Chapitre 18 - La flèche du traître

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Typhenn essaya une dernière fois la porte en chêne des cachots. Elle était on ne peut plus verrouillée. La pure force physique n'enfoncerait pas le vieux verrou, et s'énerver sur le bois massif ne servirait qu'à lui déboiter l'épaule.

Une présence remua dans son dos. Des yeux brillaient dans le noir.

Elle ramassa la lampe à huile posée au sol, son poignard dissimulé dans sa manche. En plissant les yeux, elle reconnut la grande ligne filiforme de Yan avant qu'il n'entre dans la lumière.

Typhenn soupira de soulagement. Un autre que lui aurait posé problème.

— Je n'ai rien à te dire, laisse-moi.

Elle s'éloigna à grandes enjambées. Yan la suivit sans mal.

—  Typhenn, attends, souffla-t-il à sa suite, comme s'il ne voulait pas qu'on les voie ensemble. Je suis désolé de n'avoir rien dit. Ronan, il m'a fait promettre de ne pas t'en parler. Il pensait que tu deviendrais imprudente et incontrôlable.

Ses états d'âme ne changeaient rien. Mais Ronan avait on ne peut mieux prédit ses réactions, encore. Typhenn fit volte-face, l'obligeant à reculer.

—  Quoi ? Qu'est-ce que tu me veux ?

Il hésita, surprit par la brutalité de sa question.

— Je... je voudrai réparer ce que je t'ai fait. Ce qu'il pense ne justifie pas son comportement. Il... Nous n'aurions pas dû te mentir. Et, je regrette d'être entré dans son jeu. J'ai dit que je t'aiderai et je n'ai que ma parole, je ne possède rien d'autre. Laisse-moi me faire pardonner, au moins.Yan hésita, avant d'ajouter, ton cousin, en bas, sait où il se cache, mais Ronan va perdre cette chance de trouver l'assassin. Il ne va rien faire.

Tout ça n'était que mensonge. Elle le prouverait.

Typhenn plissa les yeux, incertaine de pouvoir lui faire confiance. Si Yan ne l'accompagnait pas, il courrait certainement prévenir Ronan qui n'aurait plus qu'à la traquer.Elle n'aurait aucune avance sur lui.

Elle repensa à la porte qui la séparait de son cousin. Il lui faudrait une clef pour l'ouvrir et quelqu'un pour surveiller ses arrières. Elle pourrait se servir de Yan un temps.

Typhenn lui fit signe de la suivre en silence à travers les couloirs.

Yan avait du talent, il lui avait fallu moins de deux minutes pour crocheter la serrure. Cependant, le calme n'en faisait pas partie. Il n'arrêtait pas de gesticuler au moindre bruit. Elle ferma la porte derrière elle, ne laissant qu'un mince filet de lumière entrer dans le bureau d'Orlène.

Il commença à retourner les rouleaux de papier,les tiroirs et à tester les murs tout en évitant de déranger les oiseaux endormis sur leur perchoir, ou le chat qui ronronnait les quatre pattes en l'air sur la chaise derrière le bureau.

Typhenn s'enroula dans le manteau accroché à la porte, épais et couvert de plume dans le dos. Personne ne viendrait lui poser des questions si on la prenait pour la maîtresse du fort. Dans son dos, Yan avait arrêté de fouiller la pièce.

Après un dernier regard dans le couloir sombre et silencieux, Typhenn glissa la dague à sa ceinture et porta la lampe à hauteur de sa capuche.

— Tu l'as trouvée ?

— Je n'aime pas ça.

Il gagnait du temps. Ses mains papillonnaient nerveusement autour de sa boutonnière.

Typhenn se força au calme. Yan ne le connaissait pas. Il ne comprenait pas que Rafe viendrait la chercher à la prochaine nuit, ou la suivante. Son cousin avait réussi à franchir la barrière de trois forts réunis. Rien ne l'empêchait de recommencer. À ce moment-là, qui sait ce qu'il adviendra lorsqu'il lâchera ses sbires sur le fort endeuillé. De plus, il y avait Merle, qui pouvait lui faire subir un sort identique à celui de sa mère. Typhenn ne resterait pas enfermée entre quatre murs avec les druides et leurs créatures.

— La clef, répéta doucement Typhenn. Réveiller les oiseaux qui ameuteraient les druides n'apporterait rien de bon. Actuellement, elle se trouvait aussi loin de leurs bonnes grâces qu'on pouvait imaginer.

Yan réfléchit une seconde qui parut une éternité.

— La crocheter prendrait du temps. La serrure est simple, mais c'est du lourd.

Elle grogna, avançant d'un pas dans sa direction. Elle n'avait pas envie de s'occuper des scrupules d'un adolescent.

Le bureau les séparait.

Les pas lourds de Gwenaëlle écrasaient le plancher au bout du couloir. Ils se dirigeaient vers eux.

Typhenn se retourna lentement vers la porte entrebâillée.

Yan contourna le bureau sur la pointe des pieds,ignorant Typhenn qui lui intimait de ne pas bouger. Elle n'osait plus remuer le petit doigt. Elle l'observait avec horreur, ne pouvant qu'attendre le moment où une latte de parquet grincerait.La druidesse s'approchait. Un grincement.

D'un mouvement du poignet, le poignard tomba dans sa paume et Typhenn fléchit les genoux.

Yan passa devant elle et poussa la porte,doucement, sans un bruit. Le verrou glissa à sa place.

Le pas lourd de Gwenaëlle passa, puis s'éloigna pour disparaître dans l'escalier.

Elle compta jusqu'à vingt et osa enfin reprendre une respiration normale.

— Yan... gronda Typhenn. Elle ne termina pas sa phrase. Son prénom flottait entre eux, porteur d'une menace à lui seul.

— C'est bon. Je les ai, capitula Yan d'une voix traînante. D'un geste tout aussi lent, il sortit les grosses clefs d'une poche intérieure. Il hésita une fraction de seconde. Le trousseau tinta à mi-chemin de sa paume ouverte. Puis,il ajouta tellement vite et bas que le reste fut presque incompréhensible. C'est juste que... tu n'as toujours pas expliqué pourquoi je devais les voler.

Yan ne voulait pas qu'elle soit seule avec son cousin. Ses aveux l'avaient suffisamment secoué. Lorsqu'elle l'avait découvert en train de la suivre à pas de loup pour lui avouer par la suite qu'il souhaitait se racheter. Yan lui avait tendu une perche, dès lors le convaincre de voler les clefs fut facile.

—  Je n'ai aucune intention de mourir pour rien, lui affirma-t-elle droit dans les yeux. Cela ne suffit pas au garçon. Elle ouvrit donc un peu le maelstrom d'incertitude qui faisait rage dans son ventre. Yan, je crois en ma famille. Il y a quelque chose derrière tout ça. Quelque chose que Ronan nous cache.Et, pour reprendre tes mots, sans eux, je ne sais pas ce qu'il me reste.

Yan prit deux inspirations.

— OK, souffla-t-il, et moi, je te fais confiance.

Trois clefs de fer tombèrent lourdement dans sa paume.

La porte d'AkerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant