Les serviteurs d'Isefet - part3

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Typhenn retient une grimace. Rafe s'était vraiment senti obligé de préciser ? Le mois de mise à pied lui paraissait plus dur à avaler que la douleur dans son poignet gonflé et sa main marbrée d'hématomes violets.

— Une chance pour les gars, dit-elle en indiquant la salle. Elle les aurait ratatinés.

— Je leur dirai de remercier le Khépri ce soir. Il n'y avait aucun humour dans sa voix. Rafe coupa la bande qu'il noua.

— Tu pourrais faire une petite rune de rien du tout pour accélérer la guérison, suggéra innocemment Typhenn en cherchant à croiser son regard.

Rafe jeta les compresses sales dans la poubelle vide. Son soupir fut plus fort que le gong du panier parfait. Il aurait pu inscrire le nom de Typhenn sur cette corbeille. Elle ne servait que pour elle, comme ce local. Des paquets de cookies étaient cachés dans un des placards, celui du bas, juste derrière la bétadine. Elle les sortait de manière régulière pour soudoyer les garçons de la salle.

— Tina, tu as deux phalanges cassées, et un poignet foulé. Il pinça les lèvres, et ajouta moins fort. On a déjà dépassé le nombre de runes raisonnable que le corps humain peut supporter.

— Une petite rune de plus. C'est exactement comme lorsque je n'arrive pas à éviter un coup et qu'il faut le cacher à papa, insista Typhenn avec des yeux de cocker. Il pouvait sortir son kit, un quart d'heure plus tard, toute cette histoire ne serait plus qu'un souvenir.

Au fond, il avait raison. Les veilleurs possédaient des os naturellement renforcés. Un don de Maât à ses enfants. Ce don l'avait esquivée à la naissance. Pour elle, frapper un veilleur était comme s'attaquer à un mur. À la fin, son poing n'aurait jamais le dernier mot. Toutes les runes utilisées pour la guérir l'avaient rendue insensible aux premiers signes de douleur. Rafe s'inquiétait des effets secondaires, pendant que Typhenn se concentrait sur le bon côté. Elle pouvait se battre plus longtemps. Tout cela aurait été inutile s'il n'y avait pas cette erreur génétique qui la rendait plus normale, plus mortelle. Les veilleurs la reniaient parce que la grâce de Maât l'avait loupée. Ils refusaient de voir ses compétences. Ronan ne voulait pas de sa fragilité dans ses pattes. Rafe rechignait à défier l'ordre établi.

— Oui, exactement, Rafe croisa les bras.

Typhenn comprit qu'elle venait de gaffer en révélant qu'elle lui dissimulait des informations. Rafe attendrait la nuit pour avoir la vérité, s'il le fallait.Vaincue, elle déballa toute l'histoire en omettant les événements précédant l'accident du bus. Les deux rôdeurs attirèrent l'attention de Rafe, elle s'y attarda, mais il la coupa :

— Tu ne te promènes plus seule, décréta-t-il sans appel en rangeant le matériel médical dans une boîte en plastique.

— Je suis majeur, depuis quatre ans. Je peux rentrer seule. Typhenn se redressa de toute sa hauteur, ce qui ne changeait rien à sa taille.

— Et comment ? demanda-t-il en consultant sa montre, un sourcil levé.

À cette heure, aucun bus ne circulait. Il l'attacherait au lieu de la laisser rentrer à pied avec un rôdeur dans les parages.

— Je pourrai prendre ta voiture. Oh ! allez, c'est une épave. Le pire qui pourrait lui arriver serait de rencontrer un écureuil.

Elle n'eut pas le dernier mot. Elle ne l'aurait jamais en insultant sa fierté, parfois étroitement liée à sa voiture.

Typhenn traina le plaid jusque dans un coin de la salle où elle s'écrasa avec son bras en écharpe. Le regard noir et inquiet de Rafe la suivait partout. Elle s'empara de son sac. Prise d'un effroyable pressentiment, elle déversa son contenu sur le tatami. Seulement des livres tombèrent à ses pieds. L'horreur de la situation la percuta de plein fouet. Son akhamé trempait toujours quelque part dans l'allée puante. Typhenn regretta de ne pas avoir explosé sa tête contre un mur de brique.

Elle évita de regarder Rafe. S'il l'apprenait, il se chargerait personnellement de sa petite frimousse.

*           **          ***           **           *    

Ils s'entassèrent dans la trois portes verte de Rafe. Typhenn cohabitait à l'arrière avec les sacs de sport nauséabonds, car armes blanches et matériel à l'usage obscur remplissaient le coffre. L'une des roues arrière faisait un bruit métallique infernal dès qu'elle rencontrait un trou, comme si elle s'apprêtait à aller rouler sa bosse ailleurs.

Avec la plus grande discrétion, Typhenn glissa le portable de Rafe dans la poche de sa veste, sur le siège conducteur.

— On a trouvé des corps, l'informa-t-il sombrement au même moment, la faisant sursauter, le portable tomba dans la poche. Les Chepesou soupçonnent une faction de sorciers d'être à l'origine des meurtres. Ils ont décidé de se tourner vers les Césaires. Ils interrogeront les druides.

Elle se retient de justesse de demander comment il avait pu l'apprendre sans avoir son téléphone sur lui. Ils l'avaient sûrement contacté sur celui de Titus.

Typhenn ne portait peut-être pas les druides dans son cœur, mais elle plaignait les pauvres hommes que les jumeaux interrogeraient. Si Ronan et son père tenaient la place des mains des Vénérables, les Césaire servaient de coup de pied. Ils étaient la dernière carte qu'on envoie pour calmer les regroupements de rôdeurs. Partout où ils passaient, ils ne faisaient jamais dans la dentelle ni ne connaissaient la pitié. Une fois lancé, on ne les arrêtait pas. Ils prétendaient que se battre leur permettait de communiquer avec leur déesse des massacres, Sekmet. À chaque fois, les Vaugren passaient des heures à nettoyer le bain de sang qu'ils créaient.

En quatre ans, personne n'avait trouvé la moindre trace de l'auteur des meurtres. Sur ces quatre ans, cela ne faisait que quelques mois que les jumeaux rongeaient leurs os, attendant sagement qu'on leur accorde la carte blanche promise. Depuis peu, des maisons entières de leur clan brûlaient avec leurs habitants. La raison et l'auteur demeuraient une énigme. Et tous les veilleurs devenaient fébriles, ils voyaient en eux la solution qui tardait tant à être prise : une chasse à l'homme.

À dix-neuf ans, Kieran et Sophie comptaient parmi les chasseurs plus aguerris de l'équipe de Ronan. Il n'y avait que lui pour maîtriser l'agressivité des jumeaux. Andraste n'en voulait pas.

— Pour une fois que les Chepesou n'exagèrent pas, marmonna Typhenn en repensant à la chambre couverte de gribouillis noirs et blancs. Si les rôdeurs s'associaient avec les sorciers, Typhenn espérait que les jumeaux leur fassent passer l'envie de recommencer.

Rafe croisa le regard de Typhenn dans le rétroviseur.

— Tina, puisque tu en parles. Il faudra que tu me décrives la scène et que tu me répètes ce qu'en pense Ronan.

Elle détourna vite les yeux, et avala sa salive avec difficulté. La raison du pourquoi il s'obstinait à travailler avec Ronan lui échappait. Sûrement, les Chepesou ne pouvaient pas les obliger à le supporter.

Titus regardait ailleurs, perdu dans le vague, ignorant du soutien qu'elle chercha auprès de lui. Cette voiture devait constituer son enfer quotidien. Il ne détournait jamais les yeux du paysage qui défilait, absorbé par la musique que ses doigts jouaient sur le plastique de la porte.

Elle finit par tout avouer. La créature, le portail, les symboles étranges. Elle n'oublia pas de mentionner les nouveaux jouets de Ronan, insistant en particulier sur les risques qu'il lui avait fait prendre. À son grand dam, il parut plus intéressé par ses balles à l'alliage mêlant technologie et magie. Typhenn ne pouvait pas lui jeter la pierre, ce genre de situations, où elle se mettait en danger, arrivaient régulièrement.

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Cher/e lecteur, si vous venez de finir ce deuxième chapitre, j'espère que vous avez accroché, car ce n'est que le début pour Tina. Et croyez-moi, elle aura besoin d'aide.
Partagez-moi vos impression et/ou extrapolez vos prévision dans les commentaire (car le début est riche en présage) :)

La porte d'AkerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant