Les commentaires de la présentatrice se résumèrent petit à petit à un vague écho. Les Immortels sur le balcon semblèrent parler entre eux. Leurs gestes et leurs faciès, bien que filmés de loin, ne trahissaient aucune compassion. Pas la moindre empathie. C'est alors que survint l'ordre tant attendu. La journaliste s'exclama, et la jeune fille n'entendit que ses derniers mots : "la loi s'appliquera."
Les yeux de l'adolescente s'ouvrirent en grand, sa tasse ne quittant pas ses lèvres alors qu'elle observait les fusils se braquer et tirer sur les manifestants. Dans un chaos sans nom, les pauvres erres fuyaient. Certains tombant et se faisant piétinés par leurs congénères. La horde d'énervés se dissipa lentement.
Presque mal à l'aise, elle eut à peine le temps de se forger un avis clair lorsque la télévision se coupa brutalement. Elle tourna la tête et observa le sourire chaleureux de son grand-père se poser sur elle. Soixante-cinq ans et pourtant, il ne les faisait pas. C'était un homme assez petit, environ un mètre soixante-dix et des cheveux gris très courts.
Des yeux couleur amande ayant conservés leur fougue malgré les années passées ornaient un visage entouré d'une légère barbe grise. Il vint tapoter la nuque de sa petite fille du plat de sa main gauche, s'asseyant doucement à son côté.
- Ce ne sont pas forcément des choses à regarder dès le matin. Dit-il avec un air un peu suspicieux.
- Peut-être bien, oui. Elle prit une gorgée de thé. J'étais absorbée par ces gens... pourquoi ont-ils tellement envie de défier les lois ? Pourquoi y'en a-t-il encore capables de se plaindre ?
Son grand-père replia ses lèvres et observa l'écran désormais noir incrusté dans le mur. Il prit quelques instants de réflexion et s'exprima avec une voix calme.
- Tout n'a pas toujours été aussi simple qu'aujourd'hui. Certains estiment que le Nouvel Empire ne nous accorde pas assez de libertés.
- Ils devraient vivre dans leur temps. Tout se passe si bien que je ne vois pas pourquoi ils ne demeurent pas à leur place. Grogna-t-elle, terminant son breuvage puis posant la tasse avec un air assuré.
- Pourquoi es-tu si catégorique ? Son aïeul joignit ses mains devant lui.
- Parce que si l'on se divise, la Terre ne sera jamais sauvée. Nous avons tous un rôle à jouer dans la société. Notre objectif commun devrait être de reprendre le contrôle de notre monde. Rien de plus.
Alors qu'il observait la fougue et la flamme de la jeunesse de sa petite-fille, le grand-père étouffa son sourire par un soupir. Il lui prit l'épaule.- Tu sais Amélia, ma crainte, c'est de te voir prendre tout cela à la légère. Il est bien des choses que tu ignores encore. Elle roula des yeux et se releva, sortant son smartphone de la fente dans laquelle elle l'avait laissé.
- J'en sais assez, crois-moi. Elle sortit de la pièce sans en demander plus. Le vieil homme avala sa salive et resta seul. Il tapota ses doigts sur la table, elle grandissait bien vite.
Il était difficile d'élever sa petite-fille fruit d'une époque si différente de la sienne. Les images de la misère et de la lente reconstruction de l'Empire résonnaient dans le cœur de celui qui avait vécu l'après-guerre.
De son côté, Amélia enfila ses baskets rapidement. Elle attrapa son sac que Thron avait pris soin de préparer et de pendre au porte-manteau devant l'entrée puis sortit. Sans vraiment repenser à ce qu'elle avait vu à l'écran, elle débuta sa marche jusqu'à l'arrêt du tram automatique.
Habitant dans un petit pavillon résidentiel soigné au voisinage de bonne compagnie, elle avait la chance de faire partie des classes sociales supérieures. Sans être passablement fortuné, son grand-père avait à lui offrir une maison pourvue d'un confort technologique sans précédent ainsi que d'un jardin où passer du temps durant les beaux jours.
Fouinant dans son sac, elle sortit une paire de lunettes noires qu'elle enfila pour se protéger du soleil. Comme elle l'avait pressenti, la chaleur se faisait pesante, sans être insupportable. Au creux de sa main, son smartphone. Une petite pression sur le côté fit émerger deux petits disques argentés.
Attrapant le premier, elle cliqua sur le bouton en son centre et le dispositif doubla de diamètre entre ses doigts.
Le plaçant à son oreille, elle n'eut qu'à sélectionner le bon menu sur son téléphone pour que la musique inonde son esprit tel un baume vivifiant. Le second disque en place, elle se sentit disparaître. Les notes avaient pour précieuses qualités de la transporter dans ses rêveries fantastiques.
Marchant comme une automate, elle se figea à l'arrêt disposé huit-cent mètres plus loin. Lorsque le transport arriva enfin, Amélia s'y glissa furtivement. Sans prendre la peine de s'intéresser aux individus l'entourant, elle trouva une place confortable à côté d'une fenêtre.
Le paysage défila devant ses yeux durant les vingt minutes de trajet. De pavillons en pavillons, elle quitta les banlieues aisées et son regard fut enfin attiré par les grattes-ciels de la cité de Shion quand le tram pénétra enfin dans cette dernière.
Depuis les hauteurs du couloir de passage du tram, elle put observer la fourmilière. En haut, comme en bas, des routes suspendues. Se croisant, se dispatchant. Dans les immeubles comme dans les bâtiments les plus bas, des individus se pressant à leurs affaires quotidiennes. Le tout auréolé d'une harmonie aussi blanche que la couleur des buildings.
Tout apparaissait si brouillon et pourtant si organisé. Tout était à sa place. Les écrans géants laissaient les publicités les plus en vogues défiler tandis que les ascenseurs extérieurs, transparents, effectuaient des allers-retours effrénés vers les sommets.
Un petit sourire fendit le visage d'Amélia. C'est bien dans cette atmosphère qu'elle grandissait depuis dix-huit ans. Une sécurité omniprésente assurée par des cyborgs, des caméras et des drones. Un accès à l'information constant. Une connexion au réseau commun via son téléphone assurée en permanence.
Au gré des notes rock'n'roll, elle se surprit à s'enjouer de retourner à l'université un jour de plus. Elle souhaitait s'investir dans ces grandes citadelles blanches où, désormais, l'Humanité préparait les innovations de demain. Véritable adepte du calme tout relatif procuré par un environnement stimulant, vivre en banlieue lui devenait de plus en plus difficile.
L'accès à un jardin ne lui déplaisait pas, il est vrai. Mais elle disposerait de nombreux espaces verts en ville. Un effort considérable avait d'ailleurs été fait pour réaliser de multiples plantations dans les strates les plus basses des cités. Dans un soucis d'esthétique et de conservation de l'environnement.
Amélia fut tirée de ses songes par une sensation de descente inéluctable. Le tram quittait les hauteurs des couloirs pour retrouver le plateau de la cité dédié aux universités. Retirant les disques de ses oreilles, la jeune femme descendit pour se retrouver à quelques mètres à peine de l'entrée de son campus.
Elle prit une grande inspiration et ré-ajusta son sac sur son épaule avant de glisser sa main gauche dans sa poche. Elle approcha alors doucement du porche toujours gardé par deux cyborgs relativement massifs.
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Hellions : partie 1
Science FictionUn monde parfait. Un quotidien idyllique. Une jeune fille insouciante. Une tragédie. A une époque où la technologie frôle le fantastique et où les normes segmentent la société selon un équilibrage presque parfait, certains se plairaient à dire que l...