Les lois d'Anubis - part3

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Ils avaient entièrement modernisé leur maison familiale. Des cadres noires entouraient les fenêtres agrandies dans un style industriel. Tout l'intérieur était dans des tons neutres de noirs et blancs jusqu'au carrelage. Les rideaux assortis au salon restaient sur une palette de gris, ainsi que le tapis outrageusement épais. Si bien que les touches d'or et de rouge sur les murs sautaient aux yeux. Les statuettes, les peintures, toute la décoration se concentraient avec fierté sur l'Égypte. Un plaid et des coussins mal arrangés traînaient sur les sofas, comme les témoins d'une soirée télé. Les dessous de tasse avaient été ignorés et on pouvait encore voir le demi-cercle de chocolat chaud sur la table basse. Le salon aurait pu paraitre froid, pourtant ces quelques traces de vie le rendaient vivant, chaleureux.

Le manoir, beaucoup plus grand que celui des Alexandre, dégageait une atmosphère plus austère. Les cadres ne suffisaient pas pour assourdir les sons du sol carrelé. Chaque bruit rebondissait sur les murs en un ballet de ricochets. Un chat aurait pu déclencher l'alarme de sécurité.

En sortant de la douche, elle avisa le grand couloir. Elle ne pouvait pas retourner au sous-sol sans passer devant les Vaugren qui l'attendaient. Le patriarche devait forcément laisser traîner un indice sur ses recherches. Toutes ses réponses qui ne demandaient qu'à être découvertes l'attendaient quelque part. À peine, la première porte fut-elle entrouverte, que Ronan l'appela depuis le rez-de-chaussée :

— Athama, qu'est ce qui te prend si longtemps !

Typhenn pesta intérieurement. La porte avait pourtant glissé en silence.

Elle descendit, frustrée et mal à l'aise de porter des couleurs et les vêtements trop grands d'une des jumelles.

Une belle lumière entrait par la fenêtre réchauffant doucement la salle ouverte sur la cuisine par des portes coulissantes en verre poli. Ronan partageait ses soupçons avec ses tantes. Les Vaugren restaient debout, ignorant les chaises hautes autour du comptoir. Charlie, à moitié monté sur le meuble comme une étudiante passionnée, l'écoutait attentivement. Son long nez, penché au-dessus des croissants au beurre, profitait du parfum des pâtisseries fraiches.

Dès qu'elle entra, Cécilie lui offrit une tasse de café qui l'attendait dans la cuisine. Typhenn avait en senti l'odeur depuis l'étage et accepta avidement la tasse qu'on lui tendait. Elle sentit son contenu avec méfiance avant d'oser y tremper les lèvres.

Assis de façon à être à moitié à table et à moitié face aux Vaugren, Yan effeuillait méticuleusement un croissant devant son chocolat, le dos chauffé par le soleil matinal.Toutes les deux secondes, il essayait de se gratter le dos avec un froncement de sourcils. Typhenn prit la chaise à côté de lui. En apparence, il était à l'écart et semblait ailleurs, mais son visage réagissait à ce que les trois Vaugren disaient. Il ne perdait pas une miette de la conversation.

— Je ne pense pas qu'il s'agisse de rôdeurs. Ils portaient la croix d'Isis. Non, c'est un des nôtres avec assez d'influence pour monter un groupe. Ronan ne touchait pas au déjeuner apporté par les jumelles. Il se resservit un café alors que sa tasse fumait encore.

— Tu penses à ton père. Et qu'il ne disparaît pas pour traquer les rôdeurs comme il l'affirme,constata Charlie. Elle ne desserrait pas les mains autour de sa tasse brûlante. Son regard passait au crible les réactions de Typhenn et Yan de temps à autre.

Typhenn ne montra qu'un visage neutre, très loin de ce qui la préoccupait. Yan commença à se tortiller surplace.

Si le sorcier voulait se protéger de quelque chose, ou de quelqu'un, Andraste semblait la personne à éviter.Surtout lorsqu'on est un sorcier aux antécédents magiques douteux. Il devait savoir qui serait sa prochaine cible. Le sorcier avait alors tenté d'avertir les Quivren du sort qui les attendait.

Typhenn ne baissa pas les yeux lorsque Charlie les foudroya sur place. Les Vaugren prenaient garde à ce qu'ils révélaient en leur présence. Ils ne protégeaient pas Andraste, donc ils lui cachaient autre chose.

Sentant l'irritation grandissante de sa sœur,Cécilie se planta devant Yan, les poings sur les hanches. Ses gesticulations lui tapaient sur les nerfs. Elle posa avec force un pot d'onguent sur la table.

— Pour ton dos, cela devrait apaiser la sensation de brûlure, expliqua-t-elle, puis retourna vers l'îlot central.

Typhenn changea de chaise, devinant qu'il ne pourrait pas se soigner seul. Elle lui intima de relever son T-shirt propre, également gracieusement prêté par Ronan.

— Tu ne lui en veux pas, lui demanda discrètement Typhenn tartinant une bonne couche de baume. Ses doigts lui paressaient glacés sur la peau bouillante de Yan. Il frissonna en sentant le froid.

Elle appliquait distraitement le baume, tendant toujours une oreille à l'autre conversation.

— J'ai un service à vous demander,commença Ronan en s'adressant à ses tantes. Il s'interrompit le temps de suivre Cécilie des yeux. Typhenn détourna fièrement la tête lorsqu'ils s'arrêtèrent sur elle. Ronan roula des yeux,et continua. Je dois vérifier quelque chose, cette nuit. Il faudrait prévenir Orlène. Ils ne peuvent pas rester cacher dans le sous-sol indéfiniment.

— Personne ne viendra les chercher chez toi, proposa Cécilie, en prenant une gorgée alors que sa sœur faisait la grimace.

— L'appartement est discret, mais les protections y sont plus faibles qu'ici, contra Ronan.

Les doigts de Charlie pianotaient sur le revêtement de l'îlot.

— Très bien, accepta Charlie, tu sais qu'il viendra vous chercher si tu es avec eux.

L'onguent lui montait au nez, il comprenait tellement d'herbes que Typhenn ne les identifiait pas toutes. Reportant brièvement son attention sur le dos de Yan, elle remarqua que sa marque nette et rouge cicatrisait lentement. La peau autour du lotus avait retrouvé une couleur presque normale.

Yan repoussa son croissant dénudé, les pensées perdues dans le vide. Son cœur était loin d'eux lorsqu'il lui confia :

— C'était nécessaire. Et je me moque de ce qui peut m'arriver tant que Dame chance est avec moi, ajouta Yan avec un clin d'œil.

Typhenn resta tant interloquée qu'elle garda son commentaire pour elle. Les Vaugren commençaient à se déplacer dans la cuisine. Elle se dépêcha de tirer sur son T-shirt.

— Il en sera ralenti, contra Ronan. Il fit couler l'eau et commença à nettoyer la vaisselle, alors que les jumelles essuyaient et rangeaient, démontrant un ballet parfaitement organisé. Les Vaugren s'activaient sur des tâches quotidiennes avec la même efficacité que s'ils se débarrassaient d'un corps.

Ronan n'ajouta rien de plus. Il voulait les mettre en sécurité, mais cela ne signifiait pas qu'il avait assez confiance en Typhenn pour l'inclure dans la confidence. L'endroit resterait secret.


La porte d'AkerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant