Hellions : partie 1

Chapitre 4 - #12

Amélia quitta la salle commune, rapidement suivi par Sélène, pour se rendre vers l'aile ouest. La fameuse zone interdite. Là-bas, elle le savait, se trouvait le laboratoire de Kain mais aussi ses quartiers privés. Elle y avait bien réfléchi. Il n'était pas homme à quitter ses créations. S'il avait des locaux dans le Centre, ils seraient là-bas. Elle devait lui parler, elle voulait le voir. Peut-être pourrait-il lui en dire plus sur cette chose qu'elle avait vu.

Les deux jeunes femmes arrivèrent devant des portes massives en bois dépourvues de toute sécurité. Amélia ouvrit celle de droite et, ensemble, elles pénétrèrent dans une sorte de sas donnant sur une nouvelle double porte massive en métal. La démarcation avec le confort du Centre était clair. A partir d'ici, tout se résumait à la science. Elles approchèrent. Une petite lumière orangée scintilla subitement depuis un cercle situé au centre de la structure bloquant leur passage.

Comme attendu, l'hologramme de Jaëger fit son apparition et sa voix cybernétique retentit pratiquement au même moment.

- Mesdames Amélia et Sélène. Je ne vous apprends rien en vous disant que l'accès est réservé. Il n'est pas encore l'heure de la réunion. Veuillez retourner à vos occupations.

- Jaëger, tu ne peux pas avoir manqué les dernières informations. Tu sais que Cutter's Lane a été détruite et tes bases de données devraient te dire assez facilement que les skryns ne sont pas à l'origine de la catastrophe. Coupa Amélia.

- Analyses et théories font parties de mes fonctions. Je n'ai, en revanche, pas le loisir d'en discuter avec vous. Vous traversez sans doute une phase émotive. Cutter's Lane était importante à vos yeux.

- Il ne s'agit pas d'un caprice, Jaëger. Elle souhaite parler au professeur Kain rapidement. Répondit Sélène, posant une main protectrice sur l'épaule de son amie.

- Vous comprendrez que le Professeur a un agenda très chargé.

- Je vais aller droit au but, alors. Lorsque nous avons été envoyé à Noth, j'y ai vu quelque chose. Une créature. Un skryn non répertorié. Peu importe ce que c'était. Cette bestiole était bipède, Jaëger et à ma connaissance, personne n'en a parlé nul part. Alors je dois rapidement voir Kain car il se pourrait bien que ça ait un lien avec Cutter's Lane ! Aboya alors Amélia, l'hologramme disparut peu après.

Sélène ne put s'empêcher de soupirer. Ce n'était pas du soulagement mais bien de l'agacement. L'IA les avait abandonné à leur sort. Difficile d'imaginer qu'il soit vexé, avait-il activité un protocole d'urgence ? Probable. Elle détailla Amélia du coin de l'œil, celle-ci était crispée. Qu'avait-elle bien pu voir d'aussi atroce ? Elle souhaitait savoir.

Les minutes commencèrent à défiler sans qu'elles ne soient contactées, le temps commença à se faire long.

- Tu crois qu'ils ont laissé tombé ? Lança Sélène, distraitement.

- Non. Ils vont venir à nous, ça fait moins de dix minutes. Je sais ce que j'ai vu. Je resterai planté là pour le prouver.

- Tu ne t'es jamais dit que tu avais peut-être vu quelque chose que tu ne devais pas voir ?

- Comment ça ? Amélia la regarda, intriguée.

- Tu es arrivée par un moyen hasardeux dans un endroit censé être inaccessible et sous haute protection. Le cœur énergétique d'une cité. Tu y as vu une chose que personne n'a vu. Que même Ren, celui qui t'a sauvé, n'a pas vu. Tu ne t'es pas dit que lancer cette information te mettait peut-être en danger ?

Amélia hocha négativement la tête, elle ne pensait pas qu'une information tactique de cette ampleur devienne une gêne ici. Au fond, elle était destinée à servir l'Empire ou à mourir. Ses autres options s'étaient évanouies en même temps que ses contacts avec l'extérieur. Elle ne se voyait pas devenir la cible d'une méfiance ou d'une attaque quelconque. Sélène était trop suspicieuse à son goût. Après tout... que pouvait-on leur faire de pire ? Ils étaient condamnés. Tous.

Sélène tenta de rétorquer quelque chose mais un petit déclic attira leur attention. Le cercle métallique au milieu de la porte tourna, comme pour se déverrouiller, et les deux versants coulissèrent chacun d'un côté. Une petite brume fraîche se répandit aux pieds des deux jeunes femmes et atteignit brièvement leurs visage. Devant elles s'étendait un vaste couloir blanc duquel émergea Kain, les cheveux ébouriffés, des cernes sous les yeux. Il ressemblait à un mort-vivant.

- Par ici, voulez-vous. Leur lança-t-il, sans même les saluer. Elles prirent sa suite.

La température dans ce tunnel blanc était largement inférieure à celle présente dans le Centre, pour cause, chacune de leurs expirations relâchaient un peu de buée dans l'air. La sensation était la même qu'au début des Hivers, à l'arrivée du mois de Novembre. Pourquoi fallait-il qu'il fasse si froid ? Le couloir donnait sur des escaliers descendant un peu plus bas vers une sorte de petit amphithéâtre aux dimensions très rudimentaires comparativement à ceux des universités.

A leur gauche un autre escalier, plus petit, montait vers une plateforme permettant d'accéder à une pièce visiblement renfoncée dans le mur. C'est par là que le scientifique se dirigea. Le temps d'arriver en haut, d'insérer son passe dans le lecteur et le verrouillage de l'entrée était aboli. Kain fit entrer les deux adolescentes dans ce qui semblait être un bureau parfaitement banal à ceci près que des écrans pleins de données diverses jonchaient les murs.

Au centre, une grande table de métal affublée de plusieurs sièges dont le plus grand, noir, semblait recouvert d'une matière étrangement pâteuse, sûrement chauffante. Même s'il semblait que l'atmosphère soit plus clémente dans cette salle que dans le reste de l'aile ouest, il faisait tout de même froid. Était-ce vraiment ici qu'il travaillait ?

Le professeur leur fit signe de s'asseoir sur les chaises et passa de l'autre côté du bureau où il s'affala, littéralement, dans son siège. Tête contre le rebord haut de celui-ci et dos collé au dossier, décontracté. Il semblait terriblement fatigué. Amélia et Sélène prirent leurs aises sans se déconcentrer, personne ne savait vraiment ce qui pouvait traverser l'esprit d'un homme dont le génie approchait la folie.

- Veuillez pardonner mes airs fatigués. Mes nuits se révèlent plus productives que mes journées. Dit-il avant de bailler et de se redresser. Plaçant ses coudes sur la table, il joignit ses mains. Visiblement, tu as des choses à me dire, Amélia.

- Je ne souhaitais pas vous déranger mais après avoir ce qui est arrivé à Cutter's Lane... c'était la meilleure option. Expliqua-t-elle, presque confuse d'avoir dérangé cette sommité scientifique tout compte fait.

- Ce qui est arrivé là-bas est une tragédie, je suis navré si vous y aviez encore des proches. Nous ignorons quand s'est produit cette catastrophe. Les restes de la base n'ont été exhumé que récemment. Les protocoles impériaux sont un peu longs. Kain craqua sa nuque, reprenant en assurance, ses yeux détaillaient son interlocutrice avec une curiosité malsaine.

- Nous savons tous les trois que les skryns n'y sont pour rien. Lança Sélène, impétueuse.

Le scientifique ferma les yeux et dodelina positivement la tête. Il observa une minute de silence et de réflexion puis reprit.

- Les probabilités sont faibles, en effet, mais tout homme de science se doit de considérer de nouvelles possibilités. Si ce que m'a rapporté Jaëger est vrai... alors, Amélia, ton témoignage va peut-être briser certaines de mes certitudes. Je veux que tu me décrives très exactement ce que tu as vu, quand et comment.

- Je vais vous faire un rapport aussi précis que possible... tout cela ne m'est revenu que très récemment à la faveur des événements que je viens d'apprendre. Je ferai de mon mieux. Déclara-t-elle, fière d'être écoutée par cet homme qu'elle estimait tant.

- J'en suis convaincu. Dis-moi tout. Susurra-t-il tel un serpent prêt à bondir sur une proie.

Sélène eut un frisson. Était-ce la curiosité débridée de Kain pour les découvertes qui le rendait si malsain ou l'était-il de base ? Quelque chose ne lui plaisait définitivement pas chez cet individu. Amélia ne semblait pas déboussolée, elle était en train de réaliser un rêve de gamine : parler à la plus brillante figure scientifique de son siècle d'un sujet complexe en caressant l'illusion de pouvoir lui apprendre des données qu'il n'avait pas eu la primeur de toucher du doigt.

Elle débuta son récit avec tout le sérieux que Sélène lui connaissait et Kain fut, soudain, hypnotisé. Il se perdit allègrement dans les paroles de la jeune fille...