Sphranch - part4

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Leurs esprits furent emportés dans son sillage, s'élevant dans un ciel noir. Elle voyait son ba battre des ailes avec assurance. À côté, la forme verte de Yan planait plus qu'il ne volait, ses mouvements l'entraînaient de droite à gauche. À chaque fois qu'il cessait de gesticuler, Ronan l'aimantait de nouveau.

Il n'y avait rien, aucun repère pour se diriger, juste une immensité veloutée. Non, lorsqu'elle calmait son esprit, la Voie lactée pétillait autour d'eux. Les enveloppant d'étoiles scintillantes. Ronan volait vers une étoile plus brillante que les autres. Neter-doua, l'étoile du matin,celle qu'elle devrait retrouver par la suite. Typhenn décida de virer vers une étoile rouge qui brillait plus fort que celle du matin.

Jamais encore elle n'était parvenue à ce stade de méditation, elle osait à peine se laisser porter par le calme de son esprit, par cette sensation effrayante et enivrante. Elle avait conscience des battements puissants de son cœur et de la respiration de son corps sans l'habiter. Typhenn libéra ses ailes comme on étend les bras pour toucher le vent. Elle flottait seule dans un océan d'étoiles.

Libre.

Soudain, le vent ne la soutient plus.

Dépourvue d'ailes, elle tombait comme une pierre. Elle fendit la terre. Son cœur martela sa panique dans sa poitrine. Les grains de sable volaient autour d'elle. Puis, alors que sa chute semblait infinie, sans qu'elle puisse l'expliquer, Typhenn se tenait debout dans un temple envahi par le désert, les pieds enfoncés dans le sable brûlant. Les formes sombres des dieux de pierre la surplombaient. La lumière des torches énormes n'atteignait pas leurs visages d'animaux, leur ôtant leurs bienveillances.

En plissant les yeux, elle pouvait voir l'ombre de la pyramide inversée, les colonnes ensevelies sous le rêve. Non,cela n'avait jamais été un rêve. Typhenn connaissait assez la magie pour ne pas se laisser tromper par de simples visions. Son esprit voyageait toujours dans l'Amdouat. Elle devait se montrer prudente. Une âme blessée dans le monde spirituel ne guérirait pas.

Une lionne sortie de derrière une colonne, la démarche souple sur le sable. Des couches de calcaire millénaire tombaient de son corps à chaque mouvement. La terre tremblait sous ses pattes, faisant choir des cascades de sable. Son visage de calcaire arborait l'expression féroce des gros félins, alors que sa queue battait l'air.

— Qui es-tu, enfant de la Terre ?

Typhenn recula face à Masfet, la gardienne de la maison de Vie, chasseuse de serpents. Sa voix venait de partout sans qu'elle ouvre la gueule. Les créatures de l'Amdouat s'exprimaient par l'intermédiaire de leurs statues. La pierre,simple conduit pour le ka, ne fournissait pas d'organe pour communiquer.

—  Je suis Typhenn, enfant et gardienne de Maât, serviteur de Nebty, protectrice de la couronne, se présenta Typhenn, comme Ronan plus tôt, comme on lui avait appris. Elle ne prit pas la peine de montrer le lotus qui prouverait son identité au sphinx. Il voyait tout. Il connaissait son allégeance à Maât.

— Ta place n'est pas ici, ton ka est faible, gronda la statue, en se retournant.

— Non, attendez ! Il se produit des choses terribles dans le monde terrestre. J'ai besoin de transmettre un message. Typhenn avança vers elle, agitant les bras vers le ciel, comme si sa taille de Lilliputien pouvait arrêter le colosse de pierre.

Le félin de pierre s'assit sur ses pattes arrière, prêt à l'écouter, du moins elle l'espérait. Et peut-être, prêt à l'aider.

— Aucun soutien ne viendra. Il n'y a plus de ka digne de confiance ici. La fille de la terre renaîtra et n'aura plus besoin de chercher d'aide, prophétisa Masfet.

La lionne allait la tuer et régler le problème. Typhenn s'interdit de paniquer, elle chercha sa dague, étant une âme, sa main se referma sur le vide. La statue rugit un hurlement à faire trembler les cieux. Le souffle la poussa en arrière, elle fut emportée par une vague de sable. Les portes se fermèrent devant elle, laissant la place à une odeur riche et fertile qui lui collait à la peau.

Typhenn ouvrit les yeux lorsque les grains de sable cessèrent de lui griffer le visage. Elle se trouvait perdue dans une roselière de jonc et de nénuphars. La force du cri l'avait repoussée si loin, elle pouvait discerner que le haut des colonnes du temple.

Des oiseaux flottaient en silence sur l'eau parmi les lotus, aussi immobile que des animaux empaillés. Dans son dos, un acacia projetait l'ombre immense d'un soleil invisible.

Quelqu'un se tenait sous la protection de ses branches, quelqu'un avec une aura familière et bienveillante. Elle voulut s'approcher, mettre un nom sur son visage. Elle s'avança une main devant les yeux.

Une secousse fit trembler la terre. Ou était-ce elle qui convulsait ?

Typhenn s'enfonça dans l'étang de nénuphars sans se souvenir d'y avoir plongé les pieds. Elle s'accrocha aux joncs. L'ombre se tourna alors vers elle. Elle tendit une main vers lui, certaine qu'il l'aiderait à sortir des sables mouvants qui l'attiraient de plus en plus en son sein. Sa tête disparut sous la surface. L'air lui manquait.

On saisit sa main, mais elle n'avait plus la force de serrer. Elle se crut sauvée, puis un sourire étira la bouche de celui qui la retenait. Un akhou. Aucun akh n'était digne de confiance, l'avait prévenue le sphinx.

Il la lâcha.

Sa dernière bulle d'air remonta vers le ciel.

La porte d'AkerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant