Chapitre 5 - #20

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C'est dans le silence le plus total et absorbée par les décors à peine perceptible couvert par une nuit noire qu'Amélia avançait à pas tâtonnant. Elle se frayait un chemin à travers un paysage impossible à décrire tant par sa complexité que par l'infinité de formes qui peuplaient le proche comme le lointain. Tout ici n'était que ténèbres et seuls le maigre chemin de pierre sur lequel elle marchait à la lueur d'une petite lanterne lui permettait de s'orienter. Craquements et murmures se faisaient parfois entendre mais jamais une forme ne se montrait. Il n'était de lieu plus sordide et plus mystique que celui-ci. Où était-elle ? Elle l'ignorait et, pourtant, elle avait eu l'occasion d'y réfléchir.

Autour d'elle ne se trouvait ni installations, ni cité gigantesque. Pas le moindre trace de civilisation et les tortueuses apparitions qu'elle parvenait à discerner autour d'elle lui rappelait les étranges modélisations de ce qu'avait été, autrefois, les bois d'une Terre encore sereine. L'obscurité lui cachait-elle ce qu'elle ne pouvait appréhender ? Fille de l'Empire et de la technologie, elle se trouvait perdue devant la simple représentation d'une Nature au sens le plus strict. Ces sons qui lui parvenaient étaient-ils ceux d'un monde qu'elle n'avait pas connu ? Comme toujours, le sentier désolé l'amena devant une immense grille faite d'un métal rouillé. Elle était orné de motifs difformes représentant tour à tour des fleurs et des monstres que seules la fiction avait pu engendrer.

De part et d'autres du portail, un épais mur empêchait tout accès et tout contournement. Bien que l'on puisse voir à travers les barreaux de la grille, rien ne pouvait être observé faute d'une source lumineuse. Comme à chaque fois, elle se retrouvait là, bloquée. Une chaîne verrouillée par un épais cadenas faisait le tour de l'entrée pour empêcher quiconque de l'ouvrir. Le haut des murs latéraux était constellé de pieux en ferrailles et les façades lisses interdisaient toute tentative d'escalade. Amélia approcha sa main libre du cadenas et le prit entre ses doigts frêles. Lorsqu'elle entra en contact avec lui, elle fut envahie d'un soupçon de terreur, d'un zeste de défiance et d'une incommensurable sensation de mal être. Elle le relâcha immédiatement.

"Maudite porte rouillée..." susurra-t-elle à sa propre attention. Elle agita sa lanterne d'un côté ou de l'autre des gonds sans trouver trace d'une quelconque façon de libérer le passage. Les abords du sentier était couvert d'une herbe noirâtre que même sa flamme ne parvenait à éclairer. Il n'était plus question de se risquer dans les ténèbres, elle ne l'avait que trop expérimenté. Elle resta bloquée un long moment face aux barreaux de métal avant de finalement poser la lanterne au sol et d'approcher. Elle était convaincue que c'était la bonne chose à faire. Cette fois, elle y arriverait. Résolue, elle porta ses mains sur les barres et tenta de forcer la grille à l'aide de cette étrange force qu'elle avait senti se développer au fond de ses entrailles.

La couche de rouille et de crasse couvrant la ferraille se mit soudain à bouger pour envahir les mains de la jeune fille. Celle-ci constata, peu à peu, l'avancée de cette matière tantôt poussiéreuse et tantôt visqueuse sur ses doigts, puis ses mains et ses avant-bras. Désormais retenue prisonnière par cette colle indescriptible, elle tenta par tous les diables de se libérer ou de forcer l'entrée. Rien n'y faisait, la grille grinçait et le cadenas vibrait sans qu'Amélia ne puisse l'ouvrir. "Pas encore... merde !" gronda-t-elle, la Chose grimpant jusqu'à sa poitrine puis gagnant son cou. Elle combattit de toutes ses forces, hurla, grogna et agita la tête en tout sens. Par instant, sous ses excès de rage, le coulis malsain de putréfaction reculait mais il revenait inlassablement dès qu'elle s'épuisait.

Finalement cette matière repoussante vint couvrir l'intégralité de son visage et lorsque ses yeux furent injectés de cette maudite substance, elle se sentit propulser en arrière. Son corps figé dérivait sans fin et se mit à tomber dans un vide abyssal qu'elle avait fini par connaître. Elle l'appréciait presque à force car ici, seul, demeurait un calme certain. Bientôt, sa chute prit fin et elle reprit le contrôle de chacune des parties de son corps. Lorsque ses yeux s'ouvrirent à nouveau, elle se trouvait assise au sol, adossé à un mur décrépit. Face à elle, une porte en bois et non loin, une table sur laquelle reposait une lanterne dont la petite flamme éclairait malgré elle cet endroit exiguë.

Amélia se leva et s'épousseta, elle se dirigea en direction de la lanterne. Elle sentit une présence se manifester derrière son dos, empoignant l'objet elle se tourna comme si de rien n'était et put enfin regarder clairement la silhouette qui l'épiait depuis les ombres. Une peau noire, un visage presque similaire aux siens, des yeux d'un blanc nacré et une longue chevelure nacrée. Ses mains étaient entourées d'une chaîne usée par la rouille et autour de son cou trônait un collier peu ragoûtant tout juste sorti du fond des âges. Amélia n'était pas surprise de la voir, elle ne l'était plus. Dans le silence de cette demeure abandonnée, elle prit le temps de considérer l'apparition.

- Tu as encore échoué. Te voici à trente-trois mille deux cent quatre échecs. Je dois te reconnaître une certaine persévérance. Lança Esath, sarcastique.

- Je commence à perdre patience, je ne compte pas rester prisonnière de ce cauchemar éternellement. Répondit Amélia, levant les yeux au ciel.

- Ce n'est pas mon intention non plus. Tant que j'aurai ces chaînes, ni toi, ni moi ne seront libres.

- Je ne pensais pas que revenir à moi demanderait autant d'efforts... 

Amélia s'abandonna un instant à ses réflexions. Elle n'avait pu percevoir la grille qu'après un petit millier de tentatives et elle était parvenue à libérer Esath par le seul biais de sa volonté. Difficile de dire comment. Elle se souvenait cependant avoir clairement ressenti quelque chose provenant de l'extérieur de ce rêve infini, elle s'était rapprochée de l'extérieur. La décharge provoquée par le retour de sa moitié skryn avait sans doute affecté le monde réel mais dans quelles proportions ? Et depuis combien de temps était-elle ici ? Impossible de le dire. Quoi qu'il en soit, Esath n'avait pas été totalement libéré car c'est bien enchaînée à cette demeure délabrée qu'elle était apparue.

- Nous devons sortir de cette boucle infernale.

- Merci de souligner cette évidence. Tout repose sur toi, comme tu le vois, je ne peux pas t'aider. Esath fit tinter les chaînes à ses poignets qui la retenait prisonnière dans la maison.

- Qu'as-tu ressenti lorsque je t'ai libéré ? 

- Je te l'ai déjà dit. Gronda l'intéressée.

- Recommence. Ordonna Amélia, plus ferme. Elle avait appris à ne pas se laisser faire par cette créature au caractère bien trop affirmé.

- J'ai ressenti un sentiment de libération et de restriction. C'est difficilement explicable, je me suis senti extraite de là où tu m'avais enfermé mais une partie de moi est restée emprisonnée dans cet arbre. Tu t'en souviens, non ?

- Très bien. Je pense que je ne t'ai pas totalement accepté et que je me méfie encore de toi. Même si, consciemment, je souhaite te libérer mon propre corps te rejette ou te restreint par peur.

- Probablement.

- Il y a bien une chose que je n'ai pas encore essayé... c'est un peu fou mais je pense que c'est la seule option. J'en suis même convaincu. Après autant d'échecs je peux bien m'autoriser ça. Soupira Amélia prenant la direction de la porte décrépit qu'elle ouvrit.

Elle mit sa lanterne devant elle, repéré le sentier débutant tout près de la sortie et scruta l'horizon, éternellement recouvert par la noirceur. Sa toute dernière idée bien en tête, elle mit un premier pas dehors et entendit les chaînes de la captive tinter. Elle se retourna pour la regarder. La créature dédaigna lui offrir un hochement de tête.

- Fais tout de même attention. Tu es mon ticket de sortie et nous avons encore des choses à régler toi et moi. Je n'ai pas renoncé à m'emparer de toi. Prévint la créature.

- Je n'ai plus peur de toi, Esath. J'ai plus de peine qu'autre chose à nous imaginer nous affronter maintenant.

La demi-humaine referma la porte derrière son alter-égo humain sans répondre à cette invitation à peine voilée. Amélia repartit sur l'obscur chemin à la recherche de la grille rouillée. Ses pensées allèrent vers ses camarades. Que n'aurait-elle pas donné pour parler de tout ceci à Seth, Dante et Sélène ? Leurs avis l'aurait sans doute guidé. Que se passerait-il quand elle aurait trouvé la clé de cette énigme, si jamais elle y parvenait ? Un nouveau duel pour son propre corps contre Esath ? La première version de celui-ci l'avait précipité ici.

Il existait sans doute une meilleure option et elle la trouverait, quoi qu'il en coûte.

Hellions : partie 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant