Chapitre 8 - La marque des reines

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Ils ne restaient plus qu'eux dans l'antichambre. Le crépitement des braises dans les braséros emplissait tout l'espace. Yan l'attendait sans un mot à l'extérieur des vestiaires. Typhenn arracha sa manche déchirée et de frustration la jeta sur les braises. Elle ressemblait plus à une momie pâle et frissonnante qu'à une guerrière. Rien d'étonnant que personne ne la prenne au sérieux.

Même Rafe ne supportait plus ses erreurs. Cette fois, il ne la soutiendrait pas. Sans lui, Typhenn ne voyait que l'impasse face à elle. Elle se redressa et calma sa respiration en entendant des voix à l'extérieur.

Yan essaya de retenir un homme. Il le dépassait de quelques centimètres, et jetait des regards inquiets par-dessus l'épaule de l'intrus.

Par réflexe, elle lança son akhamé. Ronan dévia la trajectoire fatale. Le fer glissa sur les dalles de pierre, hors de vue. Typhenn leva le nez, feignant une assurance qu'elle ne ressentait pas, en particulier après l'humiliation de l'arène.Ronan se tenait devant la porte, revêtue de son attirail habituel :ses couteaux, et dissimulé sous sa veste, ce qui ressemblait à gros un revolver. Ses deux sabres dépassaient dans son dos. Toutes armes autres que les lames sacrées étaient prohibées dans l'enceinte des temples. Les règles se trouvaient au-dessous du prodige. Ronan pouvait s'amuser à introduire ses armes de boucher n'importe où,personne n'élèverait la voix à son encontre.

— Qui est-il ? demanda Ronan, il croisa les bras en indiquant Yan derrière lui.

— Les armes impures sont prohibées dans une enceinte sacrée, Typhenn ignora sa question et enfila son long manteau par-dessus sa tunique ruinée.

Elle fronça le nez, ses vêtements entreposés dans la caisse avaient des relents de paille humide. Ronan avait déjà vu une fraction de ses tatouages. Si son intention avait été de la dénoncer, il n'aurait pas accepté le duel.

Ronan resta de marbre, planté entre le braséro et la seule porte de sortie. Derrière lui, Yan n'osait pas le toucher. Au moins, l'instinct de survie du garçon se développait.

Enfin, Typhenn produit un son très féminin remontant de sa gorge, elle renifla. Ce qui semblait dire :quelqu'un.

Les yeux vairons de Ronan écrasaient Typhenn. Tu te fiches de nous, l'accusaient-ils, tels deux vautours contrariés de tomber sur une carcasse trop maigre.

— Il n'a pas de marque, devina Ronan, les bras croisés. Fais-toi passer pour une impatiente plus bête qu'elle ne l'est, si ça te chante. Il désigna sa tenue réservée à son introduction jetée en boule dans la caisse. En tant que spectatrice,elle aurait dû porter une simple robe de lin. Tu savais qu'il attirerait l'attention.

Typhenn claqua le couvercle.

La marque dont Ronan parlait était de la fleur de lotus apposée sur le cœur de tous les veilleurs lorsqu'ils offraient leurs vies au service de Maât. Une marque au fer douloureuse, et pour Typhenn, une parcelle de son dos inutilisable dont elle se serait volontiers passée si elle ne symbolisait pas son engagement et son honneur.

Elle émit un son entre le rire et un grognement animal.

— L'idée que tu as de moi me flatte,j'en oublierais presque que tu m'accuses d'avoir introduit un étranger entre nos murs sacrés.

Ronan répéta simplement son affirmation.

Elle lui lança un regard noir. Il n'y avait rien à ajouter. Son teint maladif, son maintien abominable, tous les signes pointaient dans ce sens. Même avec son petit spectacle de l'arène, elle pouvait remercier les dieux que personne d'autre n'ait remarqué que Yan était à des lieux des fiers enfants de Maât. Dès que des têtes avaient commencé à se tourner vers lui, Typhenn avait attiré les regards sur elle. Ronan avait laissé couler le duel pour lui tomber dessus à ce moment précis.

— Yan est autant veilleur que toi et moi,mentit Typhenn, elle remarqua le changement de position de Ronan, les genoux légèrement fléchis, les bras relâchés, prêts à se tendre. Qu'est-ce que tu veux ? Elle approcha discrètement sa main près du couteau attaché à sa cuisse, sous les tissues de son pagne. Elle rencontra le vide. Typhenn se mordit la joue, elle avait bêtement lancé son akhamé sur lui.

Ronan n'avait aucune intention de l'affronter,car il se retourna brutalement. Il attrapa Yan par la gorge et le plaqua contre le mur. Il obtiendrait ses réponses avec ou sans sa coopération.

— Donc, un enfant d'Isefet ou... un autre que Maât a perdu ?

Il avait fallu plusieurs jours à Typhenn pour arriver à la conclusion que Yan faisait partie d'une branche de veilleurs ignorante de ses origines. Quand on avait plus de trois mille ans d'histoire, cela ne devait pas être si compliqué à deviner.

— Avec ta famille de félons, je ne pensais pas te voir tomber plus bas, athama. Et voilà que tu introduis un étranger dans le temple.

Égarés ou rôdeurs, les premiers ne valaient pas mieux que les seconds tant qu'ils ne se soumettaient pas à l'autorité des Chepesou.

Typhenn sentit le rouge lui monter aux joues.

— As-tu au moins une idée du dieu que tu sers ? Ronan avait déjà retourné son attention vers Yan, relâchant juste assez la pression sur sa gorge pour qu'il puisse s'exprimer.

— Quoi ? croassa le garçon. Yan n'avait jamais juré. Il ignorait jusqu'au sens de la question. Ils auraient déjà de la chance s'il connaissait Osiris ou Isis.

Typhenn profita pour le frapper derrière la tête.Il repoussa l'assaut d'une main, maintenant toujours Yan de l'autre. Parfait, une de moins. Elle enchaîna les coups, et parvint à toucher une jambe. Il descendit d'un étage, contraint de libérer Yan pour se défendre.

Ronan recula.

Elle ordonna au garçon de sortir. Elle battit en retraite sans le quitter des yeux. Ronan bloquerait toutes ses tentatives. Il y avait aussi ce revolver sous sa veste. Une fois près de la porte, Typhenn renversa le braséro d'un violent coup de pied. Les braises roussirent un peu le pantalon de Ronan et ses bottes, lui offrant le temps de l'enfermer à l'intérieur.

Le souffle court, Typhenn s'appuya contre le bois. Jadis, les Alexandre, les gardiens du trône avaient été le bras de Per-aâ. Les Vaugren n'auraient jamais partagé le même air que Pharaon. Ce chacal osait l'insulter jusqu'à remettre sa loyauté en question à cause des erreurs de ses ancêtres.

Le garçon se massait la gorge, secoué de tremblements de la tête aux pieds.

— Bouge-toi avant qu'il parvienne à ouvrir la porte. L'injonction lui était autant destinée que pour elle-même.

Dans une quinte de toux, il pointa le couloir vide devant eux.

La porte d'AkerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant