Le chant des corbeaux - part2

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Finalement, elles restèrent ensemble, même si Typhenn écoutait vaguement la petite ou lui servait parfois des remarques peu tendres. Typhenn grimpait dans les arbres et jetait les pommes pour qu'Odelle les ramasse, se souciant peu des taches qui pourraient apparaitre par la suite.

Parlant d'ordinaire peu, Odelle, observait dans son coin. Elle savait presque tout ce qui se passait au fort.

Ainsi, Typhenn nota dans un coin de sa tête la place d'Isla dans la communauté. La fille aux dreadlocks, destinée à reprendre la place de maîtresse du fort, exerçait sa petite loi sur les plus jeunes. Isla n'avait peut-être pas instauré cette règle tacite, mais elle perpétuait le traitement discriminatoire que subissait la petite.

Dans le réfectoire quasiment désert, Typhenn ne put ignorer le regard des quatre druides lorsqu'elle passa avec sa nouvelle amie dans ses jupons. Elle remarqua Merle, assit seul et à l'écart, son maigre poing empêchait mal sa tête de dodeliner et de pencher dangereusement vers son assiette. Il sursauta lorsqu'elle tira la chaise en face de lui, cognant ses genoux sous la table. Il inspira, prêt à lui dire d'aller voir ailleurs. Ses yeux se posèrent sur Odelle, et il referma promptement la bouche, se murant dans un silence austère.

— Tu as des nouvelles de Ronan ? demanda Typhenn, remuant ce qui devait être le fond brûlé d'une purée de légumes verts. Elle aurait mis sa main à couper que Gwenaëlle l'avait réservée spécialement pour elle.

Merle baissa la tête sur ses légumes, les écraser en purée requérait toute son attention.

— Non.

Ils auraient dû être rentrés. Typhenn refusa de penser plus loin. Ils parlaient de Ronan. Il ne pouvait rien lui arriver. Malgré tout son bon sens, l'inquiétude grandissait dans son ventre chaque minute depuis le crépuscule.

Sensible à leurs angoisses, Odelle n'osa pas toucher à son assiette. Merle dut insister gentiment pour qu'elle mange.

Une ombre se forma devant eux, cachant la lumière blanche des ampoules.

— Typhenn, puis-je avoir quelques mots ?requit Orlène, une ride de contrariété séparait son front en deux. Elle serrait son châle à plumes de corbeau autour de ses épaules. Il lui donnait un air étrange et seigneurial.

Typhenn acquiesça, et la druidesse la mena derrière une porte battante du réfectoire. Les regards perçants des autres druides les suivirent en silence. Orlène poussa un chariot sur la pente douce d'où remontaient les fumets de cuissons. L'allée restait trop réduite pour qu'elles soient autrement que nez à nez.

— J'ai noté que tu passais beaucoup de temps avec Odelle, attaqua Orlène sans préambule. Je préfère que l'on se comprenne. Odelle a une histoire difficile pour une enfant de son âge, et nous ne voudrions pas qu'elle se trouve davantage blessée. Un autre abandon lui briserait le cœur. Pour son bien, il ne faut pas qu'elle s'attache davantage à quelqu'un qu'elle ne reverra jamais. Orlène murmurait, car le vieux bois des portes ne permettait aucune intimité. Le volume bas de sa voix n'amenuisait en rien ses intonations furieuses.

Son parfum lui piquait le nez à chaque inspiration. Il emplissait l'air déjà absorbé par le noir de sa robe. La druidesse prenait tant d'espace que penser devenait difficile. Typhenn croisa les bras, cherchant à se protéger de cette invasion.

— Je ne l'ai pas envoutée, et concernant Odelle, Typhenn s'arrêta, secouant la tête. Il vous arrive de parler aux enfants ou vous préférez qu'Isla s'en charge à votre place.

— Ce n'est pas une incapable qui va me dire comment élever ces enfants. Je le fais depuis plus de vingt ans. On ne leur sert pas de belles paroles pour les laisser dépérir par la suite. Je ne te laisserai rien me prendre. Vous ne me tromperez pas une seconde fois.

La porte d'AkerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant