Le ciel nocturne s'était couvert d'une fine bruine bretonne lorsque la pelle de Yan heurta enfin la surface dure et creuse du cercueil. Le monde s'arrêta de tourner.
Pour sa famille, pour leur honneur, elle pouvait le faire, qu'Isis lui donne sa sagesse. Typhenn se rapprocha en silence avec sa torche. Yan la rejoint alors que Ronan, dans la fosse, soulevait le couvercle.
Elle ne savait pas à quoi s'attendre. Un cercueil vide ? Ronan avait refusé de partager son fardeau. Yan se couvrit le nez de sa manche. L'odeur de viande pourrie, de mort remonta avant qu'elle ne voie le corps minuscule.
De la petite Essie allongée là, il ne restait que des boucles auburn, plus foncées que celles de Ronan, ternies par la mort. Des peintures et des scarifications couvraient son corps flétri. D'autres avaient saccagé sa dernière demeure, comme il le redoutait.
Ronan prit appui contre le mur de boue, fixant un point entre la terre et le vide devant lui. Il reprit ses esprits et inspecta la dépouille minuscule. Typhenn, la torche toujours en main, essaya de trouver le meilleur angle de vue sur les runes. Il yen avait partout, sur la fillette et à l'intérieur du cercueil.
— Qu'est-ce que c'est ? Aucun équilibre ne régit les runes, demanda-t-elle à voix basse.
La formation n'avait aucun sens. Typhenn ne comprenait pas leur agencement étrange. Toute magie respectait un ordre, une harmonie naturelle. Le cercle en était la représentation la plus simple et la plus proche de la nature. Il se rattachait au soleil, à la terre, au cycle sans fin de la vie. Aller contre les règles signifiait risquer que le sort sombre dans le chaos. Toutes magies suivaient cette règle d'or, même celle des dieux.
— Pas de ce côté. Ronan referma doucement le couvercle sans un bruit. Un instant plus tard, il se tournait vers Yan. Tu te demandais à quoi ressemblaient les prêtres d'Anubis.
La nuit s'annonçait sans fin.
Les inscriptions dépassaient les connaissances de Ronan. Il voulait demander conseil à un prêtre mieux versé que lui dans la science de l'âme.
Typhenn rinça ses doigts écorchés à la fontaine près de l'entrée. Malgré leurs différends, elle avait fini par les aider à refermer la tombe. La petite Essie méritait une sépulture décente, marquée ou non, allégeance ou libre. Sous l'eau glacée, ses mains perdirent toutes sensations, un faible écho de l'état de leurs cœurs.
Une chance qu'ils ne croisèrent aucune voiture,car Ronan conduisait à une vitesse infernale sur les routes étroites. Enfermé dans ses sombres pensées, il n'écoutait rien de ce qu'on lui disait. Typhenn s'accrocha à son siège et ferma les yeux, n'osant pas le braquer en insistant pour qu'il ne prenne pas le volant.
— Athamas, tu restes dans la voiture.
— Léodic est un vieux serpent bougon. On se fiche de ce qu'il pense.
— Un vieux serpent en deuil, confirma Ronan en quittant la voiture. Ne bouges pas.
Depuis l'enterrement, plus personne ne voyait le patriarche mettre un pied hors de chez lui. À croire qu'il avait laissé sa tête sous la colline. Son ermitage obligeait ses apprentis à reprendre les embaumements sans la direction du haut prêtre d'Anubis.
Vu l'heure indue, il allait se faire refouler à la porte.
Il suffit d'un regard appuyé. Typhenn capitula en levant les bras au ciel. Parfait, elle resterait à se geler de hors à cause d'un vieux rabougri rancunier à cheval sur les traditions, avec plus de respect pour les morts que pour les vivants. Typhenn se rassit sur le siège passager en fulminant.
Ils pourraient entrer, se servir et repartir. Yan avait proposé de le voler. Ronan n'avait rien voulu entendre. Il voulait s'entretenir avec lui, avant de lui prendre son exemplaire du Livre des morts. L'avis d'un expert était toujours précieux.
Yan se pencha, une main sur le toit du SUV.
— Je ferai attention à lui, promit Yan. Elle lui ferma la portière aunez.
Typhenn s'écrasa un peu plus sur son siège, résignée à attendre. Prenant son mal en patience, elle commença à compter les secondes. Ronan avait voulu que seulement le garçon l'accompagne. Il avait deviné son intention de disparaître avec son témoin à la première occasion. Le silence dans l'habitacle était assourdissant. Elle regrettait de n'avoir pu fouiller la maison des Vaugren, car plus ils avançaient, plus cette affaire lui donnait la migraine. Saccager une dépouille rendait la vie de l'autre côté impossible. On ne pouvait imaginer de pire blasphème. Alors pourquoi un père détruirait-il toutes ses chances de revoir un jour sa fille ? Un élément manquait. Elle ne parvenait pas à mettre le doigt dessus.
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La porte d'Aker
FantasyDeux millénaires d'absence n'ont pas amoindri leur loyauté. Tous sont prêts à sacrifier leurs vies pour un seul être : Pharaon. Malgré son obstination, les aînés de Typhenn lui refusent sa place parmi les gardiens du roi disparu. Et les dieux n'ont...