Sphranch - par5

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Soudain, elle avala de grandes bouffées d'air, en sueur. Le goût de la vase et du fer collait à sa langue. Yan, replié sur lui-même, fixait ses mains, osant à peine les bouger. Typhenn porta les doigts à ses lèvres rouges de son propre sang.Ronan lui avait versé le contenu d'un bol pour la ramener de force. Le liquide froid coulait de son menton. Elle l'essuya d'un revers de manche.

— J'ai une mauvaise nouvelle. Doucement, tu es partie plus loin que Yan. Ronan lui tapotait le dos d'une manière trop familière à son goût.

Elle le repoussa. Typhenn convulsa et vomit de l'eau vaseuse. Elle adressa une rapide prière à Nebty pour qu'une grenouille ne sorte pas de son estomac.

La tête décapitée d'un serpent flottant avec les bougies encore fumantes.

Ronan s'assura qu'elle l'écoutait avant de poursuivre. Ne faisant pas confiance à sa voix pour produire un autre son qu'un croassement, elle lui fit signe de poursuivre.

— Tout l'indiquait : l'écriture sur les corps, les disparitions et même les problèmes dans les catacombes. Je voulais une preuve en cherchant à la source. J'ai donc interrogé Qebehout. Cela fait trois ans que les sorciers ont réussi à invoquer un dieu. Ils ont l'aide d'Anubis.

Il avait vraiment été frôlé le territoire interdit pour aller trouver la fille d'Anubis, un serpent céleste.La tête d'un de ses enfants faisait actuellement des ronds dans l'eau du Nil. Typhenn devina que la conversation s'était mal terminée.

La sortie d'Anubis expliquait l'activité des spectres dans les catacombes, et leurs récentes difficultés à les garder sous contrôle. Le pouvoir du dieu des morts supplantait facilement ceux des sorts.

Un dieu aidait l'assassin. La nouvelle frappa Typhenn comme un coup de fouet. Elle se redressa. Comment pourraient-ils vaincre un dieu ? Les veilleurs ne possédaient pas la force de contrer un pouvoir divin.

— Tout ça pour un dieu, croassa Yan qui peinait à se redresser. Il se soutenait à une colonne. Son teint virait au vert.

— Non, invoquer un dieu ne prend que la vie des fous qui l'invoquent. Les sacrifices sont dans un autre but,rectifia Ronan. Un but qui nous échappe complètement. Il commença à rassembler les outils et les rangea exactement comme il les avait trouvés. On pouvait presque entendre le rouage de ses pensées tourner, calculant le nombre de sacrifices volontaires pour qu'il en reste un, évaluer les nouvelles options.

— Ce châtiment dont tu parlais, commença Typhenn, tout sourire. Elle referma aussitôt la bouche en sentant son haleine acide. Qu'en est-il d'Anubis ? Il ne sera pas heureux qu'on ait dérangé le repos d'un mort. Remarque, ça aurait pu être pire. Seth, par exemple, ou Apophis ?

Entre le serpent destructeur de monde et le dieu du désert et de la tromperie, ils auraient pu tomber sur bien pire qu'Anubis, un simple gardien de momies.

— Ne parle pas de malheur. Ma famille sert Setesh depuis des générations. Je suis le mieux placé pour savoir les catastrophes qu'il causerait.

Elle acquiesça, ne pouvant pas mieux parler. Le serviteur d'un dieu malfaisant connaissait certainement les limites de son maître mieux que quiconque. Après un silence, Typhenn se mit à rire. À rire, parce que Ronan reconnaissait qu'il se retrouvait avec l'alternative la moins mauvaise sur les bras. Ronan la suivit,d'abord avec réticence, puis de plus en plus fort. Yan les observa sans comprendre. Il céda à leur rire communicatif, aussi perdu qu'eux dans leur monde de fou. Se disant surement que s'il riait,la situation n'était pas aussi catastrophique qu'elle le paraissait.

Typhenn se calma. Elle s'étira de tout son long et récupéra le parchemin des Léodic.

— Je garde ça, annonça-t-elle, retrouvant soudain son sérieux. Si je pense que tu cherches à nous doubler. Je détruis ta seule preuve que le sorcier a invoqué Anubis.

Ronan la fixa, les sourcils froncés. Sans le parchemin, les sages ne croiraient pas un mot de ce qu'il dirait.Ils étoufferaient l'affaire par crainte d'une crise de panique.

Elle prit son silence pour un oui, glissa le tube dans sa poche et déclara avoir besoin d'un verre d'eau si elle ne voulait pas vomir ses tripes partout. Ils en avaient tous besoin.

La porte du jardin lui parut plus lourde que de coutume. Typhenn comprit alors ce que ressentait Yan. Entrer dans la maison en sachant qu'elle n'y verrait pas sa famille lui serrait le cœur, un poids que sa poitrine ne parvenait pas à soulever. Typhenn continua à monter jusqu'à l'étage avec un nœud dans la gorge. Elle se posa un instant devant chaque chambre, une main sur la poignée de porcelaine. Les rendant l'une après l'autre à leur intimité.

Elle commença par celle en haut de la tour. La porte de Titus résista, il accrochait toujours trop de vêtements aux porte-manteaux. Comme lui, sa chambre sobre respirait une certaine mélancolie. Sa collection de guitares brillait au-dessus de son lit fait au carré. À part une chaîne hi-fi et un casque, il ne posait rien au hasard. Là où Typhenn possédait un coffre, Titus cachait ses armes dans une trappe sous un tapis émeraude. Elle referma la porte sans entrer, puis descendit l'escalier. Elle n'ouvrit pas la première à droite avec l'écriteau interdiction d'entrer, la sienne.

Celle de son père, la deuxième, un peu après la balustrade. Typhenn referma la porte de ce qui aurait pu être une chambre impersonnelle d'amis.

La chambre du fond, celle de son oncle et de sa tante, avait la grande fenêtre avec vue sur le jardin, et une commode couverte de photo des enfants de la maison. Il y en avait tant que sa tante Lise avait ajouté une étagère sur laquelle ils rangeaient leurs souvenirs.

Revenant sur ses pas, elle s'arrêta devant la chambre de Rafe. La pièce ressemblait plus à un bureau où l'on avait coincé un lit dans un coin. Des documents allant de photos à des articles de journaux recouvraient les murs. Ils formaient un schéma très similaire au tableau des Vaugren. Un autre point commun qu'elle s'efforçait d'oublier. Elle ouvrit les tiroirs et placards à la recherche d'un indice qui pourrait être utile. Un indice qui pourrait lui fournir une piste sur l'assassin. Rafe savait qu'elle reviendrait. Il avait dû laisser quelque chose.Avait-il vraiment été pris au dépourvu ? Typhenn avait toujours admiré l'esprit de Rafe sans jamais vraiment le comprendre. Comme un modèle que l'on ne parvint pas à effleurer, peu importe qu'il paraisse si proche. Peut-être parce qu'elle n'osait pas accepter l'héritage des prêtres du Noun qui lui revenait.

Elle s'assit sur le lit froid, face à la commode noircie.

Ronan s'attarda un moment sur le pas de la porte. Elle sursauta lorsque le matelas bougea. Yan restait, hésitant à entrer.

Elle ne dit rien. Ronan comprenait son silence.Comme s'il comprenait son insécurité et toute la peur qu'elle ressentait pour sa famille. Typhenn n'aurait pu dire combien de temps passa avant qu'il prit la parole.

— Tina, commença Ronan en regardant droit devant lui, sans quitter le mur des yeux. Celui si semblable au sien,la devise inscrite au-dessus les différenciait : honneur avant tout.

Elle ne voulait pas entendre ce qui allait suivre.Elle ferma les yeux, les lettres restaient imprimées sur sa rétine.Ronan n'avait pas à l'appeler comme s'il faisait partie de sa famille. Typhenn ne voulait pas de sa pitié. Elle préférait son attitude détestable et ses athama méprisants. Elle avait accepté de coopérer, pas de devenir ami.

— Ronan, le coupa Typhenn en poussant un long soupir. Elle utilisa ce court répit pour s'assurer que sa voix ne vacillerait pas. Rien de ce que tu feras ne sauvera l'amitié que Rafe avait pour toi. Alors, n'essaie pas.

Rafe lui avait pardonné depuis longtemps. Par Seth, Rafe n'avait jamais considéré qu'il y avait faute à pardonner. Il avait choisi de s'éloigner pour le bien d'un ami qui avait besoin d'espace. Rafe faisait de son mieux, mais cela ne comptait pas pour lui. Typhenn ne pouvait pas lui pardonner de faire regretter à Rafe leur amitié.

S'il fut blessé, ou regrettait sa décision,Ronan n'en montra rien. Parfait, car Typhenn ne revenait jamais sur ce qui sortait de sa bouche. Elle suivrait Ronan, lui mettrait la vérité en face, puis il demanderait pardon à Rafe à genoux.

L'innocence des Alexandre devait éclater au grand jour. Elle ne s'arrêterait pas avant. Ils retrouveraient leur honneur. Typhenn se tourna vers lui avec un nouveau feu dans l'âme, un nouveau but. Il eut le même mouvement, exactement au même moment. Plongeant des yeux vairons dans les siens. Quelque chose n'allait pas.

La porte d'AkerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant