Chapitre 3 - Une promesse improbable

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Les Alexandre vivaient dans une maison froide proche de la bordure nord, reconstruite après les bombardements de la Seconde Guerre. Elle n'en restait pas moins, un magnifique gouffre financier à entretenir. Par fierté, un Alexandre l'avait toujours habité. Les murs importaient peu, ils les rebâtiraient autant de fois qu'il le faudrait. En revanche, l'autel sous la cuisine ne quitterait jamais la famille. Comparé au grand temple au centre de Rennes, il pouvait paraître fade, dérisoire. Une raison suffisait pour ne pas l'abandonner : il appartenait aux Alexandre depuis des générations.

Rafe sortit ouvrir et fermer le portail. Il revint trempé de la tête aux pieds. Les déesses Nebty, un aigle et un cobra, gardiennes du pouvoir de Pharaon, perçaient de leurs regards tous les visiteurs depuis les faces intérieures de la palissade. Une façon de braver l'interdit qui les empêchait d'afficher leurs armoiries. Délaissé, le cuivre pleurait. Les larmes oxydées se mélangeaient au bleu de la peinture.

La maison regorgeait d'idoles des deux déesses. De l'antiquité à la renaissance, une flopée des variantes européanisées avait vu le jour. Perdant leurs origines et leurs significations avec le temps.

La voiture s'engagea dans le jardin réduit qui entourait la maison de masses noires dressées au garde-à-vous. Les fards balayaient de jaune des parties du plus beau jardin de la rue. Les fortes pluies de la journée avaient rabattu les hautes tiges des arums entretenues par les soins d'Arthur, le père de Typhenn. Sa mère, Honora avait commencé par planter quelques rosiers, puis tous les voisins l'avaient suivie en une frénésie du plus bel espace vert. En cette saison, le gros camélia se dressait en une colonne de rubis rougeoyants, incendiant le ciel de rouges et de jaunes. Il s'allumait dans les arbres et tombait en braises sur la pelouse. Les parterres colorés, soigneusement choisis, fleurissaient toute l'année aux pieds de deux arches de rosiers grimpants qui flanquaient le petit escalier en pierre du perron.  Rafe lui ouvrit la portière alors qu'elle se dépêtrait avec sa main gauche, son sac et la poignée de porte.

Le parfum délicat des fleurs d'automne en pleine floraison s'invita dans la voiture, dominé par les feuilles et l'herbe humide.

Titus entra en premier, la porte claqua derrière lui.

— Dois-je te porter ? demanda Rafe, une main sur le toit et un sourcil levé vers le ciel. Il attendait de pouvoir fermer la voiture. La pluie qui gouttait de ses cheveux ne semblait pas le déranger.

Du lierre grimpait presque aussi haut que la cheminée principale sur la façade nord. La lumière traversait la ligne des vitraux de la tour qui s'élevaient au-dessus de la porte d'entrée, transformant les contours de Rafe en ombres chinoises.

— J'ai peut-être commis une bourde, ou deux, reconnut Typhenn alors que Rafe se raclait la gorge. Des gouttes lui tombaient dans les yeux, l'obligeant à baisser la tête. Tu vas me lancer des pics pendant longtemps ?

Rafe ne disait rien. Tout se lisait dans son attitude, la façon dont il fixait le vide dans sa direction puis détournait les yeux. Le cliquetis nerveux des clefs dans sa main se mélangeait aux gouttes bombardant la carrosserie.

— Non. Durant un court silence, son cousin hésita, comme voulant ajouter quelque chose.

Typhenn compta les secondes, mais il finit par se détourner.

— Allons, rentrons.

L'intérieur était un débarras de bibelots surmontés d'une couche de poussière. La colonisation, riche en exotisme, avait grandement contribué à meubler la demeure de babioles qui n'avaient pas changé de place depuis leur arrivée. Sa tante Lise entassait sous prétexte qu'ils avaient déjà perdu assez et prenait très rarement le temps de s'en occuper. Cette hantise traversait beaucoup de générations dans les clans. Typhenn devait admettre qu'elle trouvait un certain charme à ses ramasses poussières. Dommage que le manque d'éclairage et d'entretien ne les mettait pas en valeur.

La porte d'AkerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant