Ipenou -part6

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Typhenn ramassa la pierre qui lui avait donné un peu d'espoir et s'en débarrassa pour de bon dans une porte djet. Ils étaient perdus. Ils tournaient en rond. Ils ne pouvaient rendre leur piste plus facile à suivre pour les chiens.

— On devrait prendre de la hauteur, proposa Yan en désignant le sol qui s'élevait. Sa voix faisait écho à la sienne, la fatigue l'écrasait alors que l'espoir s'amenuisait.

Typhenn ne prit pas la peine d'acquiescer. Elle marcha à pas lourds vers ce nouvel objectif. Il lui fallait un but pour ne pas s'effondrer, pour oublier les pulsassions de sa main transpercée, qui n'était que la première d'une longue liste qui la faisait souffrir. Elle devait savoir où aller. Ils aviseraient la suite lorsqu'ils atteindraient cette étape, puis une autre et encore une.

Son ventre répondait aux roulements des cailloux sous ses pieds. Depuis combien de temps n'avait-elle rien avalé ?Longtemps, puisque sa faim forçait sur les nœuds d'angoisse pour se faire entendre.

Ce qu'ils pensaient être une colline s'élevait comme une pyramide grise au-dessus de la forêt. Les porte-djet gravitaient autour, mais ne sortaient pas du couvert des arbres.

Typhenn posa les pieds sur ce qui devait être une marche taillée dans la montagne. Scrutant le flanc gris, elle put en distinguer d'autres qui suivaient un chemin sinueux et grimpait jusqu'au somment entre les rares arbustes secs et cassants.

Elle frissonna.

— Les dieux ont abandonné cet endroit,murmura Typhenn en croisant les bras contre le vent froid.

Cet endroit était mort et vide. Il n'y avait pas d'eau ni de plantes, aucun animal. Elle n'avait vu qu'un seul autre endroit aussi vide que celui-ci, la tombe de Morighane.

— Nous sommes assez haut, approuva Yan.

Son ventre grogna plus fort, comme un craquement de pierre. Non, pas son ventre.

Typhenn braqua un regard accusateur vers lui. Yan secoua la tête frénétiquement. Si ce n'était pas le sien... ?Ils n'eurent pas le temps d'en chercher l'origine.

La terre trembla, se souleva.

Elle jura intérieurement. La terre ne se soulevait pas. Typhenn tombait. Le sol se refermait sur elle. Ses mains grattaient devant elle, ne trouvant rien à quoi s'accrocher.Elle sentit plus d'un ongle casser sur le sol dur de la montagne.

La seconde suivante, Typhenn était compressée, à moitié ensevelie. Ses contusions frôlaient le nombre des constellations dans le ciel.

Plié en quatre, elle grogna et toussa. Dans le noir, lentement, elle commença à s'extirper des gravats. Yan était-il tombé en même temps ? Sa chute avait été si rapide, elle n'avait pas eu le temps de comprendre que Geb, le dieu de la terre, les dévorait.

— Yan ! Sa voix était un croassement inaudible.

Elle n'entendait rien au-delà d'un sifflement constant. Yan pouvait se trouver en haut à l'appeler.

Typhenn accorda une rapide prière à Geb, qu'il ne les laisse pas mourir dans son ventre.

Des cailloux, aussi gros que son poing pour les plus petits, continuaient de s'effondrer. Elle poussa sur ses jambes jusqu'à heurter la surface dure d'un mur.

— Yan !appela-t-elle plus fort. La bouche pâteuse, chaque mot était comme cracher du papier de verre.

Yan toussa en s'extrayant des gravats.

Des pierres remuèrent. Typhenn se protégea instinctivement de ses bras.

— Ouais,rien de cassé. Je crois, se força-t-il à dire. Il avait l'air de tout, sauf d'aller bien. Il observa autour de lui et leva la tête.

Typhenn l'imita. Ils étaient tombés profond.Ils ne pourraient pas remonter. Sa vision s'habituait à la faible lumière du puits venant d'en haut et déclinait rapidement. Ce qui ressemblait à un croisement de tunnels écroulé apparut parmi les éboulis.

— Il y a un chemin, là-bas.

Elle se redressa allant examiner la bouche de l'ouverture. Le sol roulait sous ses pieds, sa tête tournait,comme si on lui avait enfoncé un pieux et la forçait à se balancer d'un côté puis de l'autre.

— On ne sortira jamais sans lumière.

Typhenn désigna la crevasse, les parois qui continuer de s'effriter. La pluie avait attaqué la montagne,perçant des fissures jusqu'à ce que la galerie s'effondre. Elle n'aimait pas plus l'option qui s'offrait à eux, pourtant elle força toute sa conviction à prendre forme et s'avança vers ce qui pourrait être leur sortie.

— Tu préfères attendre ici ?

Yan se passa les deux mains dans les cheveux. Il arrêta son geste, ses mains restèrent poser une seconde supplémentaire sur sa nuque.

Typhenn rampait déjà à plat ventre dans le passage pratiquement bloqué par l'effondrement, tirant et poussant sur ce qu'elle pouvait.

Une tombe. Elle venait de pénétrer dans une tombe. Plus aucune lueur extérieure n'existait dans ce monde.

Yan la suivit dans la petite ouverture. Coincé dans la faille, il pestait d'avoir pris du poids, ce qui arracha un rire mal venu à Typhenn. Sa voix fit vibrer la structure et quelques gravats roulèrent. Elle s'arrêta abruptement lorsqu'il paniqua.Elle se dépêcha de le tirer hors de l'interstice par les poignets puis par le col.

Yan roula, sa respiration sifflait de façon inquiétante.

— Ça va, ça va, répéta-t-il plus pour se rassurer que pour elle.

Le temps que ses yeux s'adaptent à l'obscurité quasi totale, elle ne percevait que la respiration rauque de Yan. Elle lui serra le bras, lui rappelant sa présence physique.

— Et maintenant ? demanda la voix de Yan sur sa gauche, étranglée,mais contrôlée.

— On trouve la sortie.

Yan gémit. Il recommença à se parler, à se rassurer.

La construction ne devait pas être si différente de celle du temple sous-terrain. Pour trouver la sortie, ils devaient suivre les courants d'air.

Yan continua de raconter ce qui lui passait par la tête. Il se focalisait sur des lieux en plein air, comme s'il pouvait conjurer le souvenir des étés passés perché dans les branches avec sa petite sœur à grignoter des fruits. Comme si,parler du soleil pouvait repousser l'obscurité et le froid des tunnels.

Dans la nuit absolue, les minutes, les heures ne comptaient plus. Alors qu'elle ne voyait plus son propre corps et doutait que ses yeux acceptent la lumière du jour lorsqu'ils sortiraient, Yan était devenu une extension de sa personne reliée par la ligne de vie qu'était leurs mains jointes.

Typhenn répondait par le minimum, parfois un simple son, échangeant cette preuve simple de la présence de l'autre. Elle se sentait observée. Derrière la voix de Yan, elle entendait des gémissements étouffés entre les roulements des cailloux sous leurs semelles et le clapotis de l'eau sur les stalactites. Un murmure qui s'éloignait dès qu'elle se retournait ou tendait l'oreille.

— Nous y sommes presque, je le sens, l'encouragea Yan en la tirant soudain vers l'avant.

Le bout de ses doigts glissait sur la roche. Sa claustrophobie le poussait en avant. Il serrait la main de Typhenn si fort qu'il lui faisait mal. Elle pouvait presque goûter sa peur de se perdre seul dans le noir.

La sortie qu'ils avaient sentie était l'air frais qui se faufilait par une fissure dans la roche.

Typhenn leva le visage vers ce rayon de lune minuscule comme si sa lumière pâle qui lui caressait la joue pouvait la réconforter. Sans pour autant tourner en rond, ils pouvaient s'enfoncer dans les entrailles de la montagne sans le savoir.

La porte d'AkerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant