Ipenou - Part3

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Rafe ouvrit la bouche.

Une pierre le frappa derrière la tête avec un bruit sourd. Il tomba sur le côté, épargnant le cercle.

Typhenn s'approcha aussitôt pour en vérifier l'état. Il avait pratiquement achevé la dernière rune.

Elle adressa une unique question angoissée à Yan.

— Anubis ?

Yan hocha la tête, visiblement remonté malgré sa lèvre enflée et sa pommette éclatée. Son œil gauche se fermait sous la bosse noire de son arcade.

Rafe commençait déjà à remuer. Il n'avait pas frappé assez fort.

Typhenn souleva son manteau et tira le kriss imbibé du sang de tous les veilleurs de sa ceinture. Il était lourd et mal équilibré, comme alourdi par le poids de toutes les vies arrachées. La poignée aurait pu lui brûler la paume.

Le regard de Yan s'attarda un instant sur l'arme.

— Faisons vite, avant qu'il comprenne que nous ne sommes que deux.

Avant qu'il ne découvre que Ronan n'était pas là.

Yan l'aida à porter son cousin dans le cercle.Elle ferma les yeux. Ses souvenirs se mélangeaient au pire moment. Ils défilaient sous ses yeux clos. La flèche et l'arc, l'oiseau, celui de Thot, celui d'Horus en plein vol. Elle devait réfléchir. Son dos était un appel, un message. Rafe lui avait dit qu'il fallait courber l'espace pour rejoindre le point d'appel et qu'il ne possédait pas ce pouvoir. Rafe n'apportait pas le point d'arrivée à lui, les pouvoirs d'Anubis le faisaient pour lui. Donc, si Rafe contrôlait ses pouvoirs divins, il ne manquait que l'injonction pour faire obéir Anubis à son ordre.

— La dernière née, Tina, aide-moi à ramener le vrai roi, marmonnait Rafe. Il roula sur le côté, pas encore tout à fait conscient.

Les paroles de Ronan lui revinrent. Les morts n'avaient pas besoin d'eux. Son allégeance n'allait peut-être pas autant qu'elle le devrait à Per-aâ. Ronan était tourné vers l'avenir. Il ne contemplait pas un passé glorieux avec nostalgie.Il ne justifiait pas ses actes sous des prétextes égoïstes. Rafe, comme Léodic ne voyait que le passé et détruisait l'avenir pour un faux roi.

La supplique de son cousin qui l'avait trahi l'effleura. Typhenn attendit qu'il se redresse sur un bras, l'autre se tendait vers elle.

— Non,répondit Typhenn.

La seule aide venant de sa part serait son akhamé plongé dans son cœur.

Elle compléta le cercle par la parole juste, l'ordre royal que les dieux ne pouvaient ignorer.

La chaleur étouffante disparut, remplacée par le froid humide emprisonné entre quatre murs.

Ils atterrirent lourdement sur un bureau couvert de feuilles. Yan explosa l'unique chaise sous son poids.

Ils étaient revenus dans la maison.

Avec un cri de rage, elle plongea son akhamé dans le cœur de Rafe. Il arrêta la lame à main nue. La surprise étrécit ses pupilles. Il ne l'avait pas cru capable de viser un organe vital. Elle appuya de toute ses forces. Emportée par son élan et le poids du kriss maudit, la lame s'enfonça dans le bureau. Il la repoussa d'une gifle à revers. La tête de Typhenn rebondit sur le mur. À moitié sonnée, elle s'accrocha au mur, un des clous qui retenait la peau de léopard lui rentrait entre les côtes.

— Je croyais qu'il n'était pas question de m'abîmer, fit-elle, un goût chaud et métallique sur sa langue. Elle testa sa mâchoire,certaine d'avoir entendu quelque chose craquer.

— Tuas choisi, l'accusa-t-il. Il tira son kriss hors du bois.

Rafe recommença à tracer des symboles sur le bois, complétant ceux déjà présent, marqués par leurs arrivées.

À cet instant, Yan se redressa à la vitesse d'un diable hors de sa boîte. Il lui fracassa un pied de chaise sur la tête. Rafe, toujours monté sur le bureau, l'évita. Le bois cogna entre sa main et sa tête. Il attrapa le garçon et écrasa sa tête contre la surface du bureau. Une fois, deux fois, trois fois. Le garçon s'effondra à ses pieds.

Il complétait les runes avec une rapidité effrayante. Il manipulait le mouvement des portes pour créer un portail unique. Elle le sentait, un battement énorme approchait. L'énergie se débattait pour retrouver sa forme d'origine, elle voulait sortir de l'entrave qu'il lui imposait.

L'espace se fracturait, dansait dans l'air. La traversée forcée et instable lui picota la peau.

On poussa la porte menant de l'autel des sacrifices.

— Non ! Ce n'est pas encore votre tour !

Typhenn cria une mise en garde inarticulée envoyant Rafe saisir le kepesh abandonné par Yan. Il le lança à travers le couloir.

L'instant d'après elle tomba à plat ventre sur une épaisse couche de gravier. Elle convulsa, vomit ses tripes dans un joli parterre de fleurs roses. Le nez dans les cyclamens,elle se crut de retour devant chez eux, puis reconnut la maison des Léodic aux airs d'hôtel particulier. Cette maison hantée. Pour ce qu'elle savait, Léodic y avait étranglé sa famille dans leurs sommeils. De gros grêlons s'abattaient sur eux, les assaillants de milliers de piqures d'aiguilles.

La grêle martelait la tôle et rebondissait sur le capot de sa vieille trois-portes garée dans l'allée, prête à franchir le portail.

Des feuilles blanches volaient autour d'eux,couvrant de papier le cercle sens dessus dessous. Yan, également emporté dans le vortex, vida son estomac sur les feuilles. L'eau imbibait le papier. Des petits ruisseaux noirs coulaient entre les lignes.

Debout, Rafe observait le ciel blanc, le regard vide. Ses lèvres bougeaient en silence. À bout de force, ses jambes ne le soutinrent plus. Il resserra son garrot et avec les mouvements saccadés d'une marionnette, il s'entailla de nouveau. Le geste maladroit trancha profondément dans la chair de son bras.

Cette fois, Typhenn sentait l'espace se tordre,se tendre. Ses forces déclinaient. Elle pouvait sentir la magie la presser, puisant l'énergie qu'elle ne trouvait pas en Rafe.L'espace ne tarderait pas à claquer.

— Yan,tu peux te lever ? s'enquit Typhenn, la voix pâteuse.

Yan remua, mais n'ouvrit pas les yeux. Un air chaud soulevait ses cheveux mal taillés.

— Je ne te lâcherai pas, promis. Cette fois je ne te lâcherai pas, sa voix était un gargouillis à peine audible derrière celle de Rafe qui émettait les sons étranges d'une autre langue.

Ils devaient partir. Il ne possédait pas le pouvoir d'abattre un dieu. Ils avaient déjà eu la chance de le tromper une fois.

— Yan, s'il te plait, supplia Typhenn.

Rafe arrêtait régulièrement son appel,reprenant son souffle. Il laissa sa tête tomber en avant. L'air grésilla. Typhenn retient son souffle. Un cercle d'herbe brûlée se forma à ses pieds. Isis savait combien de mots ils restaient avant que la porte djet ne les emporte tous les trois.

La porte d'AkerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant