Chapitre 11 - Le fort

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Elle détestait le confort luxueux de sa voiture. Elle détestait le silence entre eux ponctué par l'acharnement de Kieran qui donnait des coups de pied dans le coffre, comme autant de chocs portés à sa tête.

La constellation de bleus et d'éraflures la brûlait plus qu'une plaie. Typhenn avait l'impression que chacun de ses muscles, chacun de ses os, de ses tendons, s'éveillait à une conscience propre. Les traîtres se concertaient pour lui faire payer tous ses mauvais traitements passés.

Une situation que leur chauffeur n'arrangeait pas en s'entêtant à envoyer des textos au volant. Son manque d'attention l'obligeait à donner des à-coups de volant.

Typhenn laissa ses pensées marcher vers des territoires désagréables, vers une conclusion déplaisante :elle n'avait plus de maison où rentrer. Le golem avait réduit tout ce qu'elle possédait en cendre.

Typhenn ne pouvait s'en prendre qu'à elle-même, son incompétence avait transformé sa maison en tombeau.À présent, elle ramassait les pots cassés. En fermant les yeux,elle pouvait encore voir le jardin et les pétales rouges du camélia voler avec les braises. Bientôt, elle n'aurait peut-être plus de famille non plus. Comment savoir, si Ronan ne l'autorisait pas à joindre Rafe ?

Ronan refusait de révéler où il les conduisait.Une personne de confiance, qui ne les vendrait jamais aux veilleurs. Après la trahison des jumeaux, Typhenn doutait de son impartialité.Elle ne voyait qu'une personne qui pourrait les accueillir en connaissance de cause. Cette solution lui déplaisait. Avait-elle seulement le choix ?

Le chauffage rugissait par les aérations. La chaleur dans l'habitacle finit par la faire somnoler. Elle sursauta lorsque Ronan ouvrit sa portière et lui ordonna de changer de place avec Yan. Il voulait absolument vérifier ses blessures. Typhenn regretta aussitôt de leur avoir raconté son face-à-face avec Kieran sur le toit, puis le golem. Rafe étant loin, Ronan se sentait soudain investi de la mission de prendre soin de sa personne trop fragile.

Elle le repoussa, sans égard pour son orgueil ou la douleur dans ses côtes. Elle ne tenait pas à ce qu'il constate l'amplitude de ses marques ni à quel point elle dépendait d'elles.

Yan grogna sur le siège passager, appréciant peu qu'elle secoue son siège, il finit par sortir de la voiture. Le golem l'avait envoyé valser contre un mur, et il s'en tirait seulement avec de gros hématomes et quelques coupures. N'ayant pas encore l'habitude d'être malmené, il était ce qu'elle appelait une mauviette.

Ronan finit par battre en retraite. Une chance pour elle, il avait un autre chat à fouetter dans le coffre.

Ils s'étaient arrêtés devant un chalet en bordure de forêt, un ruisseau coulait à quelque pas entre les herbes hautes. La roue d'un moulin à eau grinçait contre le vent,trop pourri et délabré pour fonctionner correctement. Aucun éclairage ne provenait de l'intérieur du chalet abandonné. Ils ne disposeraient que des phares bleus du SUV pour éclairer la nuit plus dense chaque minute.

Typhenn se laissa doucement glisser hors de la voiture. Yan se planta devant elle pendant que Ronan sortait son otage du coffre, cordes en main. Il l'entraina entre les arbres,restant toujours dans la lumière des phares. Obligé de marcher le dos courbé, la silhouette de Kieran paraissait frêle à côté de Ronan qui le trainait par le cou d'une main.

La vie diurne cédait sa place dans un silence respectueux. Un silence troublé par les vociférations de Kieran.Ses mains entravées le déséquilibraient. Dès qu'il trébuchait sur une racine, titubant comme un ivrogne, Ronan le relevait sans prêter attention au flot de menaces. Kieran marmonnait des imprécations sur sa sœur. Sophie le retrouverait. Ils le regretteraient. Ensemble, ils s'amuseraient avec eux. Plus ils s'éloignaient entre les arbres plus le son de sa voix montait,comme s'il voulait qu'ils n'en perdent pas une miette.

Elle voulut le suivre, mais Yan l'empêchait d'avancer ou de voir ce qui se passait.

— Ce n'est pas humain, lui souffla-t-il, tendu. Il regardait partout sauf dans sa direction.

Ronan fit taire brutalement Kieran. Le bruit se répercuta jusqu'à eux, si fort qu'ils auraient pu se tenir à côté.

Elle claqua la portière.

Yan sursauta.

Typhenn s'adossa à la voiture et attendit qu'il développe.

Yan pouvait faire référence à tellement de choses de leur monde qu'à travers son regard d'étranger, il ne pouvait comprendre. Il contenait à peine ses nerfs. Sa morale de garçon avec une vie paisible ne supportait pas l'idée de torturer un homme. Typhenn n'aurait pu dire s'il allait hurler ou paniquer.

—  Reste ici, personne ne te force à te salir les mains, le repoussa Typhenn. Mais ne m'empêche pas de protéger ma famille.

Cette fois le garçon baissa les yeux vers ses pieds. Il ne la retient pas. Typhenn venait de toucher une blessure encore ouverte. Sa famille était déjà partie en fumée.

Ronan attachait Kieran à moitié sonné entredeux arbres. Sa tête penchée au-dessus du sol laissait sa nuque à découvert comme s'il s'apprêtait à le sacrifier à la forêt. Lorsqu'il vit Typhenn s'approcher, il lui lança une deuxième corde pour qu'elle s'occupe de l'autre bras. Ils serrèrent les nœuds si fort que les cordes tranchaient la mousse crochetée aux troncs. Son manteau vert recouvrait tout, défiant les lois de la pesanteur, se nichant sur les feuilles des fougères.

Ronan s'accroupit et le réveilla à petites claques sur son visage tuméfié. Kieran s'ébroua en grommelant.

Ronan annonça la couleur en sortant le plus long kriss que Typhenn ait jamais vu et le posa à côté de lui. La lame entièrement ciselée brillait dans la plus faible lumière. Un cuir rouge et lisse entourait la garde. En comparaison, le sien passerait pour un couteau de boucher.

La porte d'AkerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant