La mémoire des noms - part2

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Tant bien que mal, il les dirigea vers le petit salon où les druidesses l'attendaient.

Un corbeau albinos reposait sur le dos d'un fauteuil, au-dessus de la tête d'Orlène. Derrière lui, comme son ombre un corbeau empaillé trônait avec un pot-pourri sur la cheminée. Une grosse bûche craquait dans l'âtre. Un secrétaire encombré de lettres était coincé dans un coin.

L'étrangère dégageait une odeur de grand air et de montagne. La couleur burinée de sa peau appartenait à un environnement plus vaste et sauvage. Elle n'avait pas sa place dans ce salon à siroter une tasse de thé. Sans fourrures ni manteau,elle avait rétréci de moitié. Elle leva de petits yeux bridés à leur entrée et plaça une main en travers de sa poitrine.

Typhenn ne savait pas comment réagir à cette forme de salutation. Elle jeta un coup d'œil rapide vers Ronan,mais ne trouva que le regard accusateur de la druidesse.

Orlène finit par se racler la gorge :

— Typhenn,voici Nora, insista-t-elle assez pour lui faire comprendre que la femme n'était pas la première venue.

Typhenn força la seule parole de politesse qu'elle put trouver, qui sortit de façon trop maladroite à son goût.

Nora sourit et plaça ses mains en coupe devant à son abdomen. Elle s'inclina, le regard sur le sol pendant deux longues secondes.

— Orlène m'a déjà parlé de toi, Typhenn Alexandre de la muraille, si je ne m'abuse.

Même parmi leurs communautés, les veilleurs s'annonçaient par leurs sepats qu'à de rares occasions officielles. Typhenn hocha la tête surprise et lui rendit un salut,se demandant vaguement si elle avait entendu du bien ou du mal.Venant d'Orlène, la deuxième option lui semblait plus plausible.

Yan s'installa dans le fauteuil le plus proche de la cheminée. Il tremblait, le châle décoré de plumes toujours sur ses épaules. Il glissa un œil vers la femme. Il examinait ses oreilles comme s'il les aurait voulu pointues pour correspondre aux contes dont il se gavait depuis leur arrivée.

Il ne restait plus que deux places de libres, Typhenn s'installa à côté de Ronan, le plus loin possible de la druidesse.

Ronan se contenta d'un rapport concis des évènements du temple. Orlène, à nouveau tirée à quatre épingles, ne réagit pas lorsqu'on lui annonça le destin de la famille disparu. À la mention de quelques dommages, son mécontentement se résuma à un pincement de lèvres au-dessus de sa tasse.

— Altin devrait rentrer demain matin. Nous pourrons alors nous occuper des corps rapidement et compléter les barrières, termina Ronan.

— Puisqu'il le faut, se résolut Orlène.

— Vous n'êtes pas une elfe, vous êtes druide ? demanda soudain Yan à brûle-pourpoint.

L'étrangère ne répondit pas tout de suite,surprise par l'intervention du garçon dont elle venait de sauver la vie, puis éclata d'un rire tonitruant.

— Non. Mais,je sais tout ce qu'il y a à savoir des anciens. Nous pourrons en discuter plus tard, si cela t'intéresse toujours.

— Nora nous honore de sa présence, et assistera à Saminos, expliqua Orlène,sous-entendant qu'il lui ferait perdre son temps. (La remarque cuisante fit taire Yan qui s'enfonça dans son châle.) Aussi, permettez-moi d'entrer dans le vif su sujet. Nous vous attendions,les portes ont un comportement inhabituel. Je crains pour la forêt. Un mal s'y répand, plus profond qu'il n'apparait. La vie la déserte.

— Un phénomène similaire se produit dans les sols, et corrompt les sorts qui gardent les temples, ajouta Ronan, les coudes sur les genoux, il se pencha en avant. Si un intrus venait à entrer, avec le couteau dépassant de sa botte à quelques centimètres de sa main, il serait le premier à réagir.

Nora s'enfonça dans son fauteuil. Elle conserva une attitude détachée, même après avoir entendu ce qu'on venait de lui annoncer.

— L'énergie qui réside dans vos souterrains est imparfaite, sans vouloir offenser les veilleurs. Le mouvement des mondes a dû l'affecter. Je vous assure que tous ces problèmes seront réglés comme par le passé, Saminos remettra l'ordre naturel en place.

Orlène acquiesça et prit une gorgée de son thé.

— Sophie s'est enfuie avec les portes. Je pense qu'elle l'a invoquée en utilisant une rune. Donc la croissance du phénomène pourrait être liée à l'assassin, insista Ronan.

L'étrangère réfléchit un long moment.

L'impatience de Ronan commençait à se sentir.Il avait attendu dix jours pour la rencontrer. Bien qu'il se forçait à rester immobile, il semblait pouvoir se lever à n'importe quel moment. Être à côté de Typhenn, qui faisait craquer ses doigts ne l'aidait pas. Elle arrêta au premier regard en biais qui glissa dans sa direction.

Enfin, elle parla :

— Les marches ne peuvent être invoquées. Elles sont un phénomène aléatoire. Je les ai étudiés suffisamment longtemps pour savoir que ni les runes ni le sang ne changeront ce fait. (Elle marqua une pause.) Mais il peut y avoir un rapport avec votre félon. Vous avez trouvé refuge dans le fort, car Typhenn Alexandre représente la dernière cible d'une longue liste qui a commencé avec ta sœur. Les traditions Artisans voulaient que les noms soient importants. Ils avaient un sens plus profond qu'une simple identité. Ils possédaient une mémoire, l'histoire de celui qui le portait, et de tous ceux qui l'ont précédé.

Ou un fardeau honteux, Typhenn croisa les bras, ne voyant pas où elle voulait en venir.

— Mon nom n'a rien à voir avec mon sepat, il n'a rien d'égyptien, interrompit Typhenn. Le sien représentait les conquêtes grecques et la gloire de la dynastie des Ptolémé, le déclin des grandes dynasties.

Orlène émit un claquement de langue, mécontente de son impertinence face à son invité de marque.

Nora lui concéda l'argument d'un hochement de tête.

— Je ne vais pas mentionner ceux des Artisans. Ils n'auraient que peu d'importance dans ce cas. Les vôtres sont importants. Ils sont le début et la fin. Ils désignent une étape du voyage de vos ancêtres. Ils ont fait en sorte que vous vous en souveniez pour qu'un jour, vous repartiez sur leurs traces. Tu dis que ton nom n'a rien d'égyptien, c'est exact. Les noms comme la langue se transforment au fil du temps, une évidence peut devenir une énigme. La fin sera le premier pas, et le départ sera la destination. Ainsi, Essie de Vorguim devait être la première, et le sang d'Alexandrie sera le dernier.

La porte d'AkerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant