Chapitre 4 - #20

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Constatant leur remontée progressive, l'entité cligna ses yeux blancs nacrés et fixa Amélia sans rien dire. L'espace d'un instant, un bref sourire orna son visage déformée par la peau obscure suintante caractéristique des skryns.

- Tu as décidé de te battre, enfin. Quelle enfant capricieuse et ennuyante. Tu me remercieras de t'avoir sauvé la vie. Lança la chose avec un air satisfait et supérieur.

- Que dois-je faire ? Tu sembles avoir oublié ma question. Répondit Amélia, irritée.

- Reprendre connaissance et t'efforcer de résister à la suite cette opération. Mon sang envahit déjà le tien et nous sommes à présent liées. Je m'occuperai de te garder en vie. C'est de ta volonté que dépend notre survie. Expliqua l'autre, le sérieux reprenant le dessus et laissant transparaître sa rage de vivre.

- Et ensuite ?

- Tu m'appartiendras.

Amélia se sentit soudain consumée par une rage inextinguible. Cette maudite créature espérait-elle la duper et profiter de sa faiblesse pour envahir la moindre parcelle de son être ? Au fond, c'était bien là une digne tactique de skryn. Devant son silence, l'entité émit un rire.

- Pensais-tu naïvement que tout irait bien ensuite ? Je rêve de cette opportunité depuis mes premiers instants d'existence. En échange de ta survie, je prendrai ce qui me revient de droit. A savoir : toi.

- Tu n'es pas si différente des monstres que j'ai affronté et tué par le passé finalement. Si tu penses que je me laisserai faire alors tu risques d'être déçue. Je ne t'ai pas laissé m'arracher à une morte certaine pour m'abandonner à tes lubies corruptrices.

- Comme tu voudras. Tu auras ta guerre avec moi, humaine. Survivre est, cependant, notre objectif commun dans l'immédiat. Ton réveil est inévitable.

La jeune femme pencha la tête et put effectivement constater que la lumière salvatrice de la surface se rapprochait à vive allure tandis que leurs corps étaient tractés vers les hauteurs. Au bout de cette remontée se trouvait la suite de son opération et de ses tourments. Pouvait-elle seulement croire sa "jumelle" skryn ? Si cette entité était aussi vorace que déterminée alors elle ferait effectivement son maximum pour qu'elle s'en sorte. Amélia plongea ses pupilles bleutées dans les yeux blancs luisants de son homologue.

- Quel est ton nom ? Demanda-t-elle avec un sourire malicieux.

- Quoi ? Répliqua la créature, interdite.

- Je te demande ton nom. Tu dois bien en avoir un si tu es une entité consciente et unique. N'est-ce pas ?

- Mon nom ... L'entité se tût, réfléchissant. Elle reprit doucement la parole. Esath. Nomme-moi ainsi. Esath. C'est tout ce que ton misérable cerveau est capable de m'inspirer, humaine.

- Cela me suffit, Esath.

Amélia, reprenant le contrôle de ses membres, se libéra de l'étreinte glacée de l'eau. Elle pivota sur elle-même et s'élança à la nage vers la surface. Il n'était plus question de s'abandonner à l'étreinte du vide et du silence. Cette illusion de plénitude ne la délivrerai en rien et la ferai passer pour une lâche. Elle survivrait pour elle-même... et pour cette étrange créature qui partageait désormais sa vie. Elle serait une dangereuse adversaire mais aussi une source d'informations sans pareil. Survivre. Elle devait survivre. Elle sentit sa tête émergée et son esprit fut absorbé.

Lorsqu'elle releva ses paupières, Amélia découvrit des scientifiques paniqués s'affairant autour d'elle. "Elle est en vie !" entendit-elle proclamer non loin. Le réveil était rude. La douceur câline de l'eau fraîche s'était volatilisée pour se muer en une ineffable douleur. De part et d'autre de son corps, Amélia sentait tantôt des tubes ou des broches plongés dans ses chairs à vives. Dans son dos et sa nuque, les pattes mécaniques de l'araignée poursuivaient leur terrible besogne de reconstruction de ses tissus.

A mesure qu'elle émergeait, les sensations se firent plus précises. La première à l'envahir fut l'atroce intrusion en ses muscles et ses os provoquée par les appareils cybernétiques de la machine infernal qui avait pratiqué l'opération jusqu'ici. La seconde fut un sentiment libérateur lorsque les tubes maudits, qui avait amené Esath en elle, se retirèrent. Ce soulagement fut immédiatement suivi d'un hurlement de douleur. Les profondes attaches de ces engins laissaient désormais à nues des plaies béantes suintantes de sang et de fluides divers.

D'autres appendices de l'araignée prirent en charge ces abominables lésions à grand coup de brumes glacées, de sutures au laser et d'autres procédés qui rajoutèrent encore davantage de sang sur la table d'opération. L'adolescente tremblait et convulsait, la peine qu'elle ressentait avait à nouveau atteint un paroxysme encore jamais révélé mais quelque chose était différent. Une sorte de force, nouvelle et bienfaitrice, envahissait peu à peu chaque parcelle de son corps. Était-ce la fameuse aide promise par la créature ? Elle résistait.

Tout en remettant en état la majeure partie de son anatomie, l'araignée s'attaqua à ses extrémités : pieds et mains. Ceux-ci furent à leur tour assaillis par des lames d'une précision redoutable et par de longues aiguilles visant à bien démarquer chaque muscle, chaque tendon, chaque nerf. Cette agression violente des parties les plus sensibles de son anatomie ne laissèrent pas la jeune fille indifférente. Elle hurla à s'en décrocher la mâchoire et tenta de focaliser son esprit ailleurs.

Se questionnant à propos de cette torture imposée, elle finit par trouver la réponse à la question "pourquoi". Quelle genre de contrainte pouvait obliger Kain à les briser ainsi et à leur faire vivre un tel instant de pur sadisme ? Esath. Tout se résumait à Esath. Le Venom n'était pas uniquement un fluide malsain capable de muter un être humain en une fusion désincarnée avec un skryn. Non. Chaque portion du Venom possédait bien une créature en son sein. Chacun des hellions, lors de sa transformation, combattait aussi bien la douleur que cette première intrusion en son esprit.

Cette satané souffrance était à la fois là pour tester le cobaye mais servait également à focaliser la lutte des deux esprits en symbiose. Une anesthésie annulant la douleur revenait à faire confronter une psyché humaine affaiblie avec une dégénérescence skryn en pleine possession de sa vitalité. C'était donc ça. La réalité devenait limpide à mesure que l'adolescente éprouvait de nouveaux coups de scalpels. Elle tenta de les ignorer et chercha à réfléchir, toujours plus. Chacune des nouvelles tortures subies renforçait sa détermination à comprendre.

Le professeur Kain. Ses digressions s'arrêtèrent sur lui. Il était apparu tantôt comme un éventuel psychopathe ou comme un étrange père aimant à l'égard de ses précieux Hellions. Ceux qu'elles avait pu observer à ses côtés lui vouaient un respect sans borne. Il y avait de quoi et elle le comprenait enfin. Il ne les torturait pas et ne les testait pas pour le plaisir. Tout ce qu'ils avaient vécu aboutissait à cet instant où peine et volonté devaient se confronter. 

Kain. Un homme déterminé à sauver son espèce en livrant en pâture de jeunes gens sur l'autel de la douleur pour les aider à combattre un virus empoisonné grandissant en eux au travers du Venom. Et tout ça ? Dans le but de leur octroyer des dons surhumains avec lesquels ils vaincraient les envahisseurs venus d'au-delà des étoiles. Cette démarche ne lui plaisait pas, elle en était convaincue. Mais il s'agissait d'un sacrifice nécessaire. Oui, c'était un sacrifice. 

Les minutes défilèrent, le sang coula à flot. Bientôt, les dernières aiguilles furent arrachées et les dernières plaies suturées. Amélia sentit le dossier de la table d'opération se remettre en place et frissonna au contact de la surface gelée. Elle s'abandonna et sombra tandis que les scientifiques amorçaient la fin de l'opération. Plongeant dans les abysses de son propre inconscient, l'adolescente n'était pas dupe. Il restait une bataille à livrer.

Esath était là, quelque part. Prête.

Hellions : partie 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant