Au bout du val -part7

1 1 0
                                    

Typhenn fit soigneusement le tour du cercle,contournant Rafe qui l'attendait devant une table. Une pièce de taille, grande et inclinée, plus longue que large et taillée en un seul morceau qui ne reposait pas tout à fait au centre de la salle.Ses pieds étaient assez massifs pour ne pas se renverser, qu'importe comment elle se débattrait. Une cavité taillée au milieu et des encoches profondes et parallèles dans le bois servaient à l'écoulement. Le gardien de l'autre monde, le double lion Routy était sculpté sur la tranche, dos à dos, les queues entrecroisées.

Les cheveux de sa nuque se hérissèrent, et la chair de poule dévala ses bras. La même énergie que dans la chambre flottait dans la salle sombre. Avec son cousin qui se tenait au centre, elle comprit. Il s'agissait de l'énergie du Noun.Était-ce vraiment son cousin Rafe, ou juste un prêtre parmi d'autres ?

— C'est ici qu'ils sont tous morts, commenta Typhenn pour elle-même en détaillant la salle de torture. Elle aurait pu visiter un musée et commenter une peinture peu inspirante. Elle avait trouvé le lieu de ses crimes, mais elle refusait toujours de croire que celui qui se tenait derrière la pierre était le coupable. L'accepterait-on si elle revenait avec lui ? Les condamnerait-on tous les deux ?

L'observation était faite en aparté et ne réclamait pas de réponse, néanmoins Rafe répondit :

— Pas tous. On a trouvé cet endroit depuis moins d'un an.

Il ne lui avait pas seulement fourni ses petits soldats d'Isefet. Si on en croyait les radotages du vieux bouc.Landier lui avait offert plus d'une fois un alibi, une distraction,et ce lieu de mort. Elle savait tout ce qu'il y avait à savoir.

— Comme c'est pratique. On a déjà tout expliqué pour toi. Elle n'eut pas besoin de pointer Léodic qui se soutenait à un mur, avide d'assister la fin de son grand projet.

Rafe se contentait de l'observer s'approcher.Rien de ce qu'il ressentait ne transparaissait. De près, elle lut enfin ce qu'elle ne voulait pas voir. Ce qu'elle avait pris pour du dévouement aux Chepesou était de la culpabilité. Ce qu'il avait fait, ce qu'il s'apprêtait à faire le rongeait de l'intérieur. Mais aussi de la résolution, il n'hésiterait pas une seconde.

Le sentiment de pure trahison l'empêchait de faire entrer l'air. Elle qui n'avait plus rien, Rafe venait de lui arracher tout ce qui lui restait, sa famille, la confiance qu'elle avait en lui.

— On peut dire que tu as réussi. Est-ce que je dois te féliciter ? articula-t-elle à mi-voix.

Rafe retient sa main avant que le liquide gluant ne s'accroche à ses doigts. Elle évita son contact. Était-il choqué qu'elle s'approche de plein gré du bois encore poisseux de cloques sombres ?

Elle releva le menton, l'incitant à lui trancher la gorge. Qu'espérait-elle à le défier ainsi, faire sortir le meurtrier sanguinaire qui se tapissait dans son âme, ou des regrets ? À force de dévisager son expression impénétrable, elle venait à penser qu'elle était la plus folle des deux, à vouloir voir quelque chose qui n'existait pas.

Rafe pencha la tête par-dessus son épaule comme pour l'étreindre sans la toucher. Elle baissa les yeux sur la surface rougeâtre du sol. Sur les taches rouges qu'il n'avait pu laver de sa peau.

— Je ne le fais pas pour Pharaon ni pour les veilleurs. Mais pour sauver notre famille, ce qu'il en reste, prononça-t-il à son oreille.

La table ne l'acculait pas, elle aurait pu reculer et tenter une deuxième évasion. Rafe ne semblait pas vouloir la retenir. Au contraire, il espérait qu'elle prenne la fuite. Typhenn ne bougea pas. Elle était venue en finir, d'une manière ou d'une autre.

Typhenn força sa voix à sortir froide et égale.

— Il n'y aura pas de pardon pour toi.

Rafe posa sur la table une étoffe de velours qu'il déroula. La lame noire et ondulée d'un kriss énorme apparut. On avait ajouté une liste de nom, l'écriture minuscule ne pouvait être l'œuvre des hommes. Il saisit la poignée de bois, portant un soin particulier à ne pas toucher l'acier incrusté d'étoiles.

— Alors,c'est tout. Tu vas me saigner, et tout est fini, murmura Typhenn,elle ne pouvait détacher les yeux des cartouches sur la lame,attirée par une curiosité morbide. L'aigle, la lance, les deux plumes de Nekeh, la fourche de Min, l'animal fabuleux de Seth, le sceptre... Tant de familles disparues qu'elle ne connaissait pas.Tant de veilleurs morts sans savoir pourquoi ni connaître leurs héritages.

Sous le regard avide du vieux Léodic, elle voulait lui hurler d'ajouter leur cartouche. Elle voulait le blesser autant que sa trahison la faisait souffrir. Même si cela signifiait le pousser à l'étrangler de ses mains. Les secondes s'étiraient, retardant le moment fatidique.

Comme lui, elle retenait son souffle.

Typhenn saisit le poignet qui tenait le kriss.Elle sentit tous les muscles de son bras se contracter sous sa paume.

— Il est mort. Tu l'as tué, comme tous les autres, dit-elle en reconnaissant l'ibis des Detire s'ajouter sous ses yeux.

— Tina,t'expliquer serait trop long. Tu ne...

— Tout ça pour quoi, Rafe ? Pour l'honneur ? Pour la gloire de racheter le grand péché des athamas ? (Rafe eut un mouvement de surprise. Elle n'avait jamais prononcé ce nom.) Tout ce baratin que te me sers depuis le début. Tu disais que l'on ne pouvait compter que sur nous même. Qu'il n'y avait que nous ! Nous !Notre famille, où est-elle à présent ?

Plus elle parlait, plus sa voix montait dans des aiguës sans pour autant hausser le ton. Elle laissait ses émotions se déverser. Mais au lieu de sortir calmement, la vague l'engloutit,étranglant les sons.

— Ce n'est pas ce que j'appelle l'ordre. Tu devrais vivre pour l'avenir, au lieu de le chercher dans le passé. Typhenn pouvait entendre la voix de Ronan dans ses propos. Elle en aurait ri dans une autre situation.

— Je ne te le demanderais pas si ce n'était pas important ! La voix de Rafe avait assez de colère contenue pour frapper la table du poing. Son self-control l'empêcha de le faire. Malgré une profonde inspiration, il restait tendu. Il ne lui révélerait rien.

Qu'est ce qui le retenait, il avait tué des enfants et leurs familles ? Elle ne devait pas être si différente.

— Je n'ai jamais dit être le gentil, Tina.

Il y avait tant du vide dans sa voix.

— Arrête. Je ne veux pas d'excuses, l'interrompit Typhenn. Elle ne voulait pas finir comme ça. Cependant, qu'importe les circonstances, son orgueil lui interdisait de supplier pour sa vie.

Quelque part dans son dos, Yan l'appela.

Elle lâcha le kriss et écarta les bras. Relever le menton sans trembler lui demanda toute la force de sa volonté.

Ils ne l'écoutaient pas.

Rafe reposa le kriss sur le duvet, ses traits durcis par un mélange de stupéfaction et de contrariété. Quelqu'un émit un grognement agacé.

Elle vit Rafe reculer lentement et effacer le cercle du pied. Il observait un point dans son dos. L'avait-elle fait changer d'avis ? Typhenn n'osait le croire. Elle laissa échapper un soupir de soulagement. Elle ne s'était pas aperçue retenir autant ses nerfs.

La porte d'AkerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant