Lorsque la procédure d'isolement débuta, aucunes des recrues ne s'attendaient à ce qu'elle soit aussi longue. Prévue pour des cas de contamination skryns, cette méthode consistait en une savante mise à l'écart de chaque chambrée. Les initiées ne se retrouvaient presque plus entre eux et même les entraînements finissaient par être annulées. Amélia et Sélène ressassèrent des dizaines de fois leur expérience à Noth. Alors qu'elle s'était imaginée passer pour une folle, Amélia avait découvert en sa camarade une oreille attentive capable de se projeter et de croire sur parole ses témoignages.
Deux semaines et quelques jours après le début de l'isolement, un androïde vint prévenir les initiés qu'une conférence était organisée au niveau habituel aux alentours de dix-huit heures. Ils se hâtèrent de se rendre sur place, armés de questions qui méritaient des réponses. A leur entrée dans la salle de conférence, ils purent découvrir le général Harth, un air grave planté sur le visage. Un à un, ils prirent place dans les sièges prévus à cet effet. Amélia et tout son groupe habituel se disposèrent au plus près du gradé qui les observa avec une mine désolée.
Lorsque chacun fut prêt à écouter et que le silence fut installé, Harth activa le tableau derrière lui qui afficha un plan de la cité de Noth. Sa prise de parole ne fut pas hostile, ni autoritaire et encore moins vindicative. Le vieil homme était triste et sincère. Ses mots, comme soufflés par son cœur engourdi, résonnèrent dans les âmes de ses recrues. Au grand jamais, ils n'auraient cru pouvoir entendre ce qu'il s'apprêtait à leur dire.
- Recrues. Je vous présente mes excuses les plus sincères. Pour cette boucherie et tout le reste. Intrigués, ils se dévisageaient tous les uns après les autres. Amélia observa Dante dont l'œil gauche était désormais paré d'une balafre verticale rejointe par deux cicatrices en croix sur la joue.
Le silence de mort qui régna après cette première déclaration mit l'assemblée mal à l'aise. Deux semaines de quarantaine et d'isolement, peu de contacts les uns avec les autres. Pas d'explications fournies. Et aujourd'hui, ça ? Amélia osa élever la voix pour tous.
- Mon général. Des excuses, oui. Mais pourquoi ? Que s'est-il passé ?
- Je n'irai pas par quatre chemins. De mon point de vue... quelqu'un a fait en sorte de vous envoyer sur une mission bien trop importante et dangereuse pour vous. Dante haussa alors le ton.
- Expliquez-vous, mon général. On nous a envoyé là-bas pour mourir ? Demanda-t-il en grinçant des dents.
Harth ouvrit la bouche pour répondre lorsque la porte d'entrée coulissa brusquement. Trois personnes entrèrent. En tête file, un scientifique à la longue blouse immaculée, aux lunettes épaisses et au sourire mesquin. Il était suivi de deux personnages pour le moins atypiques, vêtus d'armures sombres et drapés dans de sombres manteaux qu'Amélia reconnut sans difficultés. Les deux garde se placèrent de chaque côté de la porte qui se referma.
A droite se trouvait une jeune fille d'apparence plus jeune que le groupe de recrues. Elle possédait un visage en amande, enfantin. Autour de son cou trônait un sobre collier noir à pics et sur sa tête était fixée des lunettes pour le moins extravagante rappelant un style steampunk qu'Amélia avait découvert en feuilletant les archives du 21ème siècle. Ses cheveux noirs, coupés en dégradé, étaient pourvu de petites mèches rouges lui donnant un air insolent. Il émanait de cette jeune fille quelque chose d'étrange, une sorte de paradoxe entre l'innocence et une sensation de danger mortel. Incapable de trouver la source de son malaise, le regard d'Amélia se porter sur l'autre.
A gauche, impérial et mains jointes devant lui, se tenait un homme à l'apparence filiforme. Plus ou moins de la taille de Dante, il se démarquait de sa paire par une chevelure extravagante coiffée en pics et teinte dans un bleu hivernal peu recommandable. Son visage allongé lui donnait un air de requin et un tatouage sur sa face droite semblait représenté quelques étranges motifs tribaux. Une extrême froideur se dégageait de sa présence, personne ne souhaitait croiser son regard et aucun ne s'y risqua. Une aura meurtrière, dénuée de pitié, résonnait au sein de la salle.
Amélia avait beau tenter de se le cacher, elle ne put s'empêcher de faire le parallèle avec Ren. Ces deux-là possédaient les mêmes accoutrements que lui, pire encore, ils semblaient dégager le même mysticisme, la même fascination. Étaient-ils des amis à lui ? Des collègues ? Elle voulait savoir. De son côté, l'inquiétant professeur approcha du général qui déglutit en l'observant, il gronda presque.
- Kain. Je ne vous attendais pas. Dit-il à demi-voix. Amélia se figea à entendant son nom.
Kain ? Comme le Professeur Kain ? Cet éminent chercheur et grand génie de ce siècle qui dominait la scène scientifique depuis maintenant plusieurs années ? C'était bien lui, en chair et en os ? Difficile de le reconnaître sans ses costumes. Elle demeura absorbée par son charisme. Même son air malsain semblait disparaître en comparaison de la foi et de l'admiration qu'elle lui portait. L'inventeur de l'anti-gravité, un biochimiste et un expert en bio-technologie. Un homme dont la pensée s'étendait bien au-delà de ce qu'elle pouvait imaginer. Que pouvait bien faire une telle pointure de la science dans cet endroit. Il tapota ses mains en observant le général.
- Je me doute, que vous ne m'attendiez pas. Mais... je pense que je peux me charger de la suite. Non ? Il eut un sourire puis indiqua faiblement la sortie d'un geste de main. Le regard du général suivit cette dernière pour tomber sur les deux gardes en manteaux noirs qui l'observaient avec un air méfiant, voir menaçant.
Les recrues regardèrent le militaire le plus gradé de la base hocher positivement la tête puis se retirer sans plus de cérémonie. Aito plissa les yeux en voyant Kain désactiver le tableau. Il s'assit alors sur la table pour détailler toutes les têtes, une à une. Son regard, pourtant caché par ses lunettes, avaient une emprise quasi-démoniaque sur ceux qu'il contemplait.
- Une tragédie. Hm ? Un silence lui répondit, il passa sa langue sur ses lèvres.
- Une tragédie, c'est ce que vous avez vécu. Une erreur... monumentale de commandement. Quelque chose d'horrible, de scandaleux. Tellement de morts pour rien. C'est morbide, hein ? Il se mit à marcher autour de la table en parlant, ses mains frôlant les épaules des recrues avec une certaine indécence.
- Allons au but, non ? Plus de deux cent recrues sont mortes pour rien. On a découvert que les skryns étaient plus intelligents qu'on ne le pensait. On a été sauvé in extremis, dans notre cas, par un type capable d'esquiver un skryn sans matériel. On mérite des explications. Grogna Seth, sans prendre de gants. Il n'y avait pas de grades à respecter ici.
- Oui, c'est vrai. C'est vrai. Il retira ses lunettes, continuant ses rondes autour de la table. Le professeur sortit un mouchoir d'une des poches de sa blouse et nettoya ses précieux verres tout en poursuivant.
- Vous avez tous souffert, hein ? Shion. La perte de vos amis, de vos familles. Hm ? Difficile. La voix insidieuse du scientifique résonnait dans les cœurs et les esprits. Ses propos touchaient au but et ravivaient des souvenirs douloureux pour chacune des personnes présentes.
- Ensuite, ça. Cette tragédie qui vous a montré combien l'ennemi était fort. Vous avez vu vos amis. Que dis-je, vos frères et vos sœurs, mourir sans rien pouvoir faire. Terrible destin, hm. Il réajusta ses lunettes, en détaillant les réactions gênées ou colériques des survivants de Noth. Son petit sourire ne le quittait pas tant il semblait jubiler de toucher au but. Dante frappa du poing sur la table.
- Cessez. Vous avez des réponses, on veut les entendre. Maintenant ! Vociféra-t-il, Kain hocha la tête.
- J'y viens, j'y viens. Je suis ici pour répondre à vos questions, non ? Les skryns peuvent être tués, certains ici l'ont vu. Ils sont fort mais pas assez devant ma... création. Devant le projet d'une vie. Amélia se redressa pleinement, droite, et ouvrit grand ses oreilles.
- Aujourd'hui, je viens devant vous défendre ce projet afin que vous y adhériez. Un programme capable de vous propulser à l'avant-garde de l'Armée Impériale et qui vous donnera la force d'arracher la victoire aux mains du destin cruel de ce siècle immonde. Il revint en bout de table et croisa les bras, son ton était passé du mesquin au sérieux.
- Aujourd'hui, je viens vous parler du projet Hellions.
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Hellions : partie 1
Science FictionUn monde parfait. Un quotidien idyllique. Une jeune fille insouciante. Une tragédie. A une époque où la technologie frôle le fantastique et où les normes segmentent la société selon un équilibrage presque parfait, certains se plairaient à dire que l...