Chapitre 20 - Ipenou: Anubis

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Typhenn gravit l'étage en retenant son souffle. Elle volait par-dessus les paliers à la poursuite de Rafe. Les sons de sa course sur le plancher la guidaient toujours plus haut vers ce qu'elle avait pris pour un placard, était un escalier montant aux combles.

- Typhenn, arrête ! C'est de la folie !

Yan la rattrapa au milieu des marches. Son bras faible ne la reteint pas. Elle s'esquiva, prit appui sur les murs et le repoussa violemment.

Yan dégringola en arrière.

Poussée par sa haine, Typhenn ne s'accorda pas le luxe d'avoir des remords. Elle sauta par-dessus les sacs de ciment, de gravats et les caisses à outils. Ses semelles soulevaient des nuages de sciure sur le plancher rongé par les mites.

- C'est terminé, Rafe ! Le conseil ne te jugera pas, je vais m'en charger. Son propre sang coulait sur l'akhamé de Nora. Typhenn affermit sa prise autour de la poignée.

Rafe marqua une pause devant une ouverture sans fenêtre. La bâche en plastique claquait entre les bourrasques.

- Tu vas m'exécuter, Tina ?

Ses yeux allaient et venaient entre son visage et l'akhamé qu'elle serrait à s'engourdir les doigts.

Typhenn avait voué sa vie à Per-aâ et aux veilleurs. Elle arrêterait l'assassin avant qu'il ne tue encore,d'une manière ou d'une autre.

- Peut-être.

Un demi-sourire étira les lèvres de son cousin.

Il sauta par la fenêtre.

Typhenn se propulsa en avant, mais une distance trop grande les séparait. Elle écarta la bâche juste à temps pour le voir glisser d'une poutre quatre mètres au-dessus du sol. Il se rattrapa en bas avec aisance.

Sans hésiter, elle plongea à sa suite, se servant de la poulie pour réduire sa chute. Sa main brûla sur la corde poussiéreuse. Elle exécuta une roulade qui ne suffit pas à atténuer les aiguilles sous ses pieds. Aussitôt debout, elle se força à courir. Il gagnait du terrain à chaque foulée.

Les suppôts d'Anupet encerclaient la maison.Leurs griffes grinçaient sur la porte en plastique. Par chance, ils ne la remarquèrent pas.

Rafe disparut derrière un dolmen.

Le temps qu'elle contourne le rocher, la porte se refermerait. Typhenn vira à gauche vers un raccourci dangereux.Elle prit de l'élan sur un monticule rocheux, s'écorchant les paumes et les genoux sur la roche aiguisée au passage. Elle sauta droit dans les ondulations de la porte.

Son saut n'avait rien de gracieux. Typhenn ne sentit pas la brèche l'avaler. Rien ne ralentit sa chute. Le cœur dans la gorge, elle tomba.


Typhenn chuta de bien plus haut que le saut qu'elle venait d'exécuter. À deux mètres du sol, un corps la percuta. Elle partit en vrille. Le sable chaud d'une dune amortit durement le choc sur son épaule. Elle roula, voyant à travers un nuage rouge celui qui l'avait heurté dévaler la pente à sa suite. Elle ne s'arrêta qu'au pied de la dune, stoppée par un palmier.

Derrière eux, un kepesh glissa paresseusement sur une vague de sable.

Yan tituba, crachant du sable. Il se tenait les côtes d'une main.

Désorientée, Typhenn se leva à quatre pattes et l'attrapa par le col. La chaleur du soleil commençait déjà à cuire sa peau.

- Qu'est-ce qu'il t'a pris ? Parles dents de Sobek, une descente d'escalier ne t'a pas suffi !

Yan imita son geste. Il tira sur son col jusqu'à hauteur d'épaule, la forçant à se mettre sur la pointe des pieds.

- Toi,qu'est-ce que tu fais ? Évidemment que tu as besoin d'aide.Ils sont deux ! Yan leva les bras au ciel comme s'il allait leur tomber sur la tête.

Typhenn ne lâcha pas prise. Elle chercha le mensonge dans sa façon de se tenir, à travers ses yeux clairs. Il ne pouvait pas l'avoir suivie elle. Il voulait le sang de Rafe, celui de l'assassin de sa famille.

