Le visiteur - part2

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Typhenn voyait dans la calligraphie, une autre forme de concentration, un défi plus apaisant qu'un duel où l'adrénaline prenait le dessus. Le pinceau laissait place à la sérénité. Son esprit existant uniquement dans le présent à travers son trait sur le papier qui prenait vie de sa propre volonté. Elle oubliait alors à quel point elle était inutile. Bientôt, elle gagnerait sa place officiellement parmi les veilleurs. Alors tout ce qu'elle avait étudié aurait un sens, cette liste interminable de Roi et de Reine, le copte, le cursif et les hiéroglyphes.

La séance terminée, venait la partie la plus importante de son rituel. Typhenn nettoyait toujours ses bras souillés d'encre noire sous le jet brûlant de la douche pendant que l'air du soir séchait les feuilles. Des taches allant du noir au rouge ocre des teintures piquaient l'émail de la baignoire. L'encre de Chine se diluait en tourbillons hypnotiques, avalés par le siphon, emportant toutes ses mauvaises pensées.

Les odeurs du souper montaient jusqu'à l'étage et passaient sous sa porte, en particulier celle de la tartiflette. Elle ne regrettait pas de sauter un repas.

Depuis que Titus lui avait promis son entrée dans le clan à la fin d'octobre, Typhenn se sentait moins prête que jamais. En se confiant à sa tante devant une énième marmite de plat gras, Typhenn avait laissé entendre que son épreuve arrivait bientôt. Au même moment, son père était entré les mains couvertes de terre. Elle l'avait vu figé sur le pas de la porte, il avait tout entendu. La fuite avait été sa seule solution, avant que la tempête n'explose. La cérémonie l'obsédait alors que les siens étaient traqués comme des animaux, il avait fallut qu'elle en parle. La culpabilité, Rafe qui éludait ses questions et délaissait sa préparation lui coupait tout appétit. Non, ce soir, la lubie de Lise pour les plats en sauce serait trop lourde pour son estomac.

Elle pouvait harceler Titus pour obtenir des nouvelles, son jeune cousin resterait une tombe. Tous les thés, toutes les séances de yoga et de méditations ne changeaient rien. La coulure d'encre indélébile resterait sur le mur. La calligraphie représentait son dernier espoir. Même le trait noir du pinceau échouait à l'apaiser. Sa frustration face à son impuissance se voyait dans les lignes d'encre tremblantes et rapides. Typhenn avait fini par lancer son outil à travers la chambre.

Typhenn, prise d'insomnie à force d'inquiétude, continuait de peindre et de fixer le plafond par alternance lorsqu'elle entendit des roues crisser sur les graviers. Elle se redressa sur les coudes. Le coup de frein brutal ne faisait pas partie des habitudes de son cousin.

On frappa à leur porte. Fort.

Elle enjamba les grimoires de runes et de hiéroglyphes saïtes simplifiés étalés au sol et entre-ouvrit discrètement sa porte. Elle n'avait pas vu sur le vestibule, mais entendrait mieux ce qui se disait.

La porte s'ouvrit. Le baryton de Ronan monta jusqu'à l'étage. Typhenn serra les dent.

— Ne laisse plus ta cousine répondre à tes messages, Alexandre. Je ne reviendrai pas dans cette maison au milieu de la nuit, déclara Ronan prenant la direction de la salle sans le saluer. Elle entendait que le piétinement de ses gros rangers aplatir un peu plus sur les tapis.

D'abord la barrière montée autour des demeures de veilleurs puis la visite nocturne de Ronan. Son impression que quelque chose n'allait pas s'insinuait de plus en plus profondément. L'enquête s'enlisait sérieusement pour qu'il se déplace jusqu'au foyer des Alexandre. Si elle voulait savoir ce qui se passait, elle devrait aller chercher l'information, Rafe ne lui dirait rien. Typhenn profita qu'ils lui tournaient le dos pour se glisser sur la pointe des pieds entre les ombres et les couleurs des vitraux dans l'escalier.

— Cela ne se reproduira plus, assura Rafe alors que la main abîmée de Titus fermait la porte derrière eux.

Elle entendit parfaitement Ronan rejeter ses excuses avant que le loquet claquât.

La porte d'AkerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant