Saminos - part2

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Typhenn rejoignit la procession juste à temps pour le départ. Alors qu'Orlène donnait ses dernières consignes : faire extrêmement attention aux portes qui seraient dangereuses jusqu'au matin, ils ne devraient pas quitter le chemin.

Toutes les lanternes se levèrent et avancèrent lentement entre les écharpes de couleur nouées autour des arbres. Les lumières rondes illuminaient les robes blanches, alors que les masques d'animaux se couvraient d'ombres. La fête les transportait dans un autre temps. Les druides, tous vêtus de blanc, ressemblaient plus au petit peuple qu'à des hommes.

La file passait devant Merle qui tenait son masque à la main, immobile et perdu, comme s'il doutait de pouvoir poser un pied à l'extérieur. Ronan attendait à son côté, le regard posé droit devant lui. Il se mêla à la file fermant la marche peu après les battleurs et Typhenn qui refusait d'avoir leurs cornes de bélier prêtes à charger dans son dos. Elle ne les avait pas bien vus avec les druides agglutinés autour.

La file avançait paisiblement sans jamais s'éloigner du chemin de grillons et de cordes tressé aux troncs.

Nora qui marchait devant affirmait à Yan que les montures pouvaient escalader des versants à pic sans faire trembler leur cavalier. Le garçon buvait ses fables comme la terre après un été trop sec. Sentant son regard inquisiteur, la femme ermite donna les rênes à Yan, et attendit que Typhenn arrive à sa hauteur.

— Alors, ce duel ? La femme crocheta son bras et contempla la jupe de Typhenn assez longtemps pour mettre la jeune fille mal à l'aise, comme si elle pouvait voir son poignard à sa cuisse.

Typhenn esquiva la question. Elle l'interrogea sur le même ton à brûle-pourpoint :

—  Comment les druides ont-ils créé des armes qui annulent la magie sans qu'on n'en entende jamais parler ?

—  Parce qu'elle a été taillée par un maître des Artisans. Les druides sont très frileux dès qu'il s'agit des dompteurs de ciel. Leurs techniques leur ont apporté crainte et respect. Les druides ont beaucoup de secrets qu'ils préfèrent garder entre eux. Ce canif est un fragment d'une arme qui fut divisée en morceaux. Le dernier à ma connaissance. Tu as dû t'apercevoir que les taches noires ne partent pas. Une fois la lame entièrement recouverte, les runes n'absorberont plus la magie.

Ce que venait de partager l'ermite avec elle avait tout du piège. Typhenn ne voulait pas être en possession d'une relique sacrée d'une race qu'ils considéraient comme des divinités. Le moindre faux pas, et les druides la jetteraient aux hyènes.

—  Reprenez-la.

Nora lui attrapa le poignet si fort qu'elle lâcha ses jupes. Typhenn tira, et se retrouva nez à nez avec le petit visage de rapace de la femme.

—  Si votre but est de me piéger, je ne me laisserai pas faire, lui siffla-t-elle au nez.

—  Moi ? La politique m'ennuie, les relations humaines aussi, d'ailleurs. Je préfère de loin, les ruines. Elles ne mentent pas. Il y avait une pointe d'amusement sans qu'elle élève la voix, ses paroles avaient la texture d'une confidence à double tranchant. Volé ou pas, il se trouve entre tes mains, et tu en as plus besoin que moi.

L'avant de la file s'arrêta, l'arrière s'entassa.

Une des créatures cornues s'ébroua et Yan se retourna, implorant l'aide de l'ermite, avant que les bêtes piétinent les druides. Nora la libéra comme si de rien n'était et le rejoignit à grands pas. Typhenn resta sans voix à se masser les poignets.

Ronan redescendit la colonne à ce moment-là. Il souleva les couvertures d'un battleur, adressa quelques mots à Nora, puis repartit. Ce petit manège d'allers-retours dura un moment.

