Chapitre 5 - #23

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Amélia s'était abandonné à la douce caresse de l'immensité de la lumière poursuivant son ascension vers le sommet sans discontinuer. Elle sentit soudain quelque chose enserrer sa cheville droite, l'empêchant d'aller plus haut. La jeune fille ouvrit ses yeux et baissa la tête. Esath, agrippé à terre, la retenait à l'aide de sa queue. La plaie béante dans son torse, visiblement en pleine régénération, ne retirait rien à l'étrange détermination qui animait son regard pétillant.

- Réveille-toi ! Qu'est-ce que t'attends, merde ?! Amélia ! C'est tout sauf le salut attendu ! Regarde ! Hurlait-elle à l'attention de sa jumelle.

De quoi parlait-elle ? Amélia tenta de lui répondre mais en fut incapable, sa bouche était close, maintenue muette par une mystérieuse force. Celle-ci étreignait tout son corps, elle le sentait maintenant. Cette chaleur, cette douceur. Il n'y avait pas que du bon dans cette aveuglante renaissance, non. Elle avait a nouveau été dupé mais par quoi et par qui ? Elle leva les yeux vers le plafond irradiant d'une aura nacrée. Elle n'y discernait ni le Nueh ni rien de physique mais elle y ressentait bien quelque chose. Esath venait de la ramener pour son plus grand bien. Amélia grinça des dents et força son corps à bouger, sa langue à se délier. Elle luttait contre une sensation difficile à appréhender.

Ce n'était pas une douleur, plutôt une gène. Celle-ci empêchait le fonctionnement normal de son organisme et lui prodiguait toujours davantage la sensation de chaleur qui l'avait conduit à s'abandonner mais en vain. Elle ne souhaitait pas devenir le pantin de qui que ce soit, surtout pas de son propre esprit. Au sol, Esath planta ses serres de son mieux pour tenter de retenir toujours davantage sa jumelle de l'emprise de cette terrifiante attraction qui s'accentuait à chaque instant. Il était hors de question d'être lésée par la perte de cette fille qu'elle avait fini par apprécier.

Dans un hurlement salvateur Amélia fut en mesure de reprendre partiellement le contrôle de son corps et apparurent, dès lors, des chaînes blanches tout autour d'elle. Plus étrange, l'une de ces dernières s'enfonçait profondément dans sa poitrine sans qu'aucune plaie ne soit visible. Ce fut la première qu'Amélia saisit d'une main faiblissante. De quoi s'agissait-il ? La traction ascensionnelle redoubla et les couinements d'Esath se firent plus pressant. Elle devait impérativement retourner à terre, il le fallait. Elle tenta alors de tirer sur cette fameuse chaîne pénétrant son buste mais lorsqu'elle le fit une voix s'éleva depuis les cieux illuminés.

- Amélia. Put-elle ouïr, elle se figea. Tu es promise à bien plus. Laisse-moi te guider.

La voix paternaliste et bienveillante ne ressemblait à rien de connue mais ses vibrations reprenaient vaguement une sonorité que l'adolescente avait oublié il y a bien longtemps. Les larmes lui vinrent quand elle identifia clairement les vocalises de son père derrière ce puissant écho impalpable. Elle hésita et cessa toute résistance l'espace de quelques instants, son ascension continua petit à petit malgré les efforts d'Esath. Ses parents. Elle n'y avait pas repensé depuis des années, pourquoi entendait-elle son père maintenant ? Était-il ici ? Pourquoi serait-il dans sa tête ?

- Ne te débat pas. La voie est déjà tracée. Je ne veux que ton bien, tu le sais. Poursuivit la voix céleste.

- Mensonges ! Hurla Esath à plein poumon. Sale gosse, réveille toi un peu ! Tes parents sont morts il y a longtemps ! Tu ne vas pas abandonner la lutte pour si peu ! Pour une foutue voix ! Tu vas devenir l'esclave de cet univers blanc impalpable ! Reviens-là !

Retenue par la seule force de sa jumelle, Amélia réfléchissait. Que se passerait-il si elle décidait de s'abandonner à la lumière ? Pouvait-elle croire à cette voix ? L'espace de quelques instants, elle cru bon de cesser la lutte et de se laisser engloutir par cette source de pouvoir qui lui avait servi à détruire le Nueh. Le pouvoir... c'était ça. La puissance. Les hellions. La Terre. La guerre. L'Empire. L'inexorable combat pour la liberté. Un éclair de lucidité balaya alors son esprit embrumé. D'un mouvement du bras droit, elle brisa ses chaînes et attrapa la queue d'Esath pour cesser son inexorable montée.

- Amélia. Tu t'infliges davantage de souffrances. Prévint la voix, arrachant un simple rictus amusé à la jeune femme. Elle fixa les cieux luminescents, convaincue que quelque chose s'y trouvait.

- Tu crois ? Peut-être bien... mais je n'ai jamais eu la vie facile de toute façon. Je m'y suis fait. A la douleur, la perte, la déchéance. C'est mon quotidien, ma bataille. J'ai encore à faire sur cette Terre. La jeune fille attrapa la chaîne reliée à sa poitrine et commença à tirer dessus, malgré l'évidente douleur procurée, elle n'eut de cesse de forcer pour l'extirper de son poitrail.

- La lumière peut te guider. Tu retardes l'inévitable. Épargnes-toi cette misère et cette déchéance.

- Ah, tu crois ? Pas moi. Je me suis trop battu pour me faire avaler par mon propre inconscient ou quoi que tu sois. Utilise mon père, ma mère, mes amis et même le Nueh si tu veux. Tu ne m'amèneras pas à toi aussi facilement. Ma réponse est simple : vas te faire ! 

Rageusement, elle extirpa de sa poitrine l'objet céleste qui la reliait au ciel dans un jaillissement de matière blanche dont l'aspect ressemblait vaguement du sang. Son cri perça les cieux et ceux-ci commencèrent à se craqueler, le manteau nacré disparaissant pour faire réapparaître l'obscurité. Un tumulte blanc semblable à une tempête balaya l'endroit sans pour autant provoquer de dommage à sa personne. Dans cette explosion tonitruante de matière, elle ressentit soudain un grand vide. Lentement enserrée par la queue d'Esath, la jeune fille fut ramenée au sol tandis que ses derniers liens s'évaporaient et qu'un sentiment d'accomplissement l'envahissait. Un poids venait de s'effacer. Sa jumelle vint à son côté et se laissa tomber à terre tout près d'elle.

- Merci. Lança l'humaine à son homologue qui se fendit d'un sourire.

- Ouai... merci. Au moins ça. On dirait que cette fois, c'est fini. Pour de vrai.

- Je vais peut-être pouvoir me réveiller, alors.

- Ça dépend de toi.

Allongée l'une à côté de l'autre, les deux soeurs se fixèrent un instant. Chacune pouvait, vraisemblablement, lire les pensées et les émotions de l'autre. Un mélange de reconnaissance, de peur, de peine, de joie, et même d'affection les envahit.

- Qu'est-ce que c'était ? Demanda Amélia, les yeux dans le vague.

- Aucune idée. Mais ça a créé ce machin, le Nueh, pour t'appâter. 

- Non. C'était autre chose. Le Nueh avait une présence différente... ça je peux l'affirmer.

- Alors il y avait plus que moi et le Nueh dans ton crâne ?

- Je ne sais pas. J'ignore ce que c'était. Le Nueh a disparu définitivement, je le sens mais cette autre chose est encore là. Je la sens. Je ne pourrai pas te dire comment.

- J'vois... bon. Il est temps de se dire au-revoir alors, nan ?

- Sûrement mais je te fais confiance pour revenir me parler. J'aurai besoin de toi. La jeune fille approcha sa main de celle de sa jumelle qui hésita un instant.

- Je... oui. On verra bien, après tout.

Sur ces derniers mots, elle lia sa paume et ses doigts avec ceux d'Amélia. Il y eut alors un flash et une sensation de remontée. Un tunnel bleu, de la chaleur et enfin, l'émergence. Pour la première fois depuis plusieurs semaines, Amélia ouvrit ses yeux. Ses véritables paupières se soulevèrent pour lui faire découvrir un décor quasi-familier. Elle sentit la douceur des draps sur sa peau nue, redécouvrit l'agréable impression d'avoir la tête posée dans un oreiller et l'incroyable plénitude offerte par le simple contact conscient de ses narines avec l'air extérieur. Elle se redressa lentement et posa ses mains sur son visage. Oui, c'était bien réel cette fois. Enfin.

Cependant, des incohérences apparurent bien vite dans le décor qui l'entourait. Pourquoi des liens retenaient-ils ses poignets ? Pourquoi se trouvait-elle au centre d'une pièce aux murs épais et sous surveillance vidéo ? Pourquoi y avait-il du sang à terre ? Pourquoi la salle toute entière était-elle constellée d'impacts en tout genre ? Pourquoi un homme vêtu d'une blouse blanche était-il assis dans un coin de la pièce, lacéré de toute part ? Pourquoi Dante, Sélène et Seth se tenaient-ils à ses côtés ?

Et enfin, pourquoi la fixaient-ils avec terreur ?

Hellions : partie 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant