Amélia avait à peine pris le temps de se sécher les cheveux convenablement. Elle s'était contentée d'une douche éclair, d'un jean et d'un haut sommaire puis s'était ruée dehors afin d'esquiver sciemment toute tentative de communication de son aïeul.
Elle ne voulait plus penser à tout cela et c'était bien mieux ainsi. Dans la rue menant à la rame de train, tout le monde semblait tendu. Sur les écrans géants disposés en ville, des troupeaux de curieux suivaient minutes après minutes le déroulement des reportages promouvant la sécurité d'Horizon.
La jeune fille se hâta et prit son transport afin de se rendre à l'université. Même dans le calme du wagon, avec ses disques auditifs sur les oreilles, elle pouvait apercevoir les visages crispés de ses semblables. Sion n'était pas si éloignée du mur au final... et il paraissait normal que la crainte s'insinue en eux.
Amélia avait, pourtant, étudié la vitesse de déplacement des Skryns. Compte-tenu de leur avancée et de leur soif de sang, les sirènes d'alarme de la cité auraient déjà dû être déclenchées si les tours radars avaient été averties d'une arrivée ennemie. On ne les avait pas prévenu, il était donc inutile de s'inquiéter.
En face d'Amélia, une petite fille de sept ou huit ans questionnait sa mère à propos de ces fameux monstres. La jeune femme qui devait avoir dans les alentours de trente ans essayait de formuler les réponses les plus claires possibles sans effrayer sa progéniture. Sans vraiment prendre attention aux paroles qui étaient échangées, Amélia replongeait lentement dans le passé.
Au gré de sa musique et des notes entrainantes, elle se revoyait au même âge sur les genoux de son père à lui poser mille et une question. Qui étaient-ils ? Pourquoi détruisaient-ils notre civilisation ? Pourquoi ne pouvait-on pas négocier ? Autant de questions que son père se posait lui-même.
Lui et sa mère étaient scientifiques militaires au sein des laboratoires d'Horizon. Bien que leurs expériences ne leur aient jamais demandé de se rendre sur le terrain, en zone hostile, ils avaient très souvent tenté le diable pour ramasser des échantillons ou prélever des matériaux touchés par les organismes Skryns.
Puis... ils eurent une opportunité. Une expédition devait être menée en dehors du mur dans l'une des anciennes villes de l'Humanité ravagée par les envahisseurs, supposée vide. Un très grand contingent de troupes y avaient été envoyé et l'on cherchait deux scientifiques téméraires supplémentaires pour suivre les militaires.
Bien que leurs confrères et amis aient refusés en majorité, eux, avaient immédiatement acceptés de s'y rendre. Leur plus grand rêve avait toujours été de percer le mystère de la pensée Skryns. Comment réfléchissaient-ils ? Quels instincts les guidaient ?
D'où provenait cette incroyable synergie entre les mouvements de ces êtres qui, un jour, s'étaient écrasés depuis l'espace sur la planète Terre ? Afin de percer ces mystères, ils s'étaient portés volontaires pour ce voyage... duquel ils n'étaient jamais revenus.
Avaient-ils été tués ? Sûrement, oui, même si aucune information officielle n'avait jamais été donnée concernant le retour de leurs corps. A cette époque, un terrible sentiment avait animé la jeune adolescente en devenir. Un malaise profond et silencieux. Elle avait su, d'elle-même, que ses parents avaient disparu.
Repenser au passé tira quelques débuts de larmes à Amélia qui se plongea toujours plus loin dans sa musique pour ne pas avoir à affronter ses propres souvenirs. Il y eut un arrêt, la petite fille et sa mère descendirent. L'adolescente se sentit presque soulagée.
Elle regarda Sion défiler devant elle quand le train reprit sa course. Il faisait beau aujourd'hui, une excellente journée pour étudier. Ses idées furent chassées par la simple pensée de la connaissance à sa portée et du spectre bienveillant de l'Empereur protégeant ses concitoyens.
Il n'y avait nulle raison de s'inquiéter, nulle raison de pleurer. Servir l'Humanité était le plus grand de tous les privilèges, mourir pour elle, le plus grand des honneurs.
A peine eut-elle posé le pied dans les grands jardins de la cour de l'université qu'une main lui attrapa l'épaule pour la retourner.
- Amélia ! Oh ... Amélia... ! Amélia, tu m'écoutes quand je te parle ? S'exclama alors une voix masculine, la tirant de ses pensées.
- Aito... J'étais dans mes rêves... Tu m'as parlé ? Je viens d'arriver. Dit-elle avec une petite voix fluette qui ne lui ressemblait pas vraiment.
- Un peu, que je te parle ! T'as encore mis ta musique trop forte... J'ai pas arrêté de te parler depuis trois bonnes minutes. A quoi tu penses pour pas m'entendre ?
- Je ne sais pas vraiment. Elle gratta sa tempe et tortilla ses cheveux, machinalement. Peut-être que je me suis moi-même perdue dans mes pensées.
- Je comprends, surtout après ce qu'on a appris ce matin. Horizon, tout ça. C'est difficile pour toi, n'est-ce pas ?
- On peut ne pas en parler ? Gronda Amélia.
- Comme tu veux. Pour changer de sujet, tu es au courant ? Nos cours ont été modifiés, encore.
Ils se mirent à marcher en direction de l'amphithéâtre où serait dispensée la prochaine conférence à leur attention. L'adolescente fut interloquée par ce qu'elle venait d'apprendre.
- Comment ça, modifiés ?
- Tu as oublié de consulter tes mails ce matin ?
- C'est probable, oui... Elle hocha positivement la tête, attrapant son bras gauche avec sa main droite. Chassant les pensées qui tentaient de lui parasiter l'esprit.
- Et bien, personne ne sait de quoi nous allons parler ce matin. Le thème du cours a été modifié. A la base, c'était "Science de la politique" et c'est tout bonnement devenu "Conférence".
- Conférence ? Ça ne veut rien dire, en soi.
- Je suis bien d'accord. Il acquiesça d'un mouvement de tête. De toute façon, il nous serait bien difficile de faire des hypothèses dans l'état actuel des choses.
- Probablement... Répondit-elle passivement.
Un savant mélange de curiosité et de peur enserra Amélia alors qu'ils pénétraient dans l'amphithéâtre déjà bien rempli. Quelque chose d'inquiétant flottait dans l'air. Une sorte de tension que tout un chacun pouvait ressentir mais que l'on faisait semblant d'ignorer avec politesse...
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Hellions : partie 1
Science FictionUn monde parfait. Un quotidien idyllique. Une jeune fille insouciante. Une tragédie. A une époque où la technologie frôle le fantastique et où les normes segmentent la société selon un équilibrage presque parfait, certains se plairaient à dire que l...