—  Il n'aime pas se rendre au lac. Isla s'avançait à sa hauteur, un masque de renard reposait au sommet de ses dreadlocks. Elle tirait un cheval aussi récalcitrant à vouloir s'approcher des battleurs que Typhenn. De sa main libre, elle désigna Ronan et son air renfrogné habituel. Il se sent responsable de la mort d'Aoife, parce qu'il a insisté pour qu'elle l'accompagne quelques jours au fort. Elle a plongé dans le lac, et n'est jamais remontée.

—  Je m'inquiétais pour Yan, mentit rapidement Typhenn, ce qui était une semi-vérité. Elle secoua la tête, essayant de se débarrasser du pincement de jalousie qui lui collait à la peau. Elle ne devrait pas lui reprocher sa capacité à s'adapter, à se lier aux autres ou de simplement s'émerveiller. Yan était encore jeune.

La jeune fille bafouilla des excuses étouffées par un raclement de gorge bruyant.

—  Ce qu'il a vu dans les portes l'a certainement secoué. Il lui faudra du temps pour s'en remettre. C'est... mmh... l'enfer là-dedans.

Typhenn se demanda si la jeune druidesse pensait que son commentaire la rassurerait, car Isla avait loupé sa cible, de très loin.

On toussa avec insistance. La jeune druidesse se retourna énervée. Elle fit un bond en arrière lorsqu'elle reconnut Merle.

Typhenn força ses poings à se desserrer. Elle ne parvenait pas à oublier la complicité d'Isla dans le plan qui visait à la faire disparaître. À cause d'elle, lorsque Typhenn sentait les racines sous ses baskets, sa peau se glaçait sans pouvoir dire si cela venait du vent ou de la sueur froide qui couvrait son dos.

On siffla à l'avant. La marche reprit.

—  Je suis désolée, pour Napoléon, confia-t-elle tout bas à l'apprentie d'Orlène, alors que son instinct lui soufflait de lui tordre le nez dans l'autre sens.

—  Je... il... cette chose n'aurait pas dû exister. J'ai de la chance que Merle ne me dénonce pas, bafouilla Isla en serrant ses jupes. Tu sais, je me battais pour la première fois. Je ne parle pas de petite querelle, mais de vraiment se battre avec l'intention de blesser. Je ne suis pas prête de recommencer.

La monture d'Isla qui essayait de mordre la queue du battleur à ses risques et périls les obligea à reculer.Les gros sabots du percheron ne l'aideraient pas contre les cornes des battleurs fins et élancés.

Merle leur passa devant. Isla se détourna les larmes aux yeux.

—  Tu ne lui en veux pas ? demanda soudain Typhenn, baissant d'un ton. Elle ne savait pas de qui elle parlait, de Merle pour avoir fait respecter leur loi de manière brutale ou de la maîtresse qui se servait d'elle, les deux, peut-être.

Isla se redressa, les larmes qu'elle avait cru voir avaient disparu. Typhenn comprit qu'en gonflant sa poitrine, elle réunissait toute la volonté dont elle était capable.

—  Je préfère essayer de changer les choses. C'était là tes termes, non ?

Par culpabilité, Isla refusait de le reconnaître, mais Ronan avait raison. Sans l'intervention de Merle, elle se serait fait botter les fesses.

—  Tu n'as pas à tenir parole. Je n'ai pas gagné.

—  Et pourtant, tu es toujours là. Après une pause, Isla ajouta davantage pour elle-même. Je voulais tellement lui plaire que j'ai failli te tuer. Morighane ne me pardonnera jamais si je ne paie pas ma dette. Les choses changeront, elles doivent changer. Je me suis excusée auprès d'Odelle. Elle m'a dit qu'elle me pardonnait, sans réfléchir, comme ça. Isla rit, entre joie et peine. Si seulement ça pouvait être aussi simple pour les adultes.

Entre les arbres de plus en plus écartés,d'autres chemins s'unirent au leur. Sur cette portion proche du temple, ils se parsemaient de plaques de pierres lissées comme des galets.

Isla l'attrapa par le creux du coude pour attirer son attention vers les dalles creusées de trous. Typhenn se tendit, peu accoutumée à ce type de démonstration.

—  Nous sommes arrivés, l'informa-t-elle, partageant son excitation par ce simple contact.

La porte d'AkerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant