La marque des reines - part4

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Ronan lui intima de se taire, un doigt sur les lèvres.

— Plus un bruit.

— Quoi ? répéta Typhenn un peu plus fort, en se redressant brusquement. Si Andraste la trouvait ici avec Yan, il ne poserait pas de question. Il exécuterait sa seule chance d'innocenter sa famille. Tu n'aurais jamais du nous conduire ici, ton père...

Ronan fut sur elle en une fraction de seconde. Il étouffa son exclamation de sa main. Pour que ce soit bien clair, il répéta son ordre d'un geste silencieux. Il ne manquait plus quele chut. Elle lui jeta un regard haineux en se débarrassant de sa grosse paluche.

— Ne fais pas la maligne. On ne sait jamais ce qu'elles manigancent. En ce moment je suis votre seul moyen de sortir, et je ne tiens pas à expliquer votre présence. Alors, obéissez. Je ne veux pas un bruit, pas une lumière doit franchir cette porte.

Après avoir assisté par deux fois à sa démonstration d'agilité, Typhenn ne souhaitait pas rencontrer ces elles que Ronan évitait. Pouvait-il exister pire que son père ? Andraste, le nettoyeur des Chepesou, on disait de lui qu'il traquait violemment les assassins et qu'il n'hésitait pas à torturer au premier soupçon. À croire qu'ils avaient monté leur propre petite compétition entre père et fils.

Il récupéra ses glaives et éteignit la lumière. Les condamnant à évoluer avec le faible rayon bleuté qui descendait de la fenêtre. La nuit tombait de plus en plus vite à l'approche de l'hiver.

Les grosses chaussures de Ronan s'éloignèrent, et elle compta jusqu'à dix. Yan alluma un briquet, illuminant le contenu des fioles à la lueur de la flamme. Toutes sortes de substances plus ou moins homogènes mijotaient. Des réserves de balles étaient étiquetées avec soin sur les étagères. Il souleva un flacon qui répandit une odeur nauséabonde dans le sous-sol.

— Tu vois, tout ça, je ne le sens pas, dit-il tout bas en se couvrant le nez de sa manche.

— Crois-moi, je le sens très bien, répondit placidement Typhenn en s'éventant avec sa main pour repousser les effluves nauséabonds, bien pires que lorsque Rafe jouait à l'apprenti chimiste dans la cuisine.

Seulement une porte les séparait d'Andraste. Typhenn se mit à ouvrir tous les tiroirs, un par un, puis deux par deux. Ils ne contenaient que des poudres, des plantes et des balles rangées avec soin, rien qu'elle ne puisse se servir. Il devait ranger ses armes ailleurs.

Typhenn observa autour d'elle.

Ils pourraient sortir par la fenêtre en déplaçant le bureau. Mais comme Ronan n'avait pas manqué de le souligner, il pouvait la dénoncer à tout moment. Il ne réfléchirait pas à deux fois avant de faire basculer ses cousins avec elle. Typhenn avisa les étagères. Des manuscrits rangés par ordre alphabétique occupaient la majorité des murs, les écrasant à la lumière de la flamme. Trois murs contenaient une telle quantité de documentation, qu'elle craignait de périr écrasée sous une pile instable. Elle n'avait jamais vu autant de parchemin réuni au même endroit. Tous traitaient de leurs histoires.

Les veilleurs s'étaient réduits à lire des études faites par des étrangers traquant un savoir perdu. Ils n'avaient conservé que de maigres traditions et quelques livres sauvés des flammes de la bibliothèque d'Alexandrie ; le Livre de la chambre cachée, Livre de la grande vallée, l'art de la maison d'or, Livre des portes, Livre du jour et de la nuit, Litanies du soleil. En passant les tranches inconnues en revue, elle tomba sur des écrits de sorcellerie. Typhenn ôta ses doigts comme si le grimoire l'avait brûlée.

Se détournant, elle fit signe à Yan d'éclairer le tableau noir qui retraçait l'avancée de ses recherches. Autant en profiter et mettre son nez sur ce qu'on lui cachait. Sur le tableau noir, toutes les hypothèses liées à l'identité de l'assassin menaient à des interrogations. Ronan ne négligeait aucune théorie, aucun suspect. Le nom de Rafe à côté d'Andraste la fit grincer des dents. Soit le mot scrupule ne faisait pas partie de son vocabulaire, soit son professionnalisme outrageant lui ôtait toute compassion.

Jouant avec une craie, elle pesa l'idée d'ajouter le nom de Ronan au tableau.

Soudain, on alluma la lumière. Typhenn sauta au plafond en retenant une exclamation peu digne d'un veilleur. Yan fit tomber un objet lourd sur le plancher, et marmonna quelque chose ressemblant à un juron.

Le regard de Ronan s'attarda sur Typhenn. Il la fusilla jusqu'à ce qu'elle repose la craie à sa place.

— Mes tantes, c'est réglé, finit-il par lâcher.

— Nous ne devrions pas rester, c'est trop risqué, insista Typhenn.

Il se pinça l'arête du nez.

— Plus tard. Vous ne risquez rien ici.

Ronan alluma un feu dans la cheminée, il prit appui contre l'établi et les invita à s'installer sur le canapé usé jusqu'à la corde, lui assurant qu'Andraste, n'appréciant pas beaucoup ses recherches, ne viendrait pas le chercher ici. Yan qui avait déjà failli renverser un tube en profita pour garder ses mains pour lui. Il y avait trop d'objets fragiles réunis dans une seule pièce. Typhenn continuait son inspection. Ronan grinça un peu des dents en la voyant se retourner vers le tableau, mais la laissa faire. À la lumière, elle reconnut les runes, et les clichés qu'il avait apportés au milieu de la nuit.

— Reprenons. Je veux que tu me racontes tout ce que tu as pu entendre ou voir sans rien omettre.

Alors, Yan raconta une nouvelle fois la nuit qui avait brisé sa vie. Ronan, intraitable, le poussait sans pitié jusqu'au bout, réclamant des précisions sur telle ou telle formulation. Quand Yan eut terminé, il aurait pu écrire un rapport des évènements à la minute près. À la fin Ronan souligna que Yan n'avait pas assisté à la mort de ses parents ni de sa petite sœur. Il avait entendu des cris, point. Pour lui, sa sœur aurait pu être enlevée vivante. Mais après trois mois, il ne donna pas d'illusion à Yan,  ils n'avaient pas survécu.

Le garçon baissa la tête. Il resta ainsi le visage caché derrière ses mains sans prononcer un mot.

Typhenn fit un geste vers lui, puis se ravisa. Elle ne savait pas comment le consoler.

Postée devant l'âtre, l'ombre de Ronan s'étirait sur la bibliothèque, absorbant toute la chaleur. Il réfléchissait les deux mains sur le manteau de cheminée, l'esprit perdu dans les flammes dansantes. Puis, il commença à tourner en rond dans le sous-sol étroit,  attisant le feu de temps à autre, puis recommençait à faire les cent pas. Il revint vers Yan qui refusait de lever les yeux de la bouteille en plastique qu'il tournait entre ses mains. Ses longs cheveux tombaient devant ses yeux.

— Yan, qu'importe ce que tu veux maintenant. Ils sont morts, tu dois continuer à avancer.

Ronan lui posa une main sur l'épaule, comme pour le consoler. D'un mouvement vif, il tira sur le col de sa chemise et porta un fer à blanc entre ses omoplates. Yan se tortilla. Un cri inarticulé sorti de sa gorge.

Typhenn n'eut pas le temps de réaliser ce qu'il avait fait que Ronan jetait son tison dans les braises. Certaines sautèrent et brûlèrent la moquette déjà tachetée de trous noirs.

— Tu es complètement malade !

Elle bouscula Ronan, les mains à plat sur son torse, le forçant à reculer jusqu'à la table de bois.

Il finit par lui saisir les poignets pour la calmer. Elle se dégagea, et s'éloigna de lui. Ronan osa lui tourner le dos pour fouiller dans des tiroirs. Pendant ces quelques secondes, Typhenn contempla l'idée de lui planter son tison entre les omoplates.

Ronan lui lança un onguent qu'elle saisit au vol.

— Remercie-moi. La marque des reines le protégera des nôtres, trancha Ronan avant de se diriger vers le tableau. Il effaça quelques traits, et ajouta le nom de Yan ainsi que traitres  dans le coin supérieur gauche.

Yan, recroquevillé en position fœtale sur le tapis, essayait en vain d'atteindre la marque de lotus toute fraiche.

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J'espère que le côté dark de Ronan ne vous aura pas trop choqué. Il avait ses raisons, si on peut dire. Malheureusement, le bougre n'a pas fini.
Pensiez-vous que c'était ça la marque des reines?
Merci encore de suivre ce trio improbable

La porte d'AkerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant