Sphranch - part6

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— Vous avez senti ? demanda Yan dans le couloir. À peine avait-il fini, la maison se mit à trembler si fort que des cadres tombèrent dans le couloir. C'était quoi ça ?

Le réveil sautillait sur la table de chevet alors que Typhenn se redressait d'un bond. Elle profita de cette fraction de seconde, où distrait par la secousse elle put bousculer Ronan. Sa voix rugie dans son dos :

— Athama, non ! Ils sont...

Elle franchissait déjà la porte d'entrée,hors de portée.

Il y eut une autre secousse. Elle arrêta sa course le temps de retrouver son équilibre. Qu'importe la nature de la chose, sa masse faisait trembler le sol. Un truc aussi gros allait impacter son environnement. Tant pis si cela voulait dire courir dans un piège.

Yan, sur ses talons, regardait en tous sens à la façon d'un flamant rose en panique.

Pour une fois, elle n'avait pas besoin de radar interne. La magie puisait dans l'Amdouat de force. L'énergie brute faisait fondre le bitume sous la créature. Typhenn n'avait qu'à suivre les émanations toxiques de goudron et les vapeurs d'égouts. Elle poussa Yan derrière une voiture lorsqu'elle repéra l'outchébit, un serviteur de terre cuite animé par magie.Son corps se servait de son environnement pour se développer.Celui-ci portait le bitume comme des plaques d'armure noire. À part sa tête et ses épaules, tout son corps disparaissait dans un nuage de fumée noire. Ses proportions étranges l'obligeaient à marcher en balançant tout son corps assemblé à la hâte. Il s'approchait du mur de pierre en penchant d'un côté puis de l'autre. De loin il aurait pu passer pour un grand homme d'un petit trois mètres, bossu et sans visage.

D'autres veilleurs habitaient la rue,d'anciennes familles et surtout de mauvais voisins. Ils ne bougeraient pas le petit doigt en voyant un golem sous leurs fenêtres. Ils se terreraient chez eux, pensant que les représailles commençaient, qu'enfin les Chepesou les répudiaient au même titre que les rôdeurs.

D'un coup d'œil, elle regretta que Yan l'ait suivie. Le garçon ne connaissait rien. Or, Typhenn ne pouvait se permettre de se battre et de veiller sur lui. Il finirait en dommage collatéral si elle ne faisait rien.

Yan observa l'akhamé qu'elle maintenait le long de son corps, serré dans sa main.

— Ronan, se défendit-elle. Elle l'avait tiré de sa ceinture en le bousculant.

Une lueur admiratrice traversa le regard bleu de Yan. Il rentra la tête dans les épaules alors que le golem commençait à s'agiter.

— On doit trouver le mage, ce n'est qu'une marionnette ! résuma Typhenn à la hâte. L'outchébits'ancrait dans la fabrique du monde à chaque minute qui s'égrenait. Très vite il détruirait la rue. Soudain, Typhenn réalisa avec horreur qu'une fois assez puissant, il pourrait briser le mur de pierre. Ils vont détruire la maison !

À ce moment-là, le golem fourra sa grosse paluche dans le réservoir d'une voiture. La magie instable incendia le gazole. La glaise ressortie en flamme alors que le réservoir se transformait en chalumeau, crachant des flammes et une colonne de fumée. À peine dérangé, le golem arracha son bras qu'il lança dans leur direction.

— Bouge ! cria Typhenn à lui percer les tympans. Des gouttes de feu pleuvaient partout autour d'eux.Pour faire bonne mesure, elle le poussa vers l'avant. Le garçon s'empêtra dans ses jambes, mais se redressa promptement.

Le poing traversa un parebrise. Le feu commença à dévorer les sièges.

Typhenn tira Yan derrière une autre voiture. Elle l'obligea à raser le sol alors que le bitume leur écorchait les mains et les genoux.

Ronan siffla depuis le trottoir opposé, lui aussi à couvert derrière une grosse voiture, ses deux longs couteaux brillaient dans ses mains. Il leur communiquait des ordres par geste. Typhenn se força à détacher son attention du gros SUV garé un peu plus bas dans la rue. Dommage, il avait retrouvé ses clefs.

— L'un de vous a pensé au lait ?demanda Yan un peu essoufflé, comme s'il vérifiait le sac de courses de ses parents. Il maîtrisait mieux sa voix que ses mains tremblantes.

Ronan, à bout de patience, dut répéter ses ordres muets deux fois.

Elle secoua la tête.

— Ce n'est pas un esprit en colère. Il faut trouver le mage et lui arracher l'outchébit des mains. Ronan fera diversion, je crois, ajouta-t-elle.

Ronan ne bougeait plus, ses deux akhamés croisés devant lui les pointes vers le bas. Le golem se rapprochait dangereusement. Ronan, le plus près, ne réagissait toujours pas. Typhenn allait le laisser subir le même sort que sa voiture.

Yan attrapa une canette écrasée qui traînait dans le caniveau et la lança droit sur l'outchébit, déversant le reste de soda sur la glaise séchée. Le pantin riva son attention sur Yan puis il hésita entre lui ou la maison. Comme à contrecœur,il poursuivit lentement sa progression vers la maison.

Typhenn ne se souvenait pas d'avoir entendu des golems munis de pensée. Elle balaya cette idée étrange.

À chaque pas, il grandissait et déformait le bitume qui se creusait de sillons. Bientôt, ils pourraient jouer au tape-taupes entre les véhicules. Ronan choisit ce moment pour se glisser de voiture en voiture jusqu'à l'outchébit. Elle perdit sa trace, il avait disparu aussi soudainement que s'il était devenu invisible. Il réapparut lorsque son akhamé trancha net la glaise. Le macadam fit des bulles autour du bras. Très vite, ce magma noir l'engloutit. Aussitôt, le glaive frappa de nouveau. Sa lame laissa une belle encoche dans son cou. Le pantin fit volte-face.Au deuxième coup, une plaque de bitume avait migré pour protéger son cou. Visiblement, son maître ne portait pas Ronan dans son cœur,il avait toute son attention.

Où pouvait se cacher le mage pour surveiller sa créature sans être vu ? Elle avait beau chercher, elle ne trouvait aucune trace. Le meilleur point de vue restait la vieille bicoque des Alexandre. Sa famille avait veillé à ce que les nouvelles constructions ne diminuent pas leur visibilité. Un principe rétrograde de guerre qui permettait néanmoins à la vieille dame de s'élever en fort massif au-dessus des maisons de briques.

À ce moment-là, elle le vit, cachée derrière une des grosses cheminées rouges. Il embrassait toute la rue d'un regard. Typhenn devrait contourner toute la maison sans être vue.Dans son dos, Ronan ne ménageait pas ses efforts pour lui offrir une diversion. Il sautait et roulait entre les voitures, poursuivi par le tonnerre des tôles froissées et le chant du métal chauffé.

— Reste avec Ronan, intima Typhenn à Yan,puis elle se glissa entre les buissons jusque dans la maison. Elle fit appel à toute sa volonté pour lui faire confiance et ne pas se retourner.

Le jardin garni de son père l'aida à se cacher du marionnettiste.

Devant le mur sud, un pied sur la grille du balcon, elle roula les poignets pour les échauffer. Elle devrait s'accommoder de son poignet droit toujours un peu raide. D'une poussée sur ses jambes, elle attaqua l'ascension. La pierre lui mordait les doigts. Sur le toit, le mage, préoccupé par sa marionnette, ne remarqua pas la jeune femme se hisser sur l'ardoise.

L'outchébit, grandi de deux bons mètres comme nourris par la magie du mur, se déchaînait dans le jardin,saccageant des années de travail. La fumée noire tournoyait avec le même effet que sous un dôme de verre. Il n'aurait pas dû entrer,le mur de pierre aurait dû le retenir plus longtemps.

Le mage ricana et se pencha pour mieux voir Yan projeté contre la façade. Il retomba, immobile, dans les parterres de fleurs.

Ce rire hiératique et fort. Il appartenait à l'un des jumeaux Césaire. Des larbins de Ronan qui vouaient leurs existences à la violence. Si le premier était là, sa sœur suivait, jamais loin l'un de l'autre. Il leur avait pourtant assuré que ses hommes étaient partis, pesta intérieurement Typhenn.

— Kieran ! cria-t-elle pour attirer son attention. La fumée lui grattait la gorge, et menaçait de la faire tousser à chaque inspiration. Typhenn brisa une ardoise d'un coup de talon et la lança. L'ardoise heurta le poignet qui retenait la figurine. Kieran poussa un cri de rage alors que l'outchébit tombait.

En bas, le golem n'arrêta pas son carnage. Entre ses tentatives pour écraser Ronan, il commençait à frapper la façade de son poing.

La porte d'AkerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant