Au bout du val -part5

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Le bureau installé de travers emplissait l'espace réduit.

Une peau de panthère était suspendue à un crochet. Comment n'avait-elle pas remarqué plus tôt cet animal sethien ? On ne voyait qu'elle, prête à être revêtue, comme un cri d'allégeance au dieu de la fourberie. Léodic avait peut-être renié son allégeance à Anubis, lui préférant son père.

Le vieux médjaï promenait sa carcasse. Il tournait autour de bureau, sans jamais vraiment s'assoir. Il ses errait contre le lambris pour passer, faisant choir toujours plus de feuilles qu'il piétinait par la suite. Marcher devait l'aider à réfléchir, car elle n'avait jamais vu quelqu'un boiter avec autant d'entrain. Ses lunettes glissaient constamment sur le bout du nez. Il retournait feuilles et livres, grattait le papier et marmonnait comme si deux jeunes n'attendaient pas devant lui.

Typhenn finit par rompre le silence, le fer de la canne martelant la pierre tournait au véritable supplice ; or compter les tâches de la peau accrochée au mur ne suffisait plus.

— Andraste n'a jamais été impliqué. Vous le disiez votre ami, mais il n'est qu'un bouc émissaire. Vous vouliez liguer les Chepesou contre lui. Elle s'avança et fut immédiatement tirée en arrière. C'était malin, reconnut-elle autant pour le faire parler que pour arrêter d'envisager ce qui l'attendait. Ce que faisait Rafe en ce moment. La moindre information pourrait les sauver.

Elle chassa la patte du rôdeur qui lui servait d'ombre de son épaule pour la seconde fois en sifflant entre ses dents. Il ne restait plus que lui. Rien d'insurmontable si elle ne considérait pas l'armée qui attendait derrière chaque porte. Les fenêtres étaient trop petites pour qu'ils envisagent de sortir par là.

Léodic ordonna qu'on les laisse. Que pouvaient faire une infirme et un gamin qui ne savait pas se tenir correctement ? Il enchaîna par un monologue sur l'éducation à coups de badines agrémenté de grognements supplémentaires, car le rôdeur refusait d'obéir à un autre ordre que celui de garder ses mains pour lui.

— Andraste ? répéta le vieux bouc, avec une surprise feinte. Comme si le prénom tant craint pouvait révéler une saveur différente. Il est plutôt difficile à semer. Au moins, tu es un peu maligne, quand tu as la réponse sous les yeux. Il indiqua les piles de feuilles et les annotations de deux plumes qui se mélangeaient. Celle de Rafe, régulière, presque mécanique et les lignes verticales de l'autre, presque illisible. J'ai été agréablement surpris lorsque son fils est passé écouter mes conseils avisés, et un peu déçu, je dois admettre. On le disait rusé. Au final, il est comme les autres, un arrogant.

Avec toute la volonté du monde, sur ce point, Typhenn ne pourrait pas le défendre.

— L'amener à croire que son père avait trahi fut tellement facile. Il est directement parti le chasser comme un chien aux abois. Il acheva sa tirade par un son de crachat peu ragoutant. Ces hérétiques méritent de s'entre-tuer !

— Alors, c'est vous qui avez découvert comment faire revenir les dieux, le flatta Yan, prenant la suite. Il affichait l'expression maîtrisée de l'élève innocent fasciné par l'expérience de son aîné.

Yan s'approchait centimètre par centimètre. Le gorille n'avait pas bougé. Contrairement à Léodic, il ne la sous-estimait pas. Elle se força à l'immobilité dans son petit coin. Bientôt, Yan se trouverait sur le chemin de ronde de sa canne. Léodic s'empressa de développer, trop heureux de se vanter.

— Ce pauvre garçon avait besoin d'un prêtre d'Anubis pour les rituels. Son premier essai à bien faillit tourner à la catastrophe. Il a fait une erreur, et l'exploit qu'il a accompli n'a pas été sans conséquence. Il a fait le bon choix en frappant à ma porte.

Yan jouait à un jeu dangereux. Dès que le vieux lui tournait le dos, il se concentrait sur le bureau. Elle en vint à retenir son souffle malgré son envie de le secouer pour que Léodic crache tout ce qu'il savait. Typhenn dut détourner son attention de Yan, l'imitant du mieux qu'elle put.

— Vous avez pu traduire le livre ? Sa voix ressemblait plus à un grincement qu'à de la flatterie naturelle. Elle ne possédait pas le talent de Yan, aussi désigna-t-elle les liasses de feuilles sur le bureau.

— Ce livre ? Si on peut appeler cette retranscription d'une tablette enterrée on ne sait où, un livre. Un recueil très intéressant, très intéressant. Il m'a permis de comprendre que pour ouvrir définitivement la porte de la terre, il faudrait procéder par étape, avec plusieurs sangs. Une tâche qu'on ne pouvait pas accomplir seuls. Nous avions besoin d'alliés pour ramener Per-aâ. Les rôdeurs étaient les candidats parfaits. Ils ont immédiatement accepté de collaborer. Remplacer le chaos par l'ordre reste aussi leur but, même si nos méthodes diffèrent.

Il ne s'arrêta qu'à court de souffle.

Une méthode différente, en effet. Apporter le chaos pour attirer Pharaon hors de sa demeure éternelle au lieu de l'attendre. Les rôdeurs n'avaient pas résisté à l'occasion de les massacrer. Typhenn garda son sarcasme pour elle, autant que l'horreur de ses révélations. La vieille vipère avait sacrifié sa famille et avait osé verser des larmes à leur mise en caveau. Avait-il assisté lors de leurs sacrifices, ou s'était-il réjoui dans son fanatisme tordu ?

Qu'il ne tarisse pas d'éloges pour Rafe l'enrageait encore plus, comme s'il crachait du venin sur une plaie ouverte.

— L'alliance avec les rôdeurs, elle vient de vous ? Rendu sourd par son délire fanatique, il n'entendit pas son ton frôlant la menace ni ne vit ses poings se serrer. Elle tenait peut-être la tête pensante cachée dans l'ombre des plus jeunes. Celui qui les avait tous poussés en enfer.

Il tourna autour de son bureau comme un coq, tardant à répondre. Elle n'avait pas toute la journée. Comme sentant qu'elle devenait fébrile, la grosse main du rôdeur la tira en arrière. Le vieux balaya son geste d'un regard noir. Il ne voyait qu'une petite femme, ou une infirme. Les deux sans doute. Il la sous-estimait.

— Les médjaïs renégats ont leurs propres codes d'honneur. Oui, il existe, lui assura-t-il lorsque Typhenn émit un reniflement dédaigneux. J'aurais aimé être celui qui penserait l'exploiter,malheureusement ma... rancune est trop profondément ancrée. Un des désavantages à être vieux, on devient tenace à la moindre contrariété.

Les rôdeurs ne méritaient plus le titre de guerriers d'élite depuis qu'ils avaient abandonné leur poste pour devenir des mercenaires. Des hommes sans honneur, sans loyauté,sans clan. Ils avaient abandonné Pharaon sans un regard en arrière.

Tous les veilleurs les haïssaient pour ce qu'ils représentaient. Certains d'entre eux, n'en pouvant plus d'attendre, s'étaient tournés vers l'action et avaient choisi de rejoindre les rangs d'Isefet. Ceux-là, ils les haïssaient d'autant plus, car ils représentent la tentation, ce qu'ils pourraient choisir de devenir.

Léodic jeta un œil à sa montre. Yan se tendit et se rapprocha de Tina alors que Léodic s'adossait à son bureau, froissant quelques feuilles.

— Puisque vous êtes curieux, j'ai quelques détails qui pourraient vous intéresser.

Il commença à leur expliquer, avec une joie mauvaise, comment ils procéderaient. S'il avait le temps, il aurait ajouté tous les détails des supplices subits par le corps humain lorsqu'on tranche plus ou moins profondément dans les muscles.

Il s'attarda sur la marche à suivre pour ouvrir la porte d'Aker qui divisait la terre des vivants et l'océan de la Douat. Pour provoquer l'ouverture, il devait la submerger d'ichor des deux côtés.

Il récolterait son sang goutte à goutte, la laissant se vider lentement par un deuxième sourire dessiné à son cou. Le processus devait être lent, car il scarifierait chaque centimètre de son enveloppe mourante. Son bâ devait rester le plus longtemps possible prisonnier du royaume terrestre.

Léodic appréciait en particulier l'ironie d'ouvrir la grande porte scellée par les Artisans. Ceux qui les avaient enfermés permettraient de les libérer.

Le froid envahissait les os de Typhenn. Elle ne put rien faire pour ralentir la sensation. Son rêve venait la chercher. Son corps vide à la place de celui d'Essie, elle l'avait vu en cauchemar. Elle ne sentit pas la main de Yan serrer la sienne

La porte d'AkerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant