- Vous en faites une tête. Grogna Baalh en fixant les deux amis silencieux, incrédules.
- Il n'y a pas de quoi être tétanisés, oy' ... un peu de nerf, ce n'est pas le genre de propositions que je fais tous les jours. Alors quoi ? C'est fini ? Vous avez perdu votre langue ?
Malgré les grognements du colosse, ni Dante, ni Seth ne parvinrent à répondre. L'un comme l'autre demeuraient interdits, la possibilité d'intégrer une force d'élite comme les Spectres ne leur avait jamais traversé l'esprit ... et pour cause étant donné les rumeurs qu'ils avaient pu ouïr à leur sujet. Plus vif que son compère, Dante prit finalement la parole et s'avança d'un pas pour faire face au géant.
- La proposition est alléchante. Pourquoi devrait-on adhérer à un groupe de tueurs froids dans votre genre ? Lança-t-il subitement, sans filtres. Baalh croisa les bras.
- Qu'est-ce qui te permet de garantir que ce que tu as entendu est vrai ?
- Ton attitude avec mon frère d'armes ici présent, peut-être ?
- Connerie. Ce n'est pas parce que je me suis montré dur et impitoyable que les Spectres sont une bande de sauvages. Crois-tu que ceux qui vous ont raconté ces âneries n'ont aucun intérêt dans l'affaire ? Nous sommes moins nombreux. Nous sommes moins loquaces. Nous sommes moins exposés à la lumière. Mais nous sommes le corps d'élite le plus habile et le plus puissant de ce foutu Centre.
- Comment peux-tu l'affirmer ? L'interrogea Seth en se plaçant à la hauteur de Dante.
- Les Fantômes recrutent leurs membres à travers une sélection physique et mentale mais leurs règles sont souples, effritées, laxistes. Les Spectres sont différents, si nous ne sommes que sept aujourd'hui c'est parce que nous avons gagné nos places. Chacun d'entre nous a souffert et a versé son sang pour endurcir son esprit. Le Venom est un poison et ce poison peut vous détruire. Seuls ceux qui ont expérimenté la possession et en sont revenus peuvent joindre nos rangs.
Les deux amis échangèrent un regard. Dante pinça son menton, perplexe. Baalh s'exprimait sur un ton presque solennel et on ne détectait pas la moindre trace de mensonges sur son visage ou dans sa voix. On ne pouvait pas attendre d'une telle masse de muscles vivantes un trait de finesse encore que ... il ne savait pas quoi en penser. Le terme "possession" l'intriguait par ailleurs mais il conserva ses questions pour plus tard et laissa le géant finir.
- L'Humanité est aujourd'hui bridée, confinée, dépossédée de ce qu'elle avait autrefois. Nous nous battons contre un ennemi innombrable que nous comprenons mal. Il n'y a pas cent façon de gagner la guerre dans laquelle nous sommes embourbés depuis des siècles. Nous qui avons le pouvoir de combattre l'adversaire, nous devons agir. Les Spectres ont choisi leur façon de voir la chose : "Tout pour l'Humanité". Nous sommes prêts à tout sacrifier et c'est ce qui nous différencie des Fantômes.
- Tout sacrifier inclut-il de laisser mourir des civils ? Des innocents ? Renchérit Seth, visiblement touché.
- Toute guerre possède son lot de douleurs, de souffrances et de sacrifices. Il y a des choix difficiles à faire mais nous les faisons.
- Cette logique est dangereusement inutile. Le sacrifie aveugle n'entraîne que plus de morts et de désolations ! Répliqua le jeune homme, haussant progressivement le ton à l'encontre du hellion.
- Parce que l'altruisme à outrance qui condamne l'Humanité à toujours reculer pour protéger, à toujours glorifier la moindre action faible par égalité et à toujours refuser de perdre pour gagner davantage est une meilleure logique ? Regarde où ça nous a mené. Nous vivons derrière un mur et nous sommes confinés dans des villes fortifiées. Aujourd'hui, ces cités s'effondrent et les skryns se répandent dans notre territoire. Vois-tu où cette politique minable nous a mené ? Rétorqua Baalh, sa voix se faisant plus forte et plus assurée sans être écrasante.
Les deux garçons sentirent facilement le poids de ses convictions et pour la première fois, le colosse sans âme leur apparu au contraire bien humain. Les cicatrices sur son visage témoignaient des horreurs qu'il avait vécu et ses yeux sombres ne laissaient aucune place au hasard en ce qui concernait son implication dans d'âpres batailles. Ce corps surpuissant et cette volonté de fer étaient le bras armé d'une civilisation qu'il avait juré de protéger. La réalité semblait être plus complexe que celle qu'Allen leur avait suggéré.
Tandis que Seth grondait tout en cherchant des arguments pour étayer son propos, l'esprit fin de Dante poursuivait ses réflexions. Prendre Allen pour argent comptant dès le départ sur seule base que Baalh était une montagne de muscles sanguinaires avait peut-être été un brin hâtif de leur part. Il y avait vraisemblablement de quoi s'interroger et même si l'on pouvait trouver le raisonnement des Spectres réducteurs ou dangereux, il s'agissait d'une façon de pensée cohérente. Pourquoi Allen avait-il tant souhaité les diaboliser ?
Plongé dans ses réflexions, le jeune homme occulta la fin du débat opposant son camarade à Baalh. Finalement à court d'arguments, Seth avait renoncé à la défense de son point de vue pour reprendre une discussion plus calme qui capta l'oreille de Dante.
- Si nous acceptons. Qu'est-ce que cela implique ? Demanda-t-il.
- Dans un premier temps, si vous survivez à votre métamorphose, je m'occuperai de vous aider à maîtriser et développer vos nouvelles capacités. Une fois ceci fait, nous aviserons avec le capitaine des Spectres pour votre intégration.
- Il possède un droit de veto j'imagine. Poursuivit Dante.
- Dans les faits oui mais il n'a jamais eu à s'en servir, lui parler suffit aux plus faibles pour déguerpir. Ce n'est pas un hellion comme les autres.
- Comment ça ?
- C'est difficile à expliquer, je pense qu'il faut le connaître pour appréhender la chose. Quoi qu'il en soit, la proposition est posée. C'est à vous d'accepter ou non. Vous me trouverez facilement, je suis en période de repos pour encore quelques jours.
Sur cette dernière phrase, le colosse pivota et se dirigea vers la sortie sans demander son reste. Dante et Seth s'assirent et débriefèrent longuement de ce qu'il venait de se passer. De toute évidence, les choses commençaient à bouger et leur statut de "cobayes" évoluait petit à petit. Bien vite, la conclusion logique leur vint : on leur demanderait de choisir un camp. Les tensions en Spectres et Fantômes semblaient plus profondes qu'ils ne l'avaient pensé.
Les raisons de cette fracture leur importait, pour le moment, peu. Une seule chose comptait : leur place. Et bientôt, ils seraient à la croisée des chemins.
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Hellions : partie 1
Science FictionUn monde parfait. Un quotidien idyllique. Une jeune fille insouciante. Une tragédie. A une époque où la technologie frôle le fantastique et où les normes segmentent la société selon un équilibrage presque parfait, certains se plairaient à dire que l...