujours d'accomplir son rêve.

— J'ai promis que tu rejoindras l'équipe cette année, je tiendrai parole. Nous aurons une date. J'ai besoin que cela reste entre nous, lui répéta Rafe. Il connaissait sa cousine qui avait une légère tendance à laisser échapper des informations rarement à son avantage.

Elle se souvenait très bien le jour où il lui avait offert l'akhamé. Il lui avait promis qu'il l'introduirait devant les dieux. Elle n'avait pas pu se retenir d'aller se vanter auprès de son père. La soufflante qu'ils avaient reçue ne quitterait jamais sa mémoire.

La cérémonie d'introduction servait à perpétuer le mythe osirien. L'aspirant devait participer à un duel dans le but de démontrer ces capacités à combattre et vaincre le chaos, une tradition pompeuse et une broutille.

À l'évocation de l'akhamé perdu, la bouchée de chocolat si réconfortante dans sa bouche, tomba avec le poids d'une pierre dans son estomac. Elle posa son assiette, tout appétit perdu.

— Je pourrai t'accompagner demain, proposa Typhenn, se concentrant sur son enthousiasme renouvelé, il n'avait pas oublié sa promesse, plutôt que son malaise. D'après ce que j'ai entendu, des corps manquent à l'appel dans certaines familles. Ils pourraient toujours être vivants, quelque part.

— Je ne donne pas cher de leur peau. Les vendettas d'Isefet ne sont jamais belles à voir, commenta Titus en posant son assiette vide sur un cahier. Il commença à tourner sur la chaise, ses pieds tapotant le parquet entre les roulettes. Il examinait une figurine de Nebty qui servait de presse papier.

Typhenn réfléchit à toute vitesse. Rafe ne voulait pas qu'ils sortent seuls, car les Alexandre étaient les premiers suspects. Il ne pouvait pas chercher le tueur, et les protéger de tous les dangers.

Rafe hocha la tête.

— Les familles frappées par la mort sont celles qui ont participé activement à notre procès. Les Vaugren ont été les premiers à élever la voix contre nous, lui rappela Rafe, comme si cela représentait une preuve sans faille de l'innocence des premiers, et suffisante pour incriminer les seconds.

— Ils ne peuvent pas relier un accident isolé à ces disparitions ! se récria Typhenn manquant de faire tomber sa part de gâteau par terre.

Ils avaient tous cru Ronan au-dessus des rancunes ancestrales, avant la première attaque.

De manière indirecte, les Alexandre avaient autant souffert de la perte d'Essie. Elle se mordit les joues, refoulant les souvenirs douloureux.

Ils auraient massacré des familles entières pour se venger d'un procès qu'ils n'avaient pas vécu? On profitait du fait que les Vaugren avaient été les plus fervents à vouloir obtenir justice de la disparition de Pharaon. On les orientait tous vers les coupables les plus évidents. Il fallait être stupide pour ne pas voir la mise en scène absurde.

En trouvant les victimes idéales, ils pouvaient blâmer les Alexandre, les coupables idéaux. Aoife et Essie Vaugren, Mère et fille, deux cibles faciles qui avaient disparu pratiquement en même temps. Leurs pertes avaient été une tragédie pour les Vaugren. Suite à la mort de la fillette, Aofie avait été retrouvée noyée. Elle avait lutté comme une lionne pour défendre Essie, mais sa perte l'avait poussée au suicide. Le père comme le fils avait alors trouvé un exutoire en traquant l'assassin.

Rafe se contenta de basculer en arrière, absorbé par sa réflexion, il oublia complètement leurs présences. Il n'ajouta rien de plus. Typhenn ne faisait pas encore partie officiellement du clan. Il
l'informait pour qu'elle ne s'entête pas dans ses actions téméraires.

Typhenn jugea bon de partager, à cet instant, ce qui la préoccupait.

—  Le rôdeur qui m'a trouvé, je crois qu'il pratiquait les arts druidiques. Son visage était couvert de peinture, hésita-t-elle, se massant le bas de la nuque.

Rafe jusqu'alors perdu dans ses pensées releva la tête, les sourcils froncés. Typhenn s'en voulut de ne pas avoir gardé ce détail pour elle, d'ajouter à ses inquiétudes.

— Pourquoi ne pas l'avoir dit plus tôt ?

Elle ne minimisait pas le danger d'une union entre les druides et les rôdeurs. Que feraient les serviteurs du chaos munis des pouvoirs de la déesse sombre ? Typhenn secoua la tête, elle ignorait la réponse à ses deux interrogations.

Elle se débarrassa donc de cette toile de pensées sombres qui ne mènerait qu'à la naissance de peurs sans noms.

*              **             ***            **             *


Typhenn rêva, que peu importait où elle courait, Ronan se trouvait toujours devant, une montre dans une main qu'il remontait et rangeait dans un costume trois pièces. La lame ondulée de son kriss décrivait un cercle parfait dans l'air. Une épée de Damoclès qui lui rappelait son retard. Le rêve avait peut-être un lien avec Rafe qui, avant qu'elle s'endorme, passa des heures au téléphone avec Ronan, à faire les cent pas dans la salle.


La porte d'AkerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant