Chapitre 12 - Démons

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29 octobre.

Orlène avait relégué ses fourrures pour une simple robe corbeau. Les druides réservaient le noir uniquement à leur déesse Morighane aux deux visages. Elle pouvait être la terrible sorcière ou la fée manipulatrice qui envoyait ses corbeaux récupérer les âmes des morts.

Le fait que la druidesse outrepasse les traditions n'avait rien d'un hasard. L'ambition d'Orlène faisait d'une simple couleur une déclaration en s'associant à une Morighu, une femme corbeau possédée par la voix de leur déesse. Ronan se moquait de la véracité des croyances. Elles ne servaient que de socle pour apaiser la peur de la mort profondément ancrée dans tout être humain. En ce qui le concernait, tant qu'il respirait, la mort serait le problème d'un autre jour. Par contre, il appréciait moyennement qu'on se serve des traditions pour assouvir une soif de pouvoir.

Il se courba pour éviter les bouquets qui séchaient au plafond, réduisant de moitié la hauteur du plafond déjà encombré de fioles de toutes sortes. Sur le bureau, des opales de voyance reposaient sur un tapis de velours, comme interrompu au milieu d'une divination.

Une dizaine de chouettes les détaillaient de leurs yeux ronds depuis des branches fixées aux murs. Elles n'avaient rien à envier aux trois personnes réunies à ce moment. Elles se regroupaient en une belle brochette loin du gros milan qui prenait ses aises, seul, sur la partie opposée de la branche.

Un bâton noueux servait de tringle à rideaux, celui-là même qui avait appartenu à feu le maître d'Orlène. La crasse recouvrait les runes de bois mangées par les âges et picorées par des becs d'oiseau.

Ronan ne s'adossa pas à sa chaise, si confortable fût-elle. L'asile de la druidesse ne venait jamais gratuitement, autant en finir rapidement. Après une semaine à attendre des nouvelles de Cécilie, rien ne valait une chasse pour se dégourdir les jambes.

Orlène l'avait convoqué en pleine séance d'escrime qu'il s'efforçait d'enseigner à Yan. Pour le moment, il se montrait plus doué avec un arc qu'une épée en main.

À côté de lui, Merle s'enfonçait dans son siège, les cernes violets sous ses yeux se teintaient de noir. Tant de nœuds s'ajoutaient dans ses cheveux qu'il pourrait bientôt recueillir des oisillons. Il ressemblait à un garçon perdu avec de la paille piquée dans ses cheveux. S'il ne reconnaissait pas les signes d'un abus de son pouvoir, Ronan aurait pu le croire maltraité.

Dans le couloir, les élèves se croisaient tranquillement d'un cours à l'autre. Le plancher grinçait sur leurs passages. La porte de pin léger dépourvu de verrou n'étouffait en rien les conversations. Ronan pouvait compter le nombre d'enfants dans chaque groupe. Trois. Puis, des pas légers, seuls, qui s'efforçaient de suivre les grands. Une fillette qui ne devait pas avoir plus de six ans, suivie d'un groupe de six adolescents bruyants.

Orlène se détacha de la fenêtre alors que Ronan s'apprêtait à se lever. Il retira ses mains des accoudoirs et reposa les coudes sur ses genoux.

Une lucarne ouverte permettait un ballet d'allées et venues d'oiseaux qui sautaient et battaient des ailes pour éviter le rapace impassible. Un vent froid s'engouffrait à l'intérieur et décoiffait leurs plumages, apportant les bruits de la cour en contrebas où Tina avait repris la leçon de Yan. Il pouvait visualiser la scène sans se lever de sa chaise. Tina grondait, reprenant la posture du garçon. Elle ponctuait parfois ses propos de coups de bâton. Puis, elle râlait dès qu'il glissait dans la boue. Il ne pouvait pas nier que Yan progressait à pas de géants, mais rattraper des dizaines d'années de retard exigeait qu'ils se montrent intraitables aux moindres détails.

— Saminos approche et nous avons besoin d'écarter les portes pour la célébration, annonça la maîtresse du fort.

Elle repoussa le tapis de velours et déroula une carte pour indiquer le lieu de la chasse. Ronan se garda de lui rappeler qu'il connaissait la région mieux que personne, druides compris. Elle posa un index sur les ruines des Artisans au bord du lac Nimuë, là où tous les forts se rejoindraient pour la dernière nuit d'octobre.

La porte d'AkerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant