Épilogue - La porte sur l'eau

12 1 0
                                    

Typhenn ne se souvenait pas comment elle s'était débarrassée de la druidesse. Seulement de la surprise sur son visage lorsqu'elle s'était enfuie dans la forêt. Tout lui apparaissait haché, des scènes reliées entre elle sans aucun sens, comme dans un rêve

Ils l'obligeraient à l'abandonner. Elle devait trouver Ronan. Non. Il serait de leur côté. Ronan refuserait de l'aider. Ils ne comprendraient pas l'angoisse d'être prisonnier de l'obscurité, d'avoir pour seuls compagnons ses peurs et le froid.

L'univers entier bougeait plus vite qu'elle avançait. Sa vision se superposait à une deuxième lui montrant deux endroits en même temps. Elle se trouvait à la fois sous les bois et dans une jungle luxuriante. Elle trébuchait sur des obstacles qu'elle ne voyait pas, sauter par-dessus des troncs inexistants. La chaleur estivale la faisait transpirer à grosses gouttes alors que le vent automnal la glaçait.

Par deux fois, elle crut voir des personnes dans la forêt. Or il n'y avait pas une âme. Elle marchait seule avec les hallucinations que le court contact avec l'esprit d'Anubis lui donnait, ou était-ce son voyage dans le noir ? Typhenn reconnue les ombres des médjaïs, des princesses et des rois passés. Elle croisa un groupe de soldats avec des épées, une femme en blanc qui apparaissait toujours au-devant du chemin que Typhenn empruntait.Elle n'aurait su dire si elle eut une vision ou s'ils avaient vraiment vécu.

Soudain elle trébucha dans l'eau. Le temple des Artisans s'élevait, magnifique et brisé sur la rive.

Il ne restait aucune trace de la fête.

Le temple solitaire, entier dans toute sa splendeur côtoyait ses colonnes décrépies. Typhenn assistait,spectatrice, à une scène qui avait eu lieu des siècles auparavant. Elle se cacha derrière la mousse d'une colonne, honteuse d'épier les secrets du passé.

Sur les premières marches, une femme attendait enrobe légère. Le tissu détrempé collait à ses jambes et gouttait dans l'eau du lac. Ses pieds frappaient la surface entre les roseaux sans produire la moindre vague.

Typhenn suivit le souvenir. La vase glaça ses pieds nus. Elle avait abandonné ses baskets, coincées entre les rochers.

Depuis l'apparition de la femme, le brouillard de souvenirs s'était tu, ainsi que les voix du passé. Tous les souvenirs se concentraient sur cette femme avec une lourde perruque en laine qui s'avançait dans l'eau, un poignard à la main.

Un cercle s'illuminait dans un coin de son esprit. Si les visions venaient des souvenirs d'Anubis, ils devaient être connectés d'une certaine manière. Elle pourrait puiser dans sa force. En suivant ses gestes, Typhenn savait qu'elle pourrait l'invoquer. Elle tricherait, peu lui importait que les lois du monde le lui interdisent. Elle arrêterait Rafe. Elle ancrerait un dieu à cette terre.

L'eau du lac lui mordit le ventre. Par réflexe,ses bras refusèrent de toucher la surface du lac. Elle s'allongea toute entière dans l'eau sombre. Elle flottait dans les étoiles,le corps entier engourdi.

Typhenn sursauta. La femme l'observait, les cheveux flottant sous la surface, le regard fixe et vide. Elle connaissait ce visage, ces yeux.

L'eau froide la mettait en état d'hyperventilation. Typhenn rua pour se libérer des griffes qui voulaient la noyer. Elle creva la surface, à quatre pattes sur les galets, crachant de l'eau par le nez.

La forme menue d'Aoife se tenait droite, les yeux cernés de noir jusqu'à la limite de son front. Des veines bleues s'étiraient sur ses pommettes couvertes de poudre d'or.Elle se pencha sur Typhenn et lui tendit une main aux ongles cassés. Elle avait perdu ses yeux verts, remplacés par des orbites vides. Ainsi, Typhenn sut qu'elle n'était pas vraiment l'esprit de la mère de Ronan qui s'était noyé dans le lac. La chose n'avait rien en commun avec elle. De la femme qui avait daigné les prendre tous les trois dans ses bras, malgré son ventre qui s'arrondissait, à la mort de sa propre mère. Typhenn balaya sa main squelettique.

La porte d'AkerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant