Chapitre 10 - Sphranch : l'interprétation des rêves

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Le rouleau contenait les lois d'Anubis, un extrait du livre des morts qu'ils avaient conservé en secret.

D'un coup de volant, elle ramena brusquement la voiture au milieu de la route.

Typhenn ne connaissait pas assez les hiéroglyphes pour lui permettre de le lire, sans ajouter que les Léodic avaient détruit l'original et crypté cet exemplaire. Ils avaient assommé la seule personne possédant la clef. Qu'est-ce que Ronan cherchait dans ce livre ? Typhenn se frapperait la tête contre un mur.

La voiture s'arrêta d'un violent coup de frein devant le portail, manquant de peu de heurter le parechoc d'une voiture mal stationnée. Typhenn se jeta sur le portail pour l'ouvrir. En traversant la cour, elle lança les clefs aussi loin qu'elle put sur la pelouse en espérant qu'un chat avide les emporte. Elle se débattit sur le perron avec son trousseau. Ses mains fébriles refusaient de le tenir.

Yan poussa simplement la porte. Elle s'ouvrit sans un bruit.

Typhenn se jeta à l'intérieur, s'interdisant de réfléchir à ce que cela signifiait.

Personne ne répondit à ses appels. Elle chercha partout, la cuisine, les chambres, dans toutes les pièces les unes après les autres. Il n'y avait aucun signe de vie. Sa tête tournait d'envisager toutes les possibilités. Assise sur les marches, elle se força à se concentrer sur le fait que la maison n'avait pas brûlé.

— Je crois qu'ils sont partis depuis longtemps, l'informa Yan en la rejoignant après avoir fait le tour du rez-de-chaussée.

D'une manière ou d'une autre, sa famille avait su qu'ils devaient quitter la maison. Rafe anticipait des représailles depuis des mois. Il les avait forcément conduits en sécurité. Son cousin avait essayé de le lui dire au téléphone.

Typhenn inspira profondément, elle devait avancer, ne pas rester sur place. Avec un peu de chance, elle rejoindrait sa famille. Pendant ce temps, elle devait reprendre les rênes.

—  Montre-moi le parchemin.

Yan le lui remit. Elle le déroula, puis le referma aussi sec. Le décoder prendrait des heures qu'ils ne possédaient pas.

En restant là, ils se feraient bêtement attraper et serviraient d'appât à sa famille. La voiture de Ronan serait la première piste qu'ils traqueraient. Les veilleurs penseraient qu'ils quitteraient la ville. Alors, ils se cacheraient sous leurs nez. Un coup d'œil à Yan lui rappela qu'elle avait la responsabilité de le protéger jusqu'à ce qu'ils prouvent la culpabilité d'Andraste.

Au lieu de suivre le mouvement et d'improviser au dernier moment, Typhenn devait réfléchir, avoir un coup d'avance. Elle rassembla de quoi changer leurs vêtements humides et couverts de la terre du cimetière. Typhenn prit des couvertures et en profita pour remplacer sa dague. Elle essayait de ne pas penser à son akhamé laissé dans les catacombes. Sa présence rassurante à sa jambe lui manquait. Elle ne retrouverait pas ce genre d'arme facilement.

Ils descendirent dans l'abri anti-bombe aménagé en petit temple. Elle poussa l'échelle qui dissimulait un ancien accès extérieur, le bois mangé par les mites servait à faire sécher les chiffons, puis déverrouilla une autre porte en fer, quine s'ouvrait que de l'intérieur.

À une époque, la cave creusée dans la terre,équipée d'une rapide installation électrique, avait servi d'abris qu'ils avaient aménagés pour devenir un sanctuaire. Des colonnes en forme de lotus soutenaient le plafond surélevé,décorées de jardins verticaux peuplés d'oiseaux et d'abeilles aux ailes minutieusement peintes.

Des spots plongeants accentuaient les hauts reliefs des pyramides, l'une inversée, l'autre sortait du sol. Seul un disque solaire jaune séparait les pointes qui se touchaient presque à un mètre du plafond. Sous leurs pieds, le sol creusait un réseau de cercles concentriques traversés par des ridules jusqu'à une cavité centrale où elle déposa les couvertures milieu de la salle.