- Il n'y a pas de nous ! On se connait depuis quoi, deux semaines ? Tu ne peux déjà pas te défendre. Que veux-tu faire à un dieu, hein ?

Comprenant qu'elle ne comptait pas le lâcher, Yan la saisit de nouveau par le col, avec moins de force que la première fois.

- Quatre, rectifia Yan, bien plus de temps qu'il en faut pour se faire des amis.

Elle ne pouvait rien rétorquer, que savait-elle sur les liens entre amis ? Ses seuls exemples cherchaient à s'égorger, ou à mettre leur ami derrière les barreaux. En ce moment, ce genre de lien ne lui semblait qu'une vaste farce.

- Un ami n'aurait pas mouchardé à Ronan, l'accusa Typhenn,elle se dégagea, refusant de le regarder dans les yeux. Ronan.Depuis combien de temps nourrissait-il des soupçons ? Depuis quand se servait-il d'elle ? Il pratiquait trop bien la rétention d'informations pour le deviner. Ce suppôt de Seth s'approprierait la gloire d'arrêter Rafe et assouvirait enfin sa petite vendetta. À cause de toi, ils iront dans les geôles et seront condamnés à disparaître. Au lieu d'en perdre un, je perdrai les deux,alors ne prétends pas vouloir m'aider !

- Typhenn, Yan prit une inspiration comme s'il devait se forcer à prononcer le reste. S'il te plait, ne m'en veux pas de préférer te sauver toi à eux.

Elle ouvrit la bouche pour rétorquer, et la ferma aussitôt. Il était un pur idiot de s'accrocher à elle. Et pourtant, il l'avait suivi, prenant un risque énorme. Il le savait, mais avait-il conscience qu'il se retrouverait à affronter l'assassin de ses parents ? Que ce dernier n'hésiterait pas une seconde à l'éliminer.

- C'est différent.

Yan l'observa avec la mine agaçante d'un gamin qui la mettait au défi de le convaincre.

- Parce que... parce que j'aurais pu le convaincre, essaya-t-elle. Elle pouvait le sauver. Elle pouvait découvrir le véritable assassin,celui qui était à la source de tout. Elle serra les poings, cela ne changea rien. Pourquoi tremblait-elle ? J'ai vu qu'il... il hésitait. Il se serait retourné contre les rôdeurs. Je le sais.

Yan la serra contre lui, si fort qu'elle avait du mal à bouger ou à respirer.

- Non.

Écrasée contre lui, elle aurait voulu lui lancer un regard noir, il parlait trop fort. Il ferait mieux de se taire. Typhenn ne le repoussa pas. Au moins, elle ne sentait plus ses tremblements.

- Ferme les yeux maintenant, s'il le faut. Tu feras face plus tard.

Cette conversation... Typhenn ne voulait pas l'avoir. Elle ébranlerait sa fragile résolution. Ce serait prendre le risque de découvrir que sa vie était une magnifique toile tissée de mensonges. Elle repoussa les questions qui se bousculaient.

- Je ne vois pas de quoi tu parles, mentit Typhenn en le repoussant doucement. Ce n'est pas le moment de se reposer.

Yan prit un air faussement vexé. Il se massa la nuque, faisant tomber du sable dans son col. Il voulut ajouter quelque chose, mais du bruit leur rappela qu'ils venaient de sauter dans une porte djet, qu'ils se trouvaient au milieu du désert, perdu.

- Comment va ton bras ? s'enquît-elle faiblement en guettant les alentours.

Il n'y avait rien à part le sable qui dévorait l'horizon d'un côté et une oasis de grosses feuilles de l'autre. À l'orée du désert cuisant, la sensation de l'air frais apporté par l'eau paraissait un cadeau des dieux.

Yan leva son bras à la lumière. La plaie qui avait saigné abondamment n'avait laissé que la ligne blanche de la flèche à travers la muraille, complètement guérie. Typhenn fronça des sourcils.

Un grondement dans leurs dos les surprit.

Typhenn se tourna, immédiatement en position.

La porte d'AkerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant