Lorsqu'elle se rendit compte qu'il s'était arrêté, Amélia cessa de courir et se mit à marcher. Ses muscles endoloris et ses blessures la lançaient sans discontinuer, elle ne voulait pas prendre davantage le risque de rouvrir ses plaies. A mesure qu'elle se rapprochait de son sauveur, elle put détailler plus longuement ses traits. Sa tenue n'avait pas changer. Son visage, lui, exprimait quelque chose qu'elle n'avait pas vu lorsqu'il était à Shion. On aurait dit une autre personne.
Ses traits étaient devenus durs et froids. Son sourire éternel de conférencier s'était dissipé pour ne laisser place qu'à une face terne. Les mains fourrées dans les poches latérales de son long manteau, il semblait la toiser avec une sorte de mépris. Non, pas du mépris. On aurait plutôt dit une étrange sensation de malaise doublé d'une certaine pitié. Était-ce tout ? Amélia arriva enfin à sa portée et le fixa, les yeux dans les yeux. Ses pensées se dissipèrent alors.
Amélia fut incapable de produire le moindre son et un silence pesant s'instaura. Elle fixa les iris de son sauveur sans parvenir à souffler la plus petite syllabe. Était-elle intimidée ? Son air fermé la rendait-elle nerveuse ? Retrouvait-elle ses vieux démons d'étudiante incapable de faire le premier pas. Elle sera le dent et continua à le regarder, entendant les pas de Sélène se rapprocher. Elle devait engager la conversation, maintenant.
- Merci. Eut-elle, enfin, la force de déclarer. Il ne répondit pas, la jeune femme poursuivit.
- Je me pensais perdue. Sans vous, je ne serai pas là pour m'inquiéter pour les autres encore allongés à l'infirmerie. C'est à vous que je dois la survie de deux camarades ?
- Oui. Répondit-il sobrement, elle ne se démonta pas et continua.
- Je tenais à vous remercier d'autant plus. J'ai beaucoup de questions pour vous... j'ai besoin de savoir.
- Quelle importance cela peut-il avoir ? Les traits de Ren se fermèrent davantage, essayait-il de la repousser ?
- Vous étiez à Shion, vous étiez un conférencier. Ne me mentez pas. Vous êtes à peine plus âgé que moi. Je vous ai vu repousser un skryn à main nue. Je vous ai vu esquiver ses attaques avec une vélocité complètement ahurissante pour finalement lui loger une balle en pleine tête, outrepassant la logique de ses réflexes. Amélia jeta un oeil à la main gauche de Ren, celle-ci était pourvue d'un gant normal, il n'y avait plus traces des étranges griffes de l'autre fois.
- Qu'est-ce que vous êtes ? Conclut Sélène, arrivant enfin tout près du duo.
Ren fixa les deux jeunes femmes avec un air suffisant, ses yeux se plissèrent et il sembla presque embarrassé. Amélia eut une étrange sensation, elle aurait juré qu'il avait envie de s'enfuir pour ne pas être vu. Pourquoi avait-elle cette impression ? Ce n'était pas de la peur qui semblait animer un tel homme. Mais alors qu'était-ce ?
- Je pense que des réponses vous seront apportées bientôt. Vous en avez trop vu, de toute façon.
- Comment ça "trop vu" ? Sélène croisa les bras, ferme.
- Je n'ai pas le loisir de vous en dire plus sans autorisation. Retenez simplement que si vous êtes en vie, c'est grâce à un concours de circonstances miraculeux. D'ordinaire, j'aurai dû vous laisser mourir. Ren eut un regard sombre à leur endroit mais Amélia ne s'y laissa pas tromper, il n'était pas sérieux. Du moins, elle en avait la conviction.
- Réponds au moins à cette question. Les fameuses "forces spéciales" dont on nous a parlé et que nous étions censés rejoindre. C'était vous ?
Le visage du jeune homme se ferma et ses yeux semblèrent s'écarquiller très légèrement. Venait-il d'apprendre quelque chose qu'il ignorait ?
- Que vous étiez censés rejoindre ? Qu'est-ce que tu veux dire ? Demanda-t-il, retirant sa main droite de sa poche pour venir attraper son propre menton, l'air songeur.
- On a envoyé en mission à Noth pour épauler les forces spéciales. C'est comme ça qu'on est arrivé sur place avec notre escouade. Poursuivit Sélène, dosant chacun de ses mots pour augmenter l'effet "dramatique" de l'annonce qui arrivait, enfin, à troubler le visage fermé de Ren.
- Es-tu certaine que tu n'as pas mal interprété tes ordres ?
- Je ne suis pas le genre de personne à modifier les demandes de mes supérieurs pour me créer une situation confortable. Je sais pourquoi nous sommes allés mourir sur le terrain. Alors, répondez maintenant. Qui êtes-vous vraiment ? Sélène défia ostensiblement le roux.
Amélia, de son côté, restait figée dans la contemplation du visage de celui qui lui avait sauvé la vie. On aurait pu le croire déstabilisé mais ce qu'elle avait d'abord pris pour de la surprise ou de la crainte n'était en réalité que l'expression plus subtile d'une pensée profonde. Ren n'était pas en train de s'inquiéter pour ce qu'il venait d'entendre. Son regard perdu dans le lointain trahissait un esprit vif et calculateur en proie au décorticage d'un millier de scénarios possibles. Il émanait de cette personne une sorte d'aura indescriptible, une puissante force d'attraction qu'elle était la seule, vraisemblablement, à ressentir.
Son corps tout entier n'était plus, à ses yeux, qu'un fabuleux objet d'étude et de mystères. Bientôt, les mots échangés entre Ren et Sélène perdirent leur sonorité et la jeune femme se perdit totalement dans les yeux raisins, dans les traits de son visage puis dans ses longs cheveux aux couleurs écarlates. Un frisson parcourut la colonne vertébrale d'Amélia lorsqu'elle se rendit compte que le début d'une cicatrice perlait au niveau du cou de son saveur, sur le côté droit. Elle était fine et à peine visible dû à son armure mais il n'en demeurait pas moins qu'elle était là. Cette constatation la ramena dans la réalité, Sélène semblait en colère.
- Nous avons le droit d'avoir des réponses ! Cessez de répéter la même chose en boucle, je ne m'en satisferai pas et je ne vous lâcherai pas.
- Tu devrais, pourtant, soldat. Je respecte mes ordres, je ne suis que trop resté. Ren se mit à pivoter et Sélène tenta de l'attraper, Amélia s'interposa et l'en empêcha.
D'un hochement négatif de la tête, elle fit comprendre à sa paire que le temps n'était pas à la rage mais bien à la réflexion. Dos à Ren, elle entendit ses bottes claquer au sol et son pas s'éloigner. Elle n'eut pas la force de le regarder tourner à l'angle du couleur, sans savoir elle-même pourquoi. Quand elle fut assurée qu'il soit loin, elle eut un petit regard vers sa comparse et lui adressa un sourire.
- Je pense que nous devrions attendre. Les réponses viendront.
- Tu lui fais confiance ? Maugréa-t-elle.
- Je ne sais pas. Je ne crois pas. Mais j'aimerai. Essayons de le faire quelques temps, nous lui devons la vie et je ne pense pas qu'un homme ayant pris la peine de nous sauver tous les trois ait un mauvais fond.
La discussion semblait reprendre un cours normal lorsqu'on entendit une alarme sonnée et une voix cybernétique féminine déclarer : "Tous les survivants de l'escouade S.03 sont désormais sous la procédure d'isolement 145-A. Tous les aspirants non internés à l'infirmerie sont priés de rejoindre leurs chambres en l'attente des prochains ordres."
Amélia et Sélène échangèrent un regard inquiet. De quoi s'agissait-il, cette fois ?
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Hellions : partie 1
Science FictionUn monde parfait. Un quotidien idyllique. Une jeune fille insouciante. Une tragédie. A une époque où la technologie frôle le fantastique et où les normes segmentent la société selon un équilibrage presque parfait, certains se plairaient à dire que l...