Sans pudeur, elle commença à se changer.

Yan trouva subitement un intérêt aux peintures murales, en particulier les représentations de la vache Hator. Il commentait plus pour combler le vide que pour obtenir des réponses.Les peintures représentaient leur histoire et celle de Per-aâ. Typhenn aurait pu passer des heures à lire et expliquer la signification des rites décrits sur les murs. Mais son cœur n'y était pas. Dans des vêtements propres et secs, elle se pencha sur le parchemin alors que Yan trouvait un coin sombre où se changer à son tour. Typhenn ne put en tirer grand-chose à part qu'il s'agissait de sacrifices dans un but obscur.

Elle se força à penser comme Ronan, à suivre son raisonnement. Ils avaient déterré sa petite sœur, découvert d'étranges symboles qui n'avaient de sens que dans un autre monde. Il se doutait du but sacrificiel des victimes. L'assassin pouvait chercher à créer une armée en étendant la portée du sort qui protégeait le temple. Sauf que les spectres ne quitteraient jamais la limite du sort. À moins, que le but soit de les frapper de l'intérieur avec leurs propres défenses.

Jusqu'à présent, Typhenn portait toute son attention sur Ronan et ses maigres connaissances du Noun, oubliant complètement son père. Andraste, dont les Vaugren n'avaient pas osé parler de ses activités, dont aucun veilleur savait ce qu'il manigançait depuis qu'il avait accusé les Alexandre du crime. Le soulèvement des catacombes discréditerait Rafe dans le meilleur des cas.

Ronan avait parlé d'un sort ayant un sens dans un autre monde. Est-ce que cela signifiait que l'assassin voulait contacter une autre dimension ? Le sorcier, qui avait donné sa vie en essayant de contacter les Quivren, serait une taupe ?L'assassin l'aurait découvert et éliminé. Il y avait toujours le portail caché à l'intérieur de plusieurs cercles. Pourquoi vouloir ouvrir une porte ? Un leurre ?

Au bout du vingtième tour de la salle, Yan s'assit de l'autre côté du parchemin.

Elle avait laissé ses préjugés guider son raisonnement, ignorant ce qui se trouvait sous ses yeux. Yan, son témoin, n'avait pas reconnu l'assassin en Ronan. Ce dernier avait même failli le jeter derrière les barreaux.

— On dirait que vous respirez un air empoisonné dès qu'il y en a un qui ouvre la bouche, mais tu l'apprécies, commenta Yan, en insistant l'air de rien.

Typhenn décolla son front du sol et leva les yeux du parchemin, les étrécies, le scrutant à travers les deux fentes.Avait-elle le temps pour ce genre de conversation ? Ils seraient coincés ensemble jusqu'à l'aube. Or sa vue commençait à se flouter, la forçant à cligner des yeux comme un chat myope. Un café aurait été salvateur.

Yan était trop perspicace pour son bien. Derrière son air ingénu, la rue avait dû lui inculquer ce réflexe de survie. Il notait les relations dans son environnement pour mieux y survivre.

— Malgré moi, c'est un admirable chacal que j'aimerai abattre, admit-elle enfin en lui offrant son sourire le plus vénéneux.

Yan déglutit.

Elle repoussa les couteaux qui maintenaient le parchemin. Il s'enroula sur lui-même. La clef du code ne tomberait pas du ciel sous prétexte qu'elle passait son temps à le fixer.

Yan leva les yeux au plafond étoilé.Contrairement au temple, le corps bleu de Nout ne soulevait pas la voûte du plafond. L'étoile Sirius apparaissait au-dessus du soleil. Il s'attardait sur ce ciel artificiel, le fixant avec une intensité qu'il ne méritait pas, comme s'il lisait les hiéroglyphes : des étoiles jaillit la lumière de la résurrection.

Typhenn comprit lorsqu'elle les entendit à son tour. Yan tendait l'oreille aux vibrations qui secouaient le plafond.

Les veilleurs investissaient la maison.

Par mesure de précaution, Typhenn éteignit la lumière. Ils attendirent dans le noir que les bruits cessent.

La porte d'AkerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant