— Dis-moi quelque chose que je ne sais pas, athama, Ronan grinça des dents, comme s'il voulait plus. Il attendait une confession qui tardait à venir.
Rafe mit un peu plus de temps à répondre. Cette seule phrase aurait pu suffire à condamner Rafe à mort. Que voulait-il de plus ? Typhenn hésita, la peur la retient de remonter dans sa chambre. Le bruissement des photos s'arrêta. On tapota plusieurs clichés sur la table.
— On retrouve des runes identiques sur les deux scènes. Des runes de liaison, on s'en sert pour communiquer. Celle dans la maison de Quivren est plus ancienne que les autres et en partie recouverte, dit Titus.
— Alors, le sorcier aurait voulu avertir les familles. Et, il serait mort pour ça, réfléchit Ronan.
— Ou, il aurait pu faire partie d'une secte et déclencher l'incendie à distance. On ne peut pas s'attaquer à autant de monde seul. Il agit en groupe. Les rôdeurs se déplacent en meute. Ils auraient pu brouiller les pistes avec un cryptage de plusieurs dialectes runiques. Attaquer des maisons sans protection est facile pour eux. Ce que j'aimerai comprendre c'est :à quoi leur servent toutes ces vies ? Aucun rituel à ma connaissance n'exige autant de sacrifices.
— Un nécromant pourrait soulever une armée. La disposition des corps, les inscriptions identiques réparties sur les deux scènes. Deux pièces, deux maisons, et entre les deux le temple avec des morts en masse, suggéra Ronan qui en venait à la raison qui l'avait poussé à frapper à leur porte au milieu de la nuit. Il voulait que Rafe lui confirme qu'ils devraient affronter une armée de momies.
Un rire jaune secoua Rafe en entendant le raisonnement militaire de Ronan, qui allait contre toutes les règles de son savoir. Il préféra ignorer l'insulte. Derrière la porte, Typhenn grinçait des dents.
— Je te l'ai déjà répété, la magie heka ne soulève pas les morts. Elle fait parler les corps.Elle utilise les corps comme catalyseur pour joindre l'esprit. Elle utilise la mort, plus précisément la vie qui nait de la mort comme source de pouvoir, lui expliqua Rafe calmement.
Peu de monde comprenait vraiment la science de la mort créatrice de vie qui échappait même à la plupart des veilleurs.
— Les protections du temple, qu'est ce que c'est ?
— C'est différent. Ne crois pas toutes les rumeurs absurdes, répondit Rafe, sèchement.
Le silence tendu de Ronan signifiait que cette réponse ne lui suffirait pas.
— Vraiment ? Et si je te dis que Quivren n'a plus de cœur, Ronan marqua une pause, puis reprit sans attendre. Puisque ton aide ne me sert à rien, je me tournerai vers les druides, la prochaine fois. Ce sont les vrais connaisseurs en matière de magie et de rituel, le provoqua Ronan piqué à vif. Il devenait difficile de cacher autant de disparitions aux médias.
Les druides ne connaissaient pas la magie de résurrection. Ils s'attachaient au vivant et à la terre, paradoxalement, ils gardaient jalousement beaucoup de traités interdits de leurs déesses dans des bibliothèques. S'il y avait accès, pourquoi informer Rafe ? Il ne venait pas chercher un conseil, il voulait briser son sang-froid. Il jaugeait chacune de ses réactions.
Typhenn, concentrée sur ce qui se disait, ne sentit pas le plancher vibrer sous les rangers.
— Je vais aussi songer à rendre une visite à Marcus, continuait Ronan sur le ton de celui qui en sait plus qu'il n'en disait. Vous n'avez toujours pas de ses nouvelles, je crois. Il s'est peut-être plongé dans des rituels interdits ?
Ronan ouvrit brusquement la porte, faisant sursauter Typhenn qui bascula en arrière. Il l'écrasa sous le poids de ses yeux bleus et marron. Le voir dans sa maison, Rafe et Titus dans son dos, la plongea dans un souvenir, une autre vie où il la défendait encore. À cette époque, jamais elle n'aurait imaginé que son regard puisse la rendre mal à l'aise. Puis, Ronan avait enterré sa petite sœur. Ce jour-là, il n'avait pas détourné les yeux du cercueil. Pas une seule fois, jusqu'à ce que la terre recouvre la tombe.
Il la fixait de ce regard calculateur, comme si l'assassin respirait sous ses yeux et qu'il se préparait à exercer la loi du talion.
— Ronan, le salua-t-elle.
— Athama, passe le bonjour à ton frère.
Typhenn, l'orgueil piqué par ses accusations à peine voilées, l'observa accorder un bref mouvement de tête à ses cousins. Il tourna les talons et ferma la porte dernière lui avant qu'elle ne pût trouver une remarque acerbe à répliquer.
Une enveloppe en papier kraft déversait les photos prises de la maison des Quivren et de l'appartement. Ses cousins penchés au-dessus relevèrent les yeux des clichés. Rafe secouait la tête de dépit, les deux poings appuyés sur la grande table de frêne. La tête basse, il expira profondément. Les photos ne l'aidaient pas à y voir plus clair que les descriptions de Typhenn dans la voiture.
Le ronflement monstrueux du moteur s'éloigna puis disparut dans la nuit, alors Typhenn osa enfin demander :
— Ils vont faire quelque chose, prendre des mesures ? Il n'y a pas que nous qui sommes en danger.
Les Alexandre n'auraient pas de gardes assignés pour les protéger, une clause de l'ancienne sentence qui leur avait accordé le droit de vivre. Ils seraient seuls à défendre leurs vies. Cela n'empêchait pas Typhenn de s'inquiéter pour les siens.
Elle accorda un bref regard aux clichés. Elle reconnaissait certains détails de la chambre du sorcier. Le symbole de liaison effacé apparaissait intact, le fleuve traversé par une plume. La deuxième série avait été prise sous les restes d'une sculpture de l'éclair de Min, l'éclair des Quivren, sous le disque solaire, autre scène de crime.
Rafe, ébranlé par les assertions de Ronan, l'observa comme s'il voyait au travers d'elle. Il finit par se reprendre et lui assurer :
— Les Chepesou se réuniront d'urgence, ils n'ont pas le choix, pas avec... pas après cette attaque, se reprit Rafe en désignant une photo de Quivren dépossédé de son cœur. Ronan a enfin la preuve qu'il lui manquait pour imposer des protections druidiques. Il voulait s'assurer que le mur me convenait et que je le soutiendrai pour que cette protection s'applique à tous, demain.
Il mentait, Typhenn avait tout entendu. Les Vaugren trouvaient encore un moyen de s'enrichir de leur trafic avec les druides. En y pensant, tout ce chaos profitait beaucoup au Vaugren qui gagnait chaque jour plus d'influence.
Rafe se massa la nuque. Les cernes sous ses yeux et ses épaules voûtées parlaient pour lui. Il réexamina les clichés encore une fois.
— Dès demain matin, je vérifierai les renforcements d'Altin, trop de protections ne seront pas un luxe,ajouta Rafe avec un soupir. Il souhaitait remplacer les amulettes. Il regrettait de ne pas avoir pu interroger Atlin plus avant sur les propriétés du mur. Les veilleurs ne se battaient pas contre de simples assassins, mais une organisation semblable aux rôdeurs et avec le savoir des druides.
Un cliché tomba vers Typhenn. On avait tailladé le pauvre homme vicieusement, ne lui accordant aucune chance de se défendre avant de lui arracher le cœur, lui laissant un trou béant dans la poitrine. Le cadre comprenait une grande partie de la pièce où le corps avait été comme déplacé dans un halo blanc au centre d'une cheminée maculée de suie. Les protections carbonisées qui l'entouraient avaient essuyé le plus gros des flammes.
Concentré sur les photos, ils ne firent pas attention à elle, ils continuaient de débattre sur le moindre élément. Un jeu macabre, comme disait Rafe, qui émettait théorie sur théorie.
Les paroles de Ronan tournaient et retournaient dans sa tête. Ils étaient dans le collimateur des Vaugren et donc,par extension des Chepesou.
Elle glissa la photo dans sa poche. Typhenn ne fermerait pas les yeux. S'ils ne pouvaient pas prouver leur innocence, ils finiraient dans les cachots, emportés par la violence des veilleurs. Il ne serait plus question d'introduction.
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La porte d'Aker
FantasyDeux millénaires d'absence n'ont pas amoindri leur loyauté. Tous sont prêts à sacrifier leurs vies pour un seul être : Pharaon. Malgré son obstination, les aînés de Typhenn lui refusent sa place parmi les gardiens du roi disparu. Et les dieux n'ont...