Au bout du val -part2

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Le paillasson usé jusqu'à la corde salissait les semelles. Des traces de boues partaient dans tous les sens. Malgré l'odeur de forêt, celle de peinture fraiche dominait dans l'air.

Un comité les attendait à l'intérieur. Elle n'avait jamais vu autant de rôdeurs rassemblés à un endroit. Ils montraient tous des signes de nervosité et de méfiance en présence de Rafe. Ils la toisaient comme s'ils vivaient très mal le fait que leur nombre se multiplie par deux. Ils s'observaient, jaugeant la réaction du voisin avec une agressivité qui cachait mal leur manque de confiance réciproque.

Les rôdeurs s'étaient tous rassemblés pour assister au retour de Per-aâ.

Imaginer son pharaon au service d'Isefet lui donnait envie de vomir.

Le désordre engendre le chaos, la tâche des veilleurs est de réinstaurer Mâat en l'absence de Per-aâ, car nous sommes ses membres. Un corps doit agir avec la volonté du cœur qui l'anime. À l'instant, Typhenn avait juste besoin de plus de chaos. Une simple étincelle et la situation deviendrait incontrôlable. Rafe dans son dos la poussa en avant. Elle s'engouffra dans la première occasion.

Typhenn tira un kepesh d'une ceinture. L'arme à l'équilibre inhabituel tournoyait à belle vitesse. Dans un seul mouvement, elle poussa Yan hors de la mêlée, espérant qu'il comprenne qu'il devrait fuir et trouver un moyen de contacter de l'aide.

Les rôdeurs ne virent qu'elle et le kepesh dans sa main.

Immédiatement,Titus se posta dans son dos, protégeant ses arrières. Elle paraît,frappait de son poignard.Les rôdeurs se bousculaient et se gênaient. Seule, Typhenn n'aurait eu aucun mal à les repousser. Leur manque d'unité constituait leur faiblesse.Elle passait sous un bras, fauchait des jambes, deux hommes tombaient. Une roulade, elle passait sous une garde, et frappait encore.

Elle se laissa aller quelques instants à la joie de se battre aux côtés de sa famille. Cela ne dura que quelques secondes. Chacune était de trop. Typhenn se fustigea intérieurement.Tant que leurs rôles auprès des rôdeurs n'étaient pas clairs,elle ne pouvait pas les considérer comme l'équipe qu'ils avaient été.

On applaudit quelque part, assez fort pour que le son passe au-delà du sang battant à ses tempes. Tout s'arrêta.Tous se figèrent, les lames et les poings immobilisés dans leurs courses violentes. Les bras se baissèrent avec réticence.

Typhenn osa lever brièvement les yeux. Un homme en hauteur, du plâtre jusque dans ses cheveux, écarta les mains et désigna un point dans son dos.

Yan, à mi-chemin de la sortie, exposait son cou à la pression acérée de l'akhamé dans la main de Rafe.

— Lâche tes armes, Tina, la rappela à l'ordre Rafe. Il s'attarda sur le poignard dans sa main gauche,comme intrigué par la lame noire, ou surprit de ne pas avoir pensé la fouiller.

Typhenn ne bougea pas. Plus vive qu'un serpent,elle frappa. Le kepesh glissa vers Titus, le seul véritable allié de Rafe. Le seul qui pouvait lui faire libérer Yan.

Titus, plus rapide encore, porta un coup puissant à la base du kepesh. Il lui fut arraché des mains. D'une prise,il tordit son poignet. Typhenn montra les dents, refusant de montrer un signe de douleur. Il lui vola l'akhamé de Nora, qui atterrit aussitôt entre les mains de Rafe.

— Tu n'es pas sérieuse, Tina. Il faudra beaucoup plus que ça, commenta Rafe, observant le poignard qui paraissait minuscule dans son poing.

Elle sentit l'hésitation de Titus, tiraillé par la situation, et le moment où il se décida à rejoindre so nfrère, la laissant se faire maîtriser par les rôdeurs.

Typhenn voulait croire en lui, posséder la confiance d'Isis, mais le doute s'insinuait de plus en plus.

— Tu tiens vraiment à finir ce rituel, Rafe ? Tu vas leur donner ce pour quoi nous nous sommes battus ?

— Je n'ai pas le choix.

Typhenn leva les yeux vers l'homme appuyé à la rambarde qui branlait sous son poids. Sa présence plongeait l'entrée dans le silence respectueux. Il les observait comme s'il appréciait le dernier sursaut d'une condamnée. La pensée de s'être offerte en spectacle arracha une moue dégoûtée à Typhenn.

Il se pencha un peu plus, la balustrade grinça,ses manches retroussées dévoilaient ses bras couverts de peinture blanche.

— Un mot, senemet. Il disparut à l'étage, sans vérifier que Rafe obéissait.

Senemet. Mon frère. Mon égal. Cette fois, Typhenn eut la nausée pour de bon.

— J'en viens à penser que toutes ses histoires d'honneur n'étaient que des conneries, dit-elle à son intention, un pied sur la première marche.

Rafe l'entendit. Il choisit de l'ignorer. Il rendit son kepesh à un rôdeur, retrouvant dans l'instant son attitude distante.

Son frère planta son kepesh dans le bois d'une table, montrant qu'il désapprouvait. Les rôdeurs les plus proches eurent un mouvement de recul.

— Je t'avais prévenu que les pierres les rendraient trop confiants, dit Titus, ignorant ostensiblement les rôdeurs qui grouillaient dans la maison.

— Tout de suite, les frères, ordonna l'homme de la lande de sa voix rocailleuse. Il désigna du pouce le couloir derrière lui. Tes invités sont nos invités. Il ne sera pas dit que nous ne prenons pas soin de nos hôtes. Il poussa Yan et Typhenn vers l'escalier, riant de sa plaisanterie.

Cette fois, ni Rafe ni Titus ne s'interposa.

Sur le palier, le rôdeur disparut derrière un rideau à moitié ouvert avec le même soleil rouge et le serpent à la gueule béante. Une voix féminine s'éleva de l'autre côté,enrouée et furieuse :

— Landier, vous nous aviez donné votre parole. Nous devions être libres de nos actes. On frappa du poing sur du bois. Je ne suis plus sûre que nous partageons la même définition.

Tous les sons passaient sous le rideau. Un homme haussa le ton. Sa voix avait l'aspect d'un grondement bas. La discussion l'ennuyait. Ce qui aurait dû être privé tournait à l'humiliation publique. Landier poursuivit ses grondements mécontents. Il en avait fini avec elle, puisqu'il détenait la fille. Par conséquent elle ferait mieux de se calmer avant qu'on le fasse pour elle.

Typhenn commença à gesticuler pour avoir un coup d'œil à ce Landier et avec qui il avait une conversation tendue.

— Tu t'es montré inutile dernièrement. La femme ravala un commentaire en entendant les chaussures sur le plancher. L'homme acheva donc sa tirade : va ennuyer quelqu'un d'autre avec tes enfantillages.

On les escorta sans ménagement dans une chambre.La porte lui claqua au nez avant qu'elle pût voir la femme sortir comme un orage furieux, menaçant quiconque sur son chemin.

Dans la chambre réduite, huit hommes pouvaient dormir en se serrant sur les lits doubles coincés les uns contre les autres.

Ce Landier, un simple geste de sa part avait stoppé les rôdeurs dans leur élan. Quelle était son influence pour qu'il distribue des faveurs à tour de bras ? Se pouvait-il qu'il soit le nouveau chef des rôdeurs ?

Typhenn se retourna vers Yan.

Pour ne pas être courbé en deux sur les lits, Yan, assis par terre, avait les jambes repliées contre lui. Il passait ses mains dans ses cheveux, d'avant en arrière jusqu'à ce que la saleté dresse des pics irréguliers sur sa tête.

— Tu vas bien ?

Yan ne montra aucun signe de réaction. Elle s'apprêtait à se répéter lorsqu'il leva sa tête de perroquet décoiffé au plafond.

— C'est lui.

La porte d'AkerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant