Le silence. Un doux et complaisant silence avait, enfin, envahit l'esprit tourmenté et le corps malmené d'Amélia. Elle en ressentait plus rien. Elle se sentait tomber lentement vers un néant salvateur qu'elle n'aurait jamais pensé entrevoir si tôt. Ses paupières closes semblaient impossible à ouvrir... était-elle en train de délirer ? Était-ce là une hallucination pré-mortuaire produit par son cerveau pour rendre sa disparition plus douce ? Se rajouta doucement une sensation de descente. La jeune femme eut la sensation de couler au cœur d'un océan sans fin dont elle ne reviendrait pas. Étonnamment, ses doigts se remirent à bouger et elle fut peu à peu capable de discerner un liquide froid tout autour d'elle.
Comme morte-vivante, elle put à nouveau éprouver l'état incertain de certains de ses muscles puis de ses os. Elle était bel et bien en train de sombrer la tête la première vers une abysse. Elle ouvrit les yeux. Ses cheveux blonds flottaient délicatement vers le haut où elle put apercevoir de maigres de soleil s'écrasant sur la surface de l'eau qui se faisait de plus en plus lointaine. Elle ne respirait pas, ou plutôt, elle ne respirait plus. Tout autour d'elle, dans les profondeurs, s'élevaient de grandes tours en ruines semblables à celles de Shion. Était-ce sa ville natale ? Pourquoi son cerveau avait-il choisi ce lieu pour tombe ?
A bien y réfléchir, elle avait tout perdu là-bas et peut-être, y était-elle morte au moment même où ce fameux tram s'était élancé dans le vide. Son corps avait survécu mais pas son esprit. Qui avait-elle été depuis lors ? Un concentré de ses pulsions et de ses passions. Une terreur blonde à la recherche d'une vengeance illusoire. Était-ce pour rappeler sa conscience à ses propres échecs qu'elle s'enfonçait maintenant dans un océan recouvrant les restes d'une ville qui fut sienne ? Après tout, c'était une conclusion logique. Elle tenta de respirer mais en fut incapable. Ses poumons, compressés, lui empêchaient tout espoir de survie. Elle cessa de lutter.
Accueillant à bras ouverts cette dernière vision océanique, elle tenta d'apprécier le contact de l'eau même s'il n'était que le fruit de son cerveau. A mesure que la lumière s'éteignait, quelques vagues sensations électriques vinrent piquer le haut de son corps. Était-ce là des électrochocs qu'on lui infligeait depuis la réalité ? Était-elle arrivé au point de non retour ? En un sens, elle s'était résolue à l'instant même où ses premières chairs avaient été arraché par l'abomination mécanique. Abandonnée et abandonnant, elle referma ses yeux, prête.
C'est alors qu'une voix spectrale semblable à celle d'un fantôme abominable vint tourmenter son esprit. Elle entendit chaque mot distinctement et la sensation que provoqua cette apparition dans ce lieu si calme la plongea dans un effroi immédiat.
- Est-ce tout espèce de faiblarde ? Que c'est pathétique. Ouït-elle.
Ses paupières se relevèrent à la hâte et eurent la surprise de découvrir un visage face au sien. Cette personne, si on pouvait la décrire ainsi, lui ressemblait comme deux gouttes d'eau à ceci près que sa peau était d'un noir muqueux semblable à celle des skryns. Ses yeux, blancs, laissaient échappés quelques filets d'une aura scintillante. Tout aussi nue qu'elle, l'entité semblait couler en même temps que la jeune fille. Sur son corps serpentait des miasmes et autres crevasses dont la luminosité s'éteignait à mesure qu'elles s'enfonçaient dans les ténèbres. Amélia aurait bien hurlé de terreur mais l'apparence de cette créature ne lui inspirait pas cette envie, elle fut plutôt intriguée mais ne suit quoi répondre.
- Est-ce tout ? Redemanda l'étrangère.
- Qu'est-ce que ça veut dire ? Répondit Amélia, instinctivement, retrouvant la maîtrise de sa bouche et de ses cordes vocales.
- Tu es en train de mourir.
- C'est donc bien ça... je suppose que c'était inévitable. Déplora la jeune fille, abattue.
- Si tu disparais, je subirai le même sort. Contrairement à toi, humaine pathétique, je veux vivre. J'y aspire depuis longtemps. Gronda l'entité en serrant les dents.
- Je ne comprends pas... tout est flou. Je ne sais plus.
Amélia ne parvenait pas à remettre ses idées en ordre, son cerveau lâchait prise et l'abandonnait. Qu'est-ce que tout cela signifiait ? Qui était cette créature ? Une hallucination ou bien autre chose ?
- Un esprit scientifique comme le tien aurait déjà dû comprendre. Je pensais que tu aurais davantage de volonté. La seule chose qui empêche ton corps de mourir, c'est moi.
- Toi ? Tu... Tu me gardes en vie... comment se fait-il qu-...
La situation devint clair en un instant. Forçant son intellect à reprendre le dessus sur le silence pesant qui était en train de la dévorer, l'adolescente put réfléchir à sa condition et trouva les réponses à ses questions.
- Le Venom. La fusion entre mes sens et ceux des Skryns. Tu es l'entité avec laquelle je suis censée faire corps. Je ne pensais pas que tu aurais une matérialisation concrète.
- Venom. Skryn. Ce sont les mots que tu emploies pour me définir ? Je ne suis pas limitée à ces simples choses. Crois-tu que la conscience puisse se résumer à des concepts de bêtes maléfiques ou de liquides obtenus à base de molécules extraterrestres ?
- Que veux-tu dire ?
Amélia sentit son corps s'éveiller petit à petit, l'échange inattendu et productif avec cette créature lui redonnait suffisamment de confiance et de force pour se maintenir dans cet océan. Elle cessa peu à peu de couler mais ne remonta pas pour autant.
- Je ne suis pas un skryn résiduel et je ne suis pas humaine. J'entends ton cerveau hurlant à l'abomination.
- Qu'es-tu alors ?
- Je l'ignore moi-même. J'ai la sensation de vivre et d'exister depuis des éons mais je n'ai jamais eu l'occasion de naître. Tout ça est trop complexe pour un esprit aussi émoussé que le tien.
- Je ne crois pas pouvoir survivre à la suite de l'opération. La douleur est trop forte, son seul souvenir m'étreint.
- As-tu toujours été aussi faible ? Quel manque de chance d'être tombée sur une limace de ton espèce. Les humains sont si fragiles.
- Que sais-tu des humains, toi qui existe sans jamais être née ?
Amélia et la créature commencèrent à s'enfoncer dans les ténèbres à nouveau. Le vide total, le noir absolu, se rapprochait à vue d'œil.
- Ce qu'il faut en savoir. Résurgence des molécules qui me composent et des souvenirs que j'ai trouvé en fouillant ta tête. Je ne tiens pas à disparaître avant même d'avoir pu m'exprimer. Je peux te faire survivre à cette épreuve.
- Survivre...
L'adolescente força sa concentration et la descente infernale cessa de nouveau. Cette chose tentait de la convaincre de se battre pour vivre. Était-ce un stratagème égoïste ? Sans doute. Sa nature même obligeait Amélia à considérer son existence comme une étrangeté imprévue. Que pouvait-elle en attendre ? Si la créature disait vraie alors elle pourrait peut-être survivre. Peut-être cette entité était-elle la clé de la réussite de la transformation en Hellion ? Accepter l'aide d'une chose que nul ne peut décrire. Un résidus de skryns humanisé.
Pouvait-elle seulement parvenir à résister ? L'opération devait en être à sa moitié et il restait encore tout un tas d'horreurs à affronter. La force colossale des Hellions, leur rapidité, leur endurance. Ces éléments étaient-ils tous liés à la chose qui avait élu domicile dans l'esprit des humains optimisés ? Sa soif de connaissance s'enhardit. Les skryns avaient-ils une conscience ? Cette improbable réplique alien de son corps était-elle un enfant hybride illégitime uniquement lié à elle ? Les questions s'enchaînaient. Amélia referma ses poings et accepta de retrouver ses sensations corporelles.
- Que dois-je faire ? Lança-t-elle à l'entité.
Les deux jeunes femmes se mirent alors à remonter doucement vers la surface.
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Hellions : partie 1
Science FictionUn monde parfait. Un quotidien idyllique. Une jeune fille insouciante. Une tragédie. A une époque où la technologie frôle le fantastique et où les normes segmentent la société selon un équilibrage presque parfait, certains se plairaient à dire que l...