Le chant des corbeaux - part3

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Coucher Odelle fut impossible. La petite redoutait trop les cauchemars qui l'attendaient une fois qu'elle aurait fermé les yeux. Elle ne lâcha la main de Typhenn que lorsqu'elle fut profondément endormie.

L'attente et l'angoisse de n'avoir rien d'autre à faire épuisaient ses nerfs plus certainement que d'affronter un akhou avec un couteau à beurre. Sa guérison ne servait que de prétexte. D'une certaine façon, Ronan avait trouvé un moyen de lui donner une leçon. Seule dans sa chambre à faire les cent pas, elle ne tenait plus.

Typhenn attrapa sa lampe et sortie.

Elle n'était pas seule dehors.

Une lumière se balançait sur le chemin vers la barrière, elle serra son manteau contre l'air froid et la suivit.

Au bout, elle trouva Merle qui se moqua de son audace à suivre une lumière, seule dans la nuit. Elle aurait pu tomber sur un pooka.

— Ce sont des histoires pour effrayer les enfants, contra Tina.

Son affirmation se perdit dans la forêt. Dans la nuit noire, il laissa le silence ébranler ses certitudes. Typhenn croyait au bennou, elle avait voyagé en esprit, et savait qu'un dieu marchait sous leurs soleils. Mais, les lutins sortaient purement de l'imaginaire humain.

Merle faisait un triste pooka, tremblant de froid sous sa fourrure argentée.

Elle scruta la nuit à la recherche d'un mouvement qui lui indiquerait qu'elle pourrait dormir sans avoir à s'inquiéter. Typhenn avait besoin de ne pas s'entendre penser,de ne pas entendre ce qu'aucun d'eux n'osait dire. Le nœud dans sa gorge ne faisait que croître, menaçant de la faire vomir. Elle se racla la gorge :

— Donc, tu veux me faire croire que les fées ne te dérangent pas parce que tu te fais passer pour un lutin ?

— Un pooka, répéta-t-il en se déridant. Après ce qui sembla une éternité à attendre dans l'air froid,il reprit, se parlant à lui-même. J'étouffai dans les murs. Je ne savais pas si ça venait de moi, ou si... c'était dans ma tête,souffla Merle. Ses mains tremblantes serraient les fourrures sur ses genoux. Les tremblements gagnaient tout son corps, comme s'il voulait en sortir. Il inspira profondément plusieurs fois, et parvint à se calmer un peu.

Typhenn comprenait ce qu'il ressentait. On les forçait tous les deux à rester confinés dans le fort. On les réduisait à attendre avec les enfants pendant que Ronan et Yan pouvaient être en danger. Elle aurait voulu se débarrasser de son corps et voler au-dessus du monde. Ronan était le chasseur et le meilleur pisteur qu'elle connaisse. Elle pouvait se le répéter autant de fois qu'elle le voulait. Aucune affirmation ne parvenait à la rasséréner

Merle avait clairement établi son lien avec la terre, un lien puissant, qui plus est. On le considérait avec autant de respect qu'un adulte. Depuis combien de temps avait-il établi cette connexion ? Cette question planait depuis l'éveil de Briac.

— Pourquoi es-tu encore là, Merle ?

Merle s'arrêta le long du mur de pierre invisible. Des bêtes s'approchèrent venant frapper le vide. Les griffes acérées grattaient, crissant comme sur un tableau noir.Elle ne pouvait pas les voir distinctement, mais les formes n'avaient rien des attributs des animaux qu'on s'attendait à trouver dans une forêt française.

Typhenn commença à remuer. Elle ne croyait pas aux créatures sorties des contes, mais ici, éclairée par la lumière réduite des lampes à huile, elle pourrait y croire.

— Ton aura est plus puissante que celle des autres, finit par dire le jeune druide, marquant une pause devant les formes sombres.

Typhenn resta stupide, elle n'avait aucune capacité héritée de Maât. Elle ne pouvait pas posséder une aura sans porter d'akhamé sur elle. Elle ne pouvait pas être celle qui attirait ces créatures à vouloir s'acharner sur la barrière.

Merle reprit sa ronde. Elle le suivit en silence.Au bout d'un moment, il commença à raconter, comme pour combler le vide. Il ne lui conta pas une histoire peuplée de gobelins plus malins que les hommes qu'il réservait aux enfants, mais un conte sombre. Il lui décrivit un peuple ayant conquis le monde, rapportant toutes ses richesses sur une montagne. Ils ne satisfaisaient pas de ses trésors. Le roi ordonna une guerre contre les étoiles, car le roi dominait le monde, mais le ciel le dominait toujours. La guerre dura plus de cent ans. À la fin, ils domptèrent les cieux, enfermant les étoiles dans une prison où personne ne pourrait les voir.

Il ponctuait sa voix de pauses et en profitait pour arracher des touffes d'herbes. Des cris nocturnes, grattements et coups donnés sur le mur invisible qui les protégeait étaient les seuls sons à part celui de sa voix. Son histoire prenait des allures très réelles, amplifiée par la forêt éclairée de leurs deux lampes.

— Le roi ignorait qu'une étoile avait caché un de ses enfants, le couvrant de boue et de terre venant de la montagne. L'enfant, devenue terrestre, se jura de se venger. Il vécut sur la montagne, sous le nez du peuple qui avait abattu les siens, partageant leur pain, riant à leur table, vivant de leurs conquêtes, jusqu'au jour où il gagna les faveurs du roi. On le fit entrer au palais, et il mit un terme au règne du roi conquérant.Les étoiles emprisonnées dans son corps furent libérées. Dans leur colère, elles détruisirent le monde.

— Qu'est-il arrivé à l'enfant du ciel ?

— Il disparut avec le monde.

Typhenn se demanda si Merle lui avait partagé cette histoire pour la mettre en garde d'une façon détournée,qu'elle ne se rende pas au duel contre Isla. De lui dire qu'il ne laisserait pas une enfant de Maât, une enfant du ciel, faire du ma là une jeune fille de la terre.

Typhenn ne put dire si elle ferma l'œil de la nuit. Le matin succéda à la nuit.

Ils n'étaient pas rentrés.

Ni Ronan.

Ni Yan.


La porte d'AkerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant