Le fort - part4

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Typhenn ne voulait pas penser au sort de la femme. Sans la présence de la druidesse, toute la forêt devenait hostile. Le bruit revint amplifié par le silence précédent. De simples craquements de branches, des feuilles que l'on écrasait. Un millier de voix qui soufflaient des accusations.

— Ne vous inquiétez pas pour Orlène, ses terres la protègent, leur assura Ronan en aidant Yan à se redresser d'une main.

Typhenn le suivit, n'osant rien ajouter.

Quelque chose se promenait au-delà du chemin, invisible. Cette fois, Typhenn se força à suivre le rythme, à rester collée aux garçons pour ne pas se perdre.

Ronan observait les alentours, guettant un signe.Il arrêta de chercher lorsque le renard s'éloigna du chemin et s'installa sur une souche, glapissant et grattant le tronc.

Typhenn eut un mouvement de recul. Une tête s'extrayait du bois. Elle attrapa son poignard sans le dégainer alors que le buste, et le reste de son corps apparaissaient sans un accro à son beau manteau. La druidesse tenait sa longue robe entre ses mains, se prendre pour une dryade devait relever d'une activité quotidienne. L'écorce resta accrochée un instant à son visage,ses doigts, puis sa peau redevint lisse.

L'étrangeté des pouvoirs druidiques avait quelque chose d'effrayant. Le soleil et l'eau constituaient des forces familières. Les druides se nourrissaient de la terre, de la nature qui les entourait. Aux yeux de Typhenn, ils se servaient de quelque chose de sombre et d'indompté, de quelque chose de caché qui appartenait au domaine du seigneur Osiris.

—  Elle est partie avec le jeune homme, annonça Orlène en prenant la tête du groupe, de la mousse tombait de son manteau. Derrière elle, sa silhouette resta sur le tronc désormais à nu. Dépêchons avant que les lumières de Merle s'éteignent. Nous n'avons déjà que trop tardé.

—  La forêt se chargera d'eux, dit Ronan pour lui-même, en lui emboîtant le pas.

Typhenn crut discerner de l'espoir dans ses paroles. C'était certainement son imagination, car à ce moment,il n'y avait aucune vie dans sa voix. Elle ne s'y attarda pas,sachant que Sophie et Kieran courraient toujours.

Orlène, ne voulant pas attirer plus d'attention,n'alluma pas d'autres feux. Ce qui renforçait les paroles de Ronan au sujet de la forêt protégeant les druides. Plus d'une fois, elle vit des yeux briller dans le noir. Ils lui donnèrent des sueurs froides.

Typhenn adressa une rapide prière à Isis pour que ce Merle ne soit pas un oiseau. Un renard pour guide lui suffisait. Moins sa vie reposait sur un animal, mieux elle se porterait.

Ils passèrent sous un tunnel de racines sortant de terre comme les anneaux d'un serpent gigantesque. Une preuve supplémentaire qu'ils marchaient en territoire Druide. Devant leurs expressions troublées, Orlène se sentit obligée d'expliquer la formation naturelle : en puisant dans la terre, Morighane avait construit ces cercles pour abriter les druides des sorts en mouvement qui protégeaient la forêt.

Morighane la fée, déifiée et vénérée par les druides. Cette déesse qui récupérait les âmes sur les champs de bataille était également associée à la nature et au cycle de la vie. Typhenn n'osa pas toucher au maléfice, contrairement à Yan qui laissa ses doigts se promener le long des anneaux d'écorce blanche.

Orlène et Ronan discutaient doucement, laissant les plus jeunes ensemble. Ronan l'informait sur leurs situations. À ce point-là, plus rien ne l'étonnerait. Il pouvait révéler tout ce qu'il voulait sur les veilleurs.

—  Il a sorti un dieu des morts de la chambre secrète. Les caveaux sont infestés de son pouvoir et continuent de s'étendre.

— Il serait aussi la cause du mal qui ronge notre terre ? demandait Orlène, songeuse.

— Si on perd le contrôle des protections du nécromancien. Cela ne m'étonnerait pas que le sort soit attiré par la magie qui vit dans la forêt.

D'un mouvement gracile de la tête, Orlène déplora le manque de respect que démontraient les veilleurs pour la nature. Tout cela dans une quête pour retrouver leur savoir.

Les anneaux ne furent pas les seules déformations qu'ils virent. Partout, les marques de magie se succédaient. À plusieurs reprises, Typhenn remarqua des choses bouger loin des lumières, trop grosse pour être des animaux nocturnes. Il n'y avait pas de loups dans ces forêts, à moins qu'ils se soient égarés par un tour de sorcière. Ces habitants de la nuit n'approchaient pas des feux follets.

— J'ai déjà dépêché Altin comme messager pour demander à l'ermite de presser son départ. Saminos approche, je crains que les porte la retiennent.

—  Je voulais m'entretenir avec les anciens cette année. Je ne pourrais pas contenir ce mal encore longtemps. Quelques mois, peut-être.

Orlène balaya sa remarque d'un mouvement de manche, suivi du tintement des perles.

— Saminos devrait ramener l'ordre sur nos terres. Dès lors nous pourrons vous aider, mais je ne veux pas te donner de faux espoirs. Les autres diront que vous êtes responsables de vos problèmes.

Avant que Typhenn puisse identifier les formes,elles disparurent. Il n'y avait plus rien, seulement des racines,des branches et des mouvements d'ailes dans les cimes. Elle secoua la tête, pour y remettre de l'ordre. Plus elle fixait les hauteurs plus il y avait d'oiseaux qui pliaient les branches. Des corbeaux la scrutaient, postés à la limite d'un ancien chemin de pierres effondré. Aucun ne croassait. La forêt se résumait au froisse ment des plumes et aux battements d'ailes. Si elle tendait le bras, l'un d'entre eux viendrait lui picorer la paume. Les feuilles mortes mues par le vent se soulevèrent, frôlant son visage d'une caresse aussi veloutée que des plumes. Typhenn perdit l'équilibre.

La porte d'AkerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant