Amélia marchait presque lascivement dans les longs tunnels parcourant les entrailles de la structure métallique souterraine qui lui servirait désormais de maison. La disposition du Centre lui devenait familière car elle suivait souvent le même schéma. Ses constructeurs avaient véritablement eu l'envie de séparer chaque morceau du complexe par des étages différents certainement pour les protéger au cas où un soucis éclaterait dans l'un d'eux. Il suffisait de paralyser les allers-venus vers un niveau pour en empêcher l'accès ou la sortie. Ingénieux pour contenir une crise, s'il y en avait une.
Lorsqu'elle eut enfin accès à l'un des ascenseurs, elle pianota sur l'écran tactile, demanda la fermeture de la porte puis envoya son transport en direction de l'étage S-04 comme Allen l'avait exigé. Plus lent qu'à son habitude, le tube semblait s'enfoncer dans les profondeurs mais la jeune femme ne prêta aucune attention aux tumultes du voyage. Elle réfléchissait aux nombreuses questions qu'elle poserait une fois sa destination atteinte. Aurait-elle seulement l'occasion d'en poser ?
Certes, il avait demandé un rendez-vous. Mais à aucun moment il n'avait suggéré l'idée qu'elle puisse discuter ou le questionner. Ceci étant dit, il était de loin le hellion le plus loquace et le plus amical qu'elle avait rencontré et elle ne se priverait pas de la relative sécurité qu'offrait une discussion avec lui. Ses pensées s'arrêtèrent sur Ith. Elle ne parvenait toujours pas à expliquer cette sensation de terreur que sa simple présence lui avait imposée ou même, cet appel qui l'avait conduite jusqu'à lui. Elle se sentait dépassée, et de loin, par ces êtres exceptionnels.
Pouvait-on envier leur sort ? Ils disposaient d'un potentiel échappant à la compréhension scientifique de l'Homme mais n'étaient finalement rien de plus que des armes isolées soigneusement rangées sur un râtelier en l'attente de leur funeste jour de sortie. Les hellions étaient un paradoxe en eux-même. Libérés des entraves de leur condition mortelle pour devenir les esclaves de ceux qui les ont créés. Était-ce un comble ? Amélia ne savait plus trop quoi en penser. Ith n'avait pas l'air d'un prisonnier et semblait avoir un plein contrôle sur la situation.
Il lui manquait une partie du puzzle et elle se devait de l'exhumer avant que les véritables ennuis ne commencent. Le temps était compté, bientôt, on leur imposerait sans doute de se transformer et elle voulait découvrir ce qui l'attendrait avant de prononcer le "oui" final, si jamais on lui offrait le choix. Le tintement de l'ascenseur la fit sortir de sa transe et les portes s'ouvrir sur ce que l'on aurait pu décrire comme un tunnel sordide. Celui-ci lui rappelait énormément le couloir qu'elle avait emprunté à Noth avant de déboucher sur la salle étrange où Ren l'avait sauvée.
Ses pas résonnaient sur le sol froid et lisse qui s'étendait à perte de vue devant elle. Amélia avançait sans grande conviction et s'étonnait du manque de luminosité. Seuls quelques faibles néons au plafond offraient une source de lumière suffisante pour poursuivre sa marche. Sur les côtés, des portes scellées et verrouillées qu'elle ne souhaitait pas vraiment ouvrir. Cet étage semblait oublié, perdu et ignoré de tous. On n'y trouvait pas la moindre trace de poussières ou de délabrement. Tout était à sa place. Tout était lisse. Tout dormait en l'attente d'un réveil qui ne viendrait probablement jamais.
Arrivée à un croisement, elle s'immobilisa et attendit. Rien ne semblait indiquer quel chemin prendre et elle espérait voir Allen surgir d'un moment à l'autre ; quoi que son apparition dans un lieu aussi sombre deviendrait rapidement anxiogène. La jeune fille déglutit en comprenant dans quelle sordide piège elle était peut-être tombée. Rien ne lui permettait d'affirmer qu'il s'agissait bien d'un allié. Avait-il parlé de Ren a dessein pour l'appâter ici, éloignée de tous ? Elle se retourna pour vérifier la distance qui la séparait de l'ascenseur et fut terrorisée lorsqu'elle ne vit qu'un long couloir sans fin s'étaler devant elle.
Elle n'avait pas pu parcourir un trajet aussi long. Où était donc passé son unique moyen de sortie. Elle s'adossa au mur et calma son rythme cardiaque, il devait y avoir une explication logique. Il le fallait. C'était même nécessaire. Quel chemin prendre ? Elle entendit comme un petit sifflement venir du chemin à sa droite. C'était un son harmonieux qui ressemblait à un habile mélange entre une mélodie chantée et un air de flûte que l'on aurait émincé pour en extraire l'essence profonde. Comme attirée, la jeune femme s'engouffra dans cette allée. Elle devait avancer. Sa frayeur allait en grandissant et l'idée de rester immobile la répugnait.
Pourchassant ce bruit sans relâche, raccrochant ses espoirs à celui-ci, elle se perdit progressivement au gré de ces pérégrinations interminables au milieu d'un dédale de couloirs similaires aux apparences semblables et à la linéarité effrayante. Passé une demi-heure, la jeune fille s'était laissée choir à terre et reprenait son souffle. La mélodie ne cessait pas de hanter ses oreilles et Amélia comprenait alors sa méprise. Là où elle avait vu un espoir... peut-être n'y avait-il qu'un piège ? Cet endroit n'avait pas de sens. Cet étage était un véritable labyrinthe au sein duquel elle ne pourrait retrouver son chemin. Elle se laissa aller à une certaine léthargie et ferma les yeux quelques instants pour reprendre ses forces.
Lorsqu'elle les rouvrit, la mélodie avait disparu et elle était étendue comme un vulgaire sac sur ce qui s'apparentait à un lit de camp inconfortable au fond d'une petite pièce exigu au centre de laquelle un homme assis sur une chaise la dévisageait avec un œil acéré. Elle se redressa, colla son dos au mur et le fixa. Elle reconnut Allen lorsque ses yeux se furent habitués à la faible luminosité de l'endroit générée par une ampoule en mauvais état suspendue au centre du plafond. Un rapide tour d'horizon lui permit de reconnaître une disposition des lieux quasi-semblable à sa propre chambre au Centre.
Ici, cependant, tout n'était que ténèbres, désolations et ruines. Le mobilier n'était pas en état de fonctionner et on devinait sans mal que si cet endroit avait été une chambre, il ne l'était plus depuis des lustres. A moins qu'elle ne soit habitée par une personne peu soucieuse de l'état de ses affaires. Elle revint rapidement à son observation du jeune homme au bandeau. Allen. Il était apparu bien amical lors de son arrivée mais ici, et maintenant, il ressemblait à une entité tout droit venu des confins cauchemardesques d'un esprit malade.
Il était vêtu d'une tenue noire peu reconnaissable, Amélia ne put décerner qu'un écusson argenté sur son sombre haut. Le même blason que celui du manteau de Ith. Sans savoir vraiment pourquoi, elle se félicita que ça soit le cas. Ce soleil d'argent et ses deux lames étaient désormais assimilés à autre chose que des problèmes imminents. Tout du moins, elle ne les reliait pas aux Spectres et cette seule donnée la réconfortait.
- Comment suis-je arrivée ici ? Demanda-t-elle machinalement, son interlocuteur haussa les épaules.
- Cette question était attendue et n'est pas véritablement pertinente. Le plus important n'est pas de savoir comment tu es arrivée ici mais bien que tu y sois parvenue. Non ? Il esquissa un sourire, Amélia gronda.
- Cet étage est un non-sens... c'était un labyrinthe sans fin. C'est toi qui a fait tinter cette petite mélodie ? Le jeune homme sourit à nouveau, laissant furtivement apparaître un air pour le moins satisfait.
- Tu l'as donc entendu, fascinant. Tu n'es pas une adolescente comme les autres, Amélia.
Elle ne répondit pas et le fixa. Lui aussi la trouvait différente. Mais en quoi ? Les examens médicaux hors normes. Ith, puis Ren, venant à son secours. Une survie miraculeuse et une impression de déjà vue un peu trop prononcée envers certains hellions. La rencontre avec le Professeur Kain qu'elle idolâtrait tant. Et maintenant la mélodie de l'étage labyrinthique. Elle prit le temps d'imposer un silence avant de poursuivre.
- Je suis venu à la recherche de réponses, Allen.
- J'en suis bien conscient, Amélia. Je vais t'apporter quelques éléments de compréhension. Mais avant que je ne te parle, tu vas devoir faire un marché avec moi. Il y a quelque chose que tu vas devoir me promettre en échange des précisions que tu entendras.
- Quoi donc ? Quel est ton prix ? Demanda-t-elle, empressée et renfrognée que l'on joue ainsi avec ses nerfs.
- Quand tu quitteras cet étage, tu ne devras plus chercher à contacter le Spectre que tu appelles Ren.
Les yeux d'Amélia s'écarquillèrent. Allen sourit. Le silence s'imposa.
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Hellions : partie 1
Science FictionUn monde parfait. Un quotidien idyllique. Une jeune fille insouciante. Une tragédie. A une époque où la technologie frôle le fantastique et où les normes segmentent la société selon un équilibrage presque parfait, certains se plairaient à dire que l...