Entre les ténèbres -part2

11 2 6
                                    

Typhenn se fraya un passage dans l'assemblée sans le moindre égard.

Presque aucun homme ne portait le pagne traditionnel, lui préférant une tunique croisée nouée par deux ceintures. À la première tunique en coton coloré, venait se superposer une seconde en cuir tressé qui constituaient la seule décoration que les hommes s'autorisaient. Les membres plus actifs du clan portaient des protections de cuir, ou des anneaux d'or aux bras. Quelques rares Ousekh, des colliers d'or réservés aux Chepesou, aux médjaïs et aux savants, se promenaient dans la foule. Les femmes gardaient une robe simple couverte de bracelets et colliers de perles. Les plus jeunes osaient des tenues dénudées ressemblant plus à des morceaux de tissus attacher par des amulettes. L'eau de Cologne et les parfums artificiels de l'assemblée détonnaient avec l'effort commun pour ressembler au passé.

Lorsque les veilleurs remarquèrent qui écrasait leurs pieds nus, ils n'hésitèrent pas à l'insulter. Rien qu'elle n'ait déjà entendu un millier de fois : une famille de traitre, l'avorton, la disgrâce. Personne ne prêta attention au garçon qui la suivait.

Tous allaient de son cri d'encouragement vers les deux combattants qui décrivaient un cercle sur le sable. Le jeune homme faisait face à son maître, une femme aux cheveux grisonnants et au corps aussi sec qu'une corde. Leurs épées ancestrales courbées décrivaient des passes intimidantes. Les rubans blancs noués aux gardes des kepeshs décrivaient des cercles harmonieux.

Sur le blanc de la chaux, des serpents de peinture faisaient le tour de l'arène, partant de la tribune des Chepesou qui surplombait le sable et les veilleurs. Les serpents, tous crocs dehors protégeaient le soleil des ténèbres. Dans la la tribune, seulement trois vénérables assistaient à la cérémonie, drapés de blanc et couvert d'or, leur bâton à la main, les yeux protégés de perles. Derrière eux, l'ombre des médjaïs qui les protégeaient où qu'ils aillent, un kepesh à leur ceinture.

Deux gros lustres se balançaient au rythme lent d'un vent surnaturel. Leurs montagnes de bougies pleuraient leurs perles de cire dans les cheveux du public serré devant la fosse.

Debout sur le muret qui délimitait l'arène, les musiciens en pagnes frappaient leurs tambours comme le battement d'un cœur de géant. Des larmes blanches restaient collées sur leurs masques d'or.

Et avachi sur le muret entre les joueurs de tambours, Ronan ne cachait pas l'ennui que lui prodiguait cette lutte fictive. On ne voyait que lui, pourtant personne n'osait lui mentionner l'affront dont il faisait preuve. Ils préféraient s'extasier de l'Ousekh à son cou et de sa parure de bracelets. Il ne lui manquait plus que les mouches d'or des médjaïs. Il était l'un des seuls à avoir délaissé la chemise pour un sash qui couvrait à peine sa peau dorée. Son regard vairon se promenait sur la salle, comme une provocation silencieuse.

Les deux combattants tournaient au centre de l'arène qui évoquait une île de flammes. Typhenn reconnut avec amertume le visage d'Esteban, celui qui l'avait envoyée faire une visite à l'hôpital. Il avait à peine vingt ans et donc deux ans son benjamin. Son adversaire faisait preuve d'une indulgence honteuse en ignorant les failles béantes de ses attaques. Typhenn aurait pu s'y engouffrer les yeux fermés. Son maître, le visage caché sous un masque difforme d'akherou, lui accorderait le droit de passage sans une goutte de sueur.

Dans son dos, Yan joignit sa voix aux cris admiratifs. Il se fondait mieux dans la foule qu'elle ne l'eut cru. Et mieux qu'elle.

Typhenn serra les dents. Les vénérables avaient convoqué Rafe au milieu de la nuit pour avancer la date de l'introduction d'un gamin qui ne méritait pas de garder le sommeil du roi. Ils préféraient l'accorder à ce paon d'Esteban, un incapable qui valait mieux qu'une petite chose faible et fragile. Ce combat aurait dû se finir avant de commencer. Pourquoi Rafe lui avait-il demandé d'être présente ? Qu'est-ce qu'il voulait lui montrer ? Que cherchait-il à lui faire comprendre ?Que sa place n'était pas ici, dans cette parodie de duel sacré ?

— Il ne devrait pas fouler le sable sacré,marmonna-t-elle en croisant les bras alors que le maître désarmait Esteban de son sabre d'un mouvement du poignet. Comme sentant sa mauvaise humeur s'élever vers le plafond, Ronan braqua son attention sur eux avec l'acuité d'un rapace.

Typhenn disparut derrière une femme plus grande avant qu'il ne la voie. Elle ne pouvait rien pour Yan qui dépassait au-dessus de toutes les têtes. Certaines commençaient à se retourner dans leur direction, suivant le regard appuyé de Ronan.

— Parce que tu pourrais en faire autant, commenta Yan, toujours sous le charme des duellistes. Il émit un rire sarcastique étouffé par un grognement lorsqu'elle lui donna brutalement le fourreau vide, le poussant un peu plus derrière une colonne.

Les têtes commençaient à se tourner vers eux. Si elle ne voulait pas qu'ils perdent les leurs, elle devrait sortir de l'ombre.

— Reste là, et fais-toi discret.

Elle poussa le public qui la séparait du centre. Plus elle s'approchait, plus son cœur accélérait à la simple idée de ce qu'elle s'apprêtait à faire. Sa main tremblait dangereusement autour du métal affuté. Rafe ne le lui pardonnerait pas facilement. À deux pas de sa cible, Typhenn lança son kriss entre les deux combattants avant que le maître déclare son élève digne des dieux.

La lame ondulée se planta dans le sable jusqu'à la garde.

La porte d'AkerